Libreville: le déguerpissement jette des familles entières à la rue

Des bulldozers en action lors du deguerpissement des quartiers Plaine-Orety et Derrière l’Assemblée nationale à Libreville.

Le 08/06/2025 à 10h00

VidéoAlors que les bulldozers rasent les constructions anarchiques à Libreville pour laisser place au «boulevard de la Transition», des centaines de familles ont perdu leur toit et dorment désormais à la belle étoile. Ces délogés disent ne pas avoir été informés et dénoncent des «indemnisations inéquitables» dont le gouvernement ne dévoile ni le montant ni les critères d’attribution.

Les démolitions lancées cette semaine dans les quartiers précaires de Libreville ont plongé des centaines de Gabonais dans le désarroi. À Plaine Oretty et Derrière l’Assemblée nationale, des familles entières errent parmi les gravats ou campent sur des matelas à même le sol, contraintes de quitter des habitations occupées parfois depuis des décennies.

Le ministre des Travaux publics, Edgar Moukoumbi, justifie ces expulsions par la nécessité de libérer des emprises pour des projets structurants: le futur boulevard de la Transition et des bassins versants.

Pourtant, sur le terrain, le sentiment d’injustice domine parmi les déguerpis. Un sentiment amplifié par l’absence de préavis officiel, comme le confie Ester, habitante de Plaine Oretty: «Nous n’avions pas été prévenus du début de l’opération».

Cette précipitation a transformé l’expulsion en scènes de désolation, rapporte Fridolin Ipemoussou, témoin direct à Plaine Oretty Ntsame: «C’est par le bouche-à-oreille que nous avons appris le démarrage de cette opération… Il fallait voir la détresse des familles dormant sur les gravats, matelas nus à la belle étoile.»

Si certains reconnaissent le droit de l’État de récupérer ses terres, ils s’interrogent sur la moralité de la méthode à l’image de Jean Moussavou, locataire de Derrière l’Assemblée. «L’État est dans son droit… Mais mon bailleur ne m’a pas dit qu’il avait été indemnisé il y a 10 ans. Il m’a juste dit que l’affaire est pendante au tribunal.»

Ce témoignage soulève la question des indemnisations occultes et de l’opacité entourant les propriétaires déjà dédommagés

Une opacité dénoncée par certains propriétaires eux-mêmes, comme Toussaint Bendome «tous les déguerpis ont été sensibilisés… Mais la procédure du gouvernement Oligui Nguema est inacceptable!»

Il affirme que les consultations ont eu lieu, mais rejette la brutalité des moyens employés.

Malgré les affirmations des autorités sur le caractère légal de l’opération, le gouvernement ne communique toujours pas sur: le montant total des indemnisations versées, les critères utilisés pour attribuer (ou refuser) ces dédommagements. La liste des bénéficiaires sur la décennie écoulée.

Cette absence de transparence alimente les suspicions de détournement et d’arbitraire.

Pendant ce temps, les pelleteuses poursuivent leur œuvre, la colère monte parmi les sans-abri. L’écart se creuse entre le discours officiel de «mise en ordre» urbaine et la réalité d’expulsions vécues comme brutales et inéquitables.

La crédibilité du gouvernement repose désormais sur sa capacité à publier les détails des indemnisations passées et à proposer des solutions urgentes pour les milliers de Gabonais jetés à la rue.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 08/06/2025 à 10h00