Faute de présence de représentant de l’Etat, ou en raison d’une vieille habitude ou tout simplement d’une méconnaissance de la loi, quatre enfants sur dix ne sont pas inscrits à leur naissance à l’état civil au Niger, un pays où la moitié de la population a moins de quinze ans.
Nadia Salou est de ceux-là, comme sa soeur Zeneba, 9 ans, et le petit Abdoulkarim, 4 ans. Ils n’existent que par leur prénom.
Leur maman Aïchata Hassan, originaire du petit village rural d’Alzou dans une zone reculée de la région de Tillabéri (ouest), a accouché à son domicile et aucun agent de l’Etat n’a pu inscrire les naissances au registre.
Elle disposait de soixante jours pour aller déclarer chaque enfant. Mais ses faibles revenus, l’éloignement de la ville et les coûts de transport l’en ont dissuadée. Et surtout au village, ce bout de papier, l’acte de naissance, « ne sert pas à grand-chose », dit-elle.
Les années ont passé. Depuis cinq ans, les incursions jihadistes se sont multipliées dans sa région, zone dite des Trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger. A Alzou, ils sont venus à plusieurs reprises à moto, au début pour prendre quelques têtes de bétail, mais un jour, le chef de village a été tué.
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C’est à ce moment-là que Aïchata Hassan et ses enfants ont décidé de fuir: ils ont marché jusqu’à la commune voisine, Sakoira, à une trentaine de kilomètres.
Nadia, Zeneba et Abdoulkarim y ont été inscrits à l’école. La vie a repris son cours dans cette petite bourgade posée sur le goudron entre Tillabéri et Ayorou.
Acte indispensable
Mais au moment d’inscrire Nadia à l’examen d’accès en 6e, Aïchata a déchanté: sans acte de naissance, pas d’inscription possible à l’examen.
«Beaucoup d’enfants de l’école sont dans cette situation», dit le conseiller pédagogique Idrissa Illiassou, trente années passées dans l’enseignement rural au compteur. «Des jeunes sans acte de naissance, ça va donner des adultes sans papier d’identité, ils seront exclus», déplore-t-il.
L’état civil est un défi immense pour le Niger, pays parmi les plus pauvres au monde. «Nous avons une culture axée sur le papier, or c’est dépassé, il faut utiliser l’informatique», dit Ibrahim Malangoni, le directeur national de l’état civil. Avec un fort soutien de la communauté internationale, le Niger tente d’inverser la tendance.
Organisation d’audiences foraines, opérations de sensibilisation, informatisation du secteur, campagnes avec des ONG... «On veut maximiser les opérations pour répondre à l’objectif de toute la population inscrite à l’horizon 2030», explique-t-il.
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Aujourd’hui, le taux d’enregistrement des enfants à la naissance dans les délais est de 60%. Quatre enfants sur dix restent donc invisibles aux yeux de l’Etat. Mais c’est déjà «un taux remarquable parce qu’il n’y a pas si longtemps, en 2007, nous étions à peine à 30%», selon M. Malangoni.
Les populations, «surtout dans les villages de brousse», dit-il, «ne sont pas encore dans la logique de systématiser l’enregistrement, elles attendent toujours que le besoin se fait sentir».
Ces besoins sont pourtant légion: pour inscrire un enfant à l’école, pour accéder à la justice, pour bénéficier d’une bourse d’études, pour ouvrir un compte en banque, pour voter, ou tout simplement pour passer un contrôle de police, une carte d’identité est obligatoire.
«Donner de l’espoir»
«Avec un investissement mineur (de l’Etat et des partenaires), vous pouvez procurer à ces garçons et ces filles du pays le plus jeune du monde de l’espoir», dit Jan Egeland, secrétaire général de l’ONG Norwegian Refugee Council (NRC), très investie dans de nombreux pays sur ces questions d’accès à l’état civil.
«Voulez-vous que les jeunes d’aujourd’hui soient les entrepreneurs de demain, ou qu’ils soient rongés par l’amertume faute d’opportunités?», a-t-il demandé lors d’une récente visite au Niger.
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Katoumi Youssou, assise sur une natte à l’ombre d’un arbre à quelques mètres de là, n’a que sa voix pour pester. Cette productrice d’oignons de Sakoira n’a jamais eu de papiers: «Nous les femmes, on voyage peu et au village, on n’a pas besoin de ça».
Mais l’arrivée de la guerre a chamboulé sa vie, les postes de contrôle par l’armée se sont multipliés ces dernières années, et sans papiers, leur passage est devenu un enfer. Pour aller vendre ses oignons en ville, pour aller à un mariage, «à chaque fois je dois payer les militaires pour qu’ils me laissent passer».
Elle attend, comme Aïchata Hassan, la prochaine venue d’un juge en audience foraine pour se faire régulariser.
Elle n’accepte pas pour autant qu’on remette en cause son identité: «Je n’ai pas de document, mais je reste Nigérienne, personne ne peut me dire le contraire!» Et d’ajouter sourire: «Seulement, c’est vrai, ma ”nigériennité” est peut-être incomplète...»