Rwanda: ces femmes rescapées du génocide, devenues mères de tous les orphelins

L’Association des veuves du Génocide, AVEGA-Agahozo.

Le 21/04/2024 à 16h13

Après le génocide perpétré contre les tutsi au Rwanda, le pays était en ruines. Des enfants qui avaient survécu mourraient de faim, les femmes pleuraient leurs enfants. Mais il fallait panser des blessures et réapprendre à vivre. Une tâche à laquelle l’Association des veuves du génocide a beaucoup contribué.

Sur le podium, Esther Mujawayo est assise avec deux autres auteurs et la modératrice d’un panel auquel elle est conviée. Au fait, ils sont là pour le lancement du livre, «Entendez-nous», co-écrit par les membres fondateurs de l’Association des veuves du Génocide, AVEGA-Agahozo et Daniel Le Scornet. Mais Esther n’en revient pas d’être devant des centaines de personnes bien portant et bien habillées et dans une belle salle. Car, il y a trente ans, elle n’aurait jamais cru qu’elle serait encore là, bien souriante.

«J’ai vraiment eu un choc positif en arrivant ici. Je me suis dit que c’était impossible que tout ça soit pour nous. Je voudrais vous remercier à vous tous qui sont ici et ceux qui nous ont sauvé la vie». Avant de parler du livre, Esther a tenu à partager avec le public l’impressionnant parcours de AVEGA-Agahozo. Et quand elle en parle, le public est comme scotché. Quel parcours! Quelle force!

Voici l’histoire en résumé: Alors que le monde se remettait de cet horrible événement, un groupe de cinquante femmes s’est réuni à Kigali. Le 15 janvier 1995, ces survivantes se sont données rendez-vous pour partager leurs expériences du génocide. Elles étaient toutes devenues veuves pendant les violences et leur objectif était de s’entraider, de se soutenir et de se réconforter.

«On pensait qu’on était devenues folles; et c’est vrai qu’on était un peu folles mais on s’est rendues compte que ça aide quand tu n’es pas la seule folle. Parce que quand tu racontais tes folies aux autres, par exemple comment tu es sortie et que plus tard tu t’es rendue compte que tu avais mis la robe à l’envers, et quand tu racontes ça on rigole et on te raconte pire que la robe à l’envers et ça soulageait beaucoup», confie Esther

C’est avec cet exercice que ces femmes ont commencé à voir les bienfaits du partage et ainsi de la thérapie. Plus tard, certaines d’entre elles sont même parties se faire former pour devenir des psychiatres pour revenir et aider le pays. Entre-temps, les spécialistes en la matière ont commencé à venir les soutenir comme poursuit Esther.

«Je me souviens du psychiatre Sydney Brandon qui est venu nous voir et qui nous a dit une chose très importante et c’est ça vraiment la base du travail avec tout le traumatisme. Il nous a dit qu’il ne fallait pas avoir peur, que nous ne sommes pas folles comme on le pensait mais que par contre, ce que nous avons vécu était fou. Que nos réactions de robe à l’envers, de mettre le sel dans la nourriture quatre fois et de brûler la nourriture, il nous a dit que tout ça était normal vu tout ce que nous avons vécu».

Au fur et à mesure que leur groupe grandissait, elles ont décidé de créer une association pour aider les veuves et leurs familles. Elles l’ont appelée AVEGA-Agahozo. AVEGA signifie Association des Veuves du Génocide. Agahozo en kinyarwanda signifie «Sécher les larmes».

En même temps qu’elles prenaient soin d’elles, elles faisaient face à plusieurs défis notamment celui des orphelins éparpillés dans tout le pays. C’est alors qu’elles ont pris la décision de prendre quelques uns chez elles tandis que d’autres allaient vers des orphelinats qui commençaient à voir le jour un peu partout.

Dancille Mukandoli, une des fondatrices d’AVEGA-Agahozo, se souvient. «Nous nous sommes dit qu’il fallait en finir avec les larmes et entrer dans la période de détermination et d’action. Beaucoup de femmes se retrouvaient cheffes de familles et on a vite compris que le pays avait besoin de nous. Nous avons fait une réunion dans laquelle nous avons décidé que chaque femme devrait accueillir des orphelins chez elle. Il y en avait qui prenait même jusqu’à 15 enfants dans leurs petites maisons»

Aujourd’hui, 30 ans après, ces orphelins sont devenus parents. Ils ont fait de ces veuves des grand-mères. Ce sont des leaders, des créateurs de solutions aux problèmes auxquels fait face le pays. