RD Congo: l’impossible mise en conformité des mines illégales de cobalt

Un jeune garçon casse des roches provenant de l'extraction de cobalt dans une carrière de mine de cuivre et une fosse de cobalt à Lubumbashi le 23 mai 2016. Le prix du cuivre a fortement chuté, affectant directement les travailleurs de la ville.

Un jeune garçon casse des roches provenant de l'extraction de cobalt dans une carrière de mine de cuivre et une fosse de cobalt à Lubumbashi le 23 mai 2016. Le prix du cuivre a fortement chuté, affectant directement les travailleurs de la ville.

Le 02/11/2022 à 08h21

Par milliers, des «creuseurs» continuent d’extirper à coups de pioches de la mine de cobalt à ciel ouvert de Shabara, dans le sud-est de la RD Congo, de quoi vivre et nourrir leurs familles, alors qu’officiellement ils n’ont plus le droit d’être là depuis des années.

«On lutte pour qu’ils nous laissent en paix», déclare pendant la pause un de ces mineurs artisanaux, Marcel Kabamba, qui dit gagner par son travail jusqu’à 200 dollars par semaine - une bonne somme, dans un pays dont les trois quarts des habitants vivent avec moins de deux dollars par jour.

Près de lui, des porteurs transportent péniblement à dos d’homme des sacs de minerai bleu-vert, dont l’utilisation dans les batteries de téléphones portables et de véhicules électriques en fait un produit d’avenir et de transition énergétique.

Les cours sont fluctuants, mais une tonne de minerai s’échange actuellement à quelque 50.000 dollars.

Shabara, à environ 45 km de Kolwezi, dans la province du Lualaba, est emblématique de la difficulté pour la République démocratique du Congo de remédier à l’exploitation illégale de cobalt, dont elle est le premier producteur mondial.

Le pays assure environ 70% de la fourniture globale de ce minerai, mais ses mines artisanales piètrement réglementées, tout en représentant une part minime (environ 5%) de sa production, nuisent à l’image du cobalt congolais.

Les accusations de travail des enfants, de conditions de travail dangereuses et de corruption plombent les sites artisanaux. Comme à Shabara, beaucoup opèrent sur des concessions industrielles, ce qui alimente aussi les tensions entre les mineurs pauvres et les multinationales.

«Nous ne cèderons pas»

Michel Bizimungu Lungundu se souvient du jour de 2015 où il a appris que la mine de Shabara, dans laquelle il travaillait comme négociant depuis dix ans, avait été vendue à une filiale de Glencore, géant anglo-suisse du négoce des matières premières.

Aux termes d’un accord conclu en 2010 avec le précédent propriétaire majoritaire, Dino Steel, les «creuseurs» étaient tolérés sur le site.

Mais le nouveau propriétaire exigeant une application stricte de la loi, les artisanaux se sentaient menacés d’expulsion, «roulés, en quelque sorte», déclare Lungundu, actuel directeur adjoint de la «Coopérative minière artisanale du Katanga» (Comakat) qui, sept ans après, continue d’exploiter la mine, illégalement.

«On ne va pas se laisser faire», affirme-t-il, estimant que les populations locales ont le droit de profiter du lucratif minerai.

Selon la législation congolaise pourtant, depuis 20 ans, les creuseurs ne sont autorisés à travailler que dans des «zones d’exploitation artisanale» (ZEA) désignées par le gouvernement. Mais la plupart des mineurs artisanaux disent que ces zones ne valent rien et refusent de bouger.

«C’est un problème criant», a jugé Marie-Chantal Kaninga, chargée d’affaires de Glencore en RDC, lors d’une récente rencontre minière à Kinshasa.

«Avec jusqu’à 40 camions de minerai sortant chaque jour de Shabara, il est clair que ces activités ne sont pas l’œuvre de mineurs artisanaux à petite échelle», estime par ailleurs un porte-parole de Glencore qui, souligne-t-il, apporte une aide aux creuseurs acceptant de rejoindre une ZEA.

Far West des mines

La réforme de 2018 du code minier de RDC devait permettre à l’Etat congolais d’avoir un meilleur contrôle sur le commerce du cobalt, que Kinshasa avait classé parmi les métaux «stratégiques», augmentant les taxes sur le minerai industriel.

En 2019 a également été créée l’Entreprise générale du cobalt (EGC), société étatique dotée du monopole d’achat et de commercialisation du minerai produit artisanalement dans les zones dédiées.

Il s’agissait de développer le secteur artisanal du cobalt et d’en améliorer les standards, tout en permettant à l’État d’augmenter ses recettes. Mais avec la plupart des creuseurs qui refusent de bouger vers ces zones, l’EGC attend encore d’acheter sa première tonne de cobalt.

«C’est un désordre», reconnaît un haut responsable à Kolwezi, déplorant notamment que Kinshasa semble avoir choisi au hasard l’emplacement de ces ZEA boudées par les creuseurs.

Sollicité par l’AFP, le ministère congolais des mines n’a pas répondu.

Sasha Lezhnev, consultant pour l’ONG américaine The Sentry, auteur d’une étude sur les mines congolaises de cobalt, estime que beaucoup de projets de réforme du secteur ont capoté parce que certains acteurs ont intérêt à «maintenir le statu quo».

Des sources soulignent aussi que des dirigeants politiques ont des liens étroits avec les mines artisanales, dont ils souhaitent préserver les activités.

Par ailleurs, le nombre de mineurs artisanaux du cobalt est estimé à 200.000, ce qui rend leur déplacement en masse très compliqué.

«C’est le Far West de l’industrie minière», estime un analyste, pour qui ce serait pourtant une erreur de se détourner du cobalt congolais.

Un directeur de «l’Alliance du cobalt équitable» (ACE, initiative de la profession), David Sturmes, considère que compagnies minières et creuseurs ont tous intérêt à redorer son image.

«Les conditions d’exploitation du cobalt artisanal congolais ne sont pas à la hauteur des attentes internationales», juge-t-il. «Mais elles ne s’amélioreront pas tant qu’on n’y investira pas, et nous nous pourrons investir que si nous réglons la question de la légalisation».

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 02/11/2022 à 08h21