Les accidents de la route, cette «épidémie» qui tue le plus et qui saigne les économies d’Afrique

L'épave d'un camion après qu'il est entré en collision avec un bus et a pris feu à Boromo, au Burkina Faso, le 16 novembre 2008, tuant au moins 66 personnes dans l'un des pires accidents de la route en Afrique de l'Ouest.

Le 17/01/2023 à 13h06

D’Alger au Cap, de Dakar à Djibouti, il ne se passe pas une journée sans que de graves accidents ne soient enregistrés en Afrique, avec leurs lots de morts, d’handicapés à vie et de dégâts matériels colossaux. Outre le fait que l’Afrique affiche l’un des pires taux de mortalité routière au monde, ces accidents coûtent cher au continent. Les pertes occasionnées par les accidents sont estimées annuellement entre 2 et 5% du PIB. Pourtant, à considérer les principales causes, un grand nombre de ces accidents peuvent être évités.

Le 9 janvier courant, un grave accident s’est produit près de Kaffrine, au centre du Sénégal, faisant plus de 40 morts et une centaine de blessés dont une trentaine dans un état grave. Malheureusement, si en raison du nombre de décès qui dépasserait les 50 au final des décomptes, le drame a été très médiatisé, les accidents sont le lot quotidien des routes africaines. D’ailleurs, une semaine seulement après celui de Kaffrine, un autre accident a fait plus de 22 morts dans le même pays suite à une collision entre un bus et un camion.

Et depuis le début de l’année, de graves accidents de la route se multiplient en Afrique. Et les bilans de décès et blessés communiqués, bien qu’élevés, sont très souvent sous-estimés du fait des défaillances des statistiques.

Selon la Banque mondiale, les accidents tuent plus de 1,3 million de personnes et causent de 20 à 50 millions de blessés par an dans le monde. Et l’Afrique est de loin le continent où la voiture tue le plus. On y recense plus de 330.000 décès occasionnés par les accidents de la circulation par an, soit autour de 25% du total mondial, alors que le continent ne représente qu’à peine 17% de la population de la planète. De plus, le continent concentre à peine 2% du parc automobile mondial. C’est dire que les accidents de la route tuent plus que le sida, la tuberculose ou les maladies diarrhéiques en Afrique. En clair, les accidents sont devenus la première «épidémie mortelle» en Afrique.

Qu’est-ce qui explique ce nombre élevé d’accident au niveau du continent? A cette question, plusieurs réponses peuvent être avancées. D’abord, il y a l’élément humain, notamment le comportement des chauffeurs. Plusieurs accidents résultent essentiellement du comportement des chauffeurs : excès de vitesse, conduite en état d’ébriété ou sous l’influence de substances psychoactives, non-respect ou l’absence de dispositions de sécurité (casque, ceinture de sécurité,…). A cette liste s’ajoutent, la fatigue, la distraction au volant en raison de l’usage du téléphone portable, le non-respect du Code de la route,… En clair, l’incivisme est de loin la première cause des accidents en Afrique.

Ainsi, en Afrique du Sud, l’un des pays les plus accidentogènes du continent avec 14.000 personnes tuées chaque années sur les routes du pays, «plus de 90% des accidents peuvent être directement attribués à l’élément humain, invariablement lié à la violation du code de la route», a souligné, en décembre dernier, le ministre des Transport Fikile Mbalula.

Ensuite, il y a le laisser-aller des Etats. Si tous les les pays disposent d’arsenaux législatifs relatifs à la règlementation routière, force est de reconnaître qu’une grande partie des lois n’est pas appliquée. C’est le cas du port du casque pour les motards, de la ceinture de sécurité, des visites techniques… Et les Etats ne se donnent pas les moyens pour faire respecter les dispositions règlementaires.

D’ailleurs, ces lois ne servent souvent qu’à enrichir les éléments des forces de sécurité routière. Au lieu d’immobiliser les voitures qui ne respectent pas les lois ou de verbaliser les chauffeurs en infraction, policiers et gendarmes préfèrent souvent fermer les yeux en contrepartie de quelques billets. D’ailleurs, dans de nombreux pays du continent, à chaque poste de la police ou de la gendarmerie, ce sont les apprentis chauffeurs qui descendent du véhicule déposer quelques billets entre les mains du dirigeant du poste qui ferment les yeux sur toutes les infractions : surplus de passagers, surcharge de bagages, absence de documents attestant de la visite technique…

Mais il y a plus grave : de nombreux chauffeurs n’ont pas de permis de conduire ou l’ont tout simplement acheté et n’ont donc pas fréquenté d’auto-écoles pour y apprendre le Code de la route. Et certains conducteurs de véhicules particuliers n’hésitent pas à se transformer en chauffeur de poids lourds sans aucune formation préalable.

