C’était mi-août alors que le Sahel essuyait des précipitations torrentielles. «Depuis dix ans, on n’avait pas eu cette quantité de pluie», dit Abdoulaye Cissé, architecte qui apporte à la réhabilitation son expertise de l’architecture en terre crue pour le compte d’une ONG française.
Une partie du plafond de la mosquée des hommes, qui flanque avec celle des femmes le tombeau proprement dit, une pyramide à degrés de 17 m de haut, a cédé sous le poids de la terre gorgée d’eau lors de la réfection d’un pilier.
Abdoulaye Cissé relativise: le chantier ouvert en mars, quatre ans après son annonce, aurait été arrêté de toute façon pendant la saison des pluies et reprendra après, fin septembre peut-être. Et puis ce contretemps, après beaucoup d’autres, était prévisible. Les travaux menés depuis mars l’ont confirmé: «La structure est affaiblie, les bois sont très, très vieux».
Le Tombeau a été édifié en 1495 par Askia Mohamed, sous lequel Gao devint la capitale de l’empire Songhaï et l’islam la religion officielle.
Inscrit au patrimoine de l’Humanité en 2004, le tombeau, avec les mosquées à toit plat, les nécropoles et l’espace des assemblées en plein air, a été versé en 2012 au patrimoine en péril quand les jihadistes et les indépendantistes ont pris Gao et Tombouctou, également reconnue par l’Unesco pour son intérêt exceptionnel.
L’Unesco a conclu que la protection du site ne pouvait plus être garantie. Depuis, les rebelles ont été chassés des villes. Mais la région est toujours en proie aux violences et les experts étrangers ne viennent plus.
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Aussi le chantier ouvert en mars est-il une heureuse nouvelle. Ali Daou, chargé de programme à l’Unesco, n’a «pas connaissance d’une intervention d’une telle envergure sur le tombeau» en un demi-millénaire d’existence.
Certes, tous les deux ans environ, les habitants se rassemblent pour le traditionnel «crépissage», la reprise de l’enduit en banco, mélange de terre argileuse et de paille hachée. Ils s’appuient sur l’échafaudage permanent de perches qui font saillie de la pyramide et lui donnent son allure unique.
Maçonnerie conscientisée
Mais ce soin constant peut altérer la conservation. Les surcharges de terre créent des fragilités, l’emploi de bois exotique à la place du hasu local qui se fait rare compromet l’authenticité de l’ensemble.
Une partie du chantier consiste à remplacer le bois incongru ou dévoré par les termites, dit M. Cissé. Une autre vise à redonner sa forme originale à une construction «très érodée par la pluie et le vent».
L’entreprise, sous maîtrise d’oeuvre de l’Etat malien, est financée à hauteur de 500.000 dollars par Aliph, fondation internationale pour la défense du patrimoine dans les zones de conflit. L’association CRAterre qui promeut l’emploi de la terre crue dispense ses compétences.
Les parties au projet insistent sur sa dimension globale et durable. Une pépinière a été plantée à proximité du tombeau pour le fournir en bois de hasu. Le projet fait travailler les artisans locaux, et oeuvre à la sauvegarde et la transmission de savoir-faire ancestraux.
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Pour Valery Freland, directeur d’Aliph, «l’un des vrais enjeux, c’est comment l’architecture de terre traditionnelle peut faire face à des phénomènes climatiques a priori plus importants que par le passé». Aliph est confrontée à cette réalité partout où elle intervient, au Niger, au Soudan ou au Yémen, dit-il.
Le Sahel, à la marge du Sahara, est l’une des régions au monde les plus sévèrement exposées aux conséquences du réchauffement. Avec le nord des pays du golfe de Guinée, il a essuyé ces dernières semaines des pluies «globalement supérieures de 120 à 600% à la moyenne de la période de référence 1991-2020v», rapporte l’organisme pour la sécurité alimentaire Agrhymet. Les inondations ont fait des centaines de morts.
Une étude de chercheurs de l’Institut des géosciences de l’environnement (France) a montré en 2022 que le Sahel avait connu une augmentation «hautement significative» de précipitations extrêmes entre 1983 et 2015. Un événement qui avait en moyenne une chance sur dix d’arriver tous les ans survient désormais un an sur cinq.
Malgré le départ de populations fuyant la désertification et la guerre, Ali Daou, de l’Unesco, et l’architecte Cissé ont foi dans l’attachement des locaux au tombeau face aux dangers.
Quand les jihadistes détruisaient les mausolées de Tombouctou, la population de Gao a protégé le site. Les maçons connaissent les lieux par coeur parce qu’ils «y prient cinq fois par jour», dit M. Cissé. Et «leur vigilance peut renforcer la résilience», y compris face au changement climatique.