Gabon: interdits mais répandus, les prêts usuraires usent les ménages

Une rue de Libreville, capitale du Gabon.

Le 07/04/2024 à 15h16

Entre besoin urgent et spirale de l’endettement, les prêts par intérêt au Gabon suscitent débats et interrogations. Alors que certains pointent du doigt la responsabilité des emprunteurs, d’autres soulignent les failles du système.

Illégaux mais répandus, les prêts par intérêt alimentent la spirale de l’endettement au Gabon et touche particulièrement les ménages à faible revenu. Cette pratique informelle, bien qu’illégale selon l’article 324 du code pénal, prospère en raison de facteurs socio-économiques complexes.

D’un point de vue économique, le bas niveau de revenus d’une frange importante de la population gabonaise pousse de nombreux ménages à recourir à ces prêts usuraires pour faire face à des besoins urgents. Comme le souligne Hans, étudiant: «J’avais un besoin d’argent pressant mais je n’avais pas la totalité de la somme. Donc j’ai dû contracter un prêt

Cependant, cette solution à court terme engendre souvent un cercle vicieux d’endettement. «Dès que vous avez contracté un prêt, vous êtes automatiquement sous pression morale», témoigne Hans, illustrant les difficultés psychologiques et financières liées au remboursement.

D’un point de vue sociologique, la facilité d’accès à ces prêts informels encourage leur utilisation, malgré les risques élevés d’impayés. Béranger Allogho, étudiant, attribue ce phénomène à «la mauvaise gestion» plutôt qu’aux bas salaires, remettant en cause la rationalité des emprunteurs. «Je ne pense pas que ce soit uniquement une question de salaire insuffisant. En réalité, c’est généralement dû à une mauvaise gestion financière. Si quelqu’un gagne 5.000 francs CFA par mois, il n’est pas raisonnable qu’il se retrouve avec des dettes de 500.000 francs. C’est le fait de vouloir vivre au-dessus de ses moyens qui pousse certaines personnes à recourir à des prêts avec intérêts», analyse-t-il.

Sur le plan juridique, même si ces pratiques sont illégales, la loi souffre d’un manque d’application, comme en témoigne l’expérience malheureuse de Doris, ancienne prêteuse: « J’ai été victime de cela et j’étais embarrassée. Il y a des personnes qui ne sont pas honnêtes. Elles viennent, prennent l’argent mais au moment de rembourser, elles ne sont plus disponibles, leurs numéros ne sont plus accessibles ou la personne déménage carrément», raconte-t-elle.

D’un point de vue anthropologique, les prêts par intérêt s’inscrivent dans une culture de l’entraide communautaire, mais dérivent vers des abus et des conflits lorsque les engagements ne sont pas respectés.

En somme, la pratique des prêts par intérêt au Gabon met en lumière des enjeux complexes. Une approche multidimensionnelle, combinant des réformes législatives, une éducation financière, des politiques de soutien aux revenus et un renforcement du tissu économique formel, semble nécessaire pour briser ce cercle vicieux.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 07/04/2024 à 15h16