En plus, l’état du parc automobile laisse également à désirer. Cette flotte est en grande partie constituée de véhicules usagés qui sont parfois destinés à la casse en Europe et qui sont refourgués au continent. Ces véhicules sont en grande partie à l’origine de nombreux accidents.

Enfin, il y a l’état les routes africaines. Globalement étroites, ces routes sont mal entretenues et parsemées de nids de poule qui obligeant les chauffeurs à zigzaguer occasionnant ainsi des accidents. Elles sont également mal éclairées et manquent de panneaux de signalisation.

En clair, tous les ingrédients sont réunis pour que les accidents se multiplient au niveau du continent. Conséquence, le nombre de morts ne cesse de croitre d’année en année. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, selon l’Office national des statistiques, 41.709 morts sur les routes ont été recensés entre 2013 et 2020. Mais, le nombre réel est certainement beaucoup plus élevé. En Afrique du Sud, ce sont 14.000 décès qui sont enregistrés annuellement.

Globalement, l’Afrique affiche un taux de mortalité des routes moyen estimé à 27,5% pour 100.000 habitants, soit un niveau plus de trois fois plus élevé que la moyenne mondiale.

Au Kenya, ce taux est de 48 morts pour 100.000 habitants, alors que le pays est bien mieux loti que la Zimbabwe, le Malawi, le Liberia et l’Erythrée.

Ce taux est de seulement 6 pour 100.000 dans l’Union européenne. Mieux, il est de 2,1% en Norvège, 2,2% en Suisse et 3,1% en Suède. Pourtant la Norvège a les routes parmi les plus difficile au monde du fait de la neige et du relief du terrain. Ces taux bas ne sont pas le fruit du hasard, mais les résultats des décisions prises au plus haut niveau de l’Etat, pour s’attaquer aux problèmes par la mise en place de coordination multisectorielle, avec des lois appropriées. En clair, il faut qu’il y ait une décision politique.

Malheureusement, les dirigeants africains manquent souvent de courage politique. A titre d’exemple, après l’accident mortel qui s’est produit au Sénégal, les autorités avaient pris des mesures pour réduire autant que possible la survenance des accidents et/ou réduire leur gravité. Seulement, face aux menaces de grèves des transporteurs, l’Etat a rapidement reculé sur un certain nombre de points de son programme de lutte contre les accidents.

Dans ces conditions, il est difficile de réduire de 50% le nombre de morts et de blessés sur les routes africaines afin de se conformer aux Objectifs de développement durable de l’ONU (ODD) à l’horizon 2023. Et pour cause, outre le fait que les accidents sont souvent graves, il y a aussi la faiblesse des infrastructures routières qui font que les accidentés arrivent souvent dans des conditions déplorables au sein des unités hospitalières qui, elles aussi, manquent cruellement de tout, ou presque.

Au-delà des pertes humaines, ces accidents portent préjudice aux économies africaines. Ainsi, selon la Banque mondiale, les accidents coûtent entre 2 et 5% du PIB de chaque pays africain. Ce qui est énorme pour un continent qui a du mal à réaliser des croissances solides à même de résorber le nombre de chômeurs qui arrivent annuellement sur le marché du travail.

Pour comprendre l’ampleur du phénomène, en Afrique du Sud, pays le plus industrialisé et dont les statistiques sont parmi les plus fiables du continent, l’actuel ministre des Transport, Fikile Mbalula, a révélé, en décembre 2022, que les accidents coûtent près de 190 milliards de rands, soit plus de 10 milliards de dollars, chaque année au pays. Une situation qui fragilise également les secteurs de l’assurance africaine.

Selon une étude de la Banque mondiale financée par Bloomberg Philanthropies, «les pays qui n’investissent pas dans la prévention des accidents de la route, le manque à gagner s’élèverait entre 7 et 22% du PIB par habitant sur une période de 24 ans». Et selon toujours les conclusions de cette étude se basant sur les données détaillées de 135 pays, «une réduction de 10% de la mortalité routière entraîne en moyenne une augmentation de 3,6% du PIB réel par habitant sur une période de 24 ans».

Malheureusement, les dirigeants africains semblent avoir d’autres priorités que les accidents de la route et les décès qui n’émeuvent que le temps de l’inhumation des victimes…

Par Moussa Diop
Le 17/01/2023 à 13h06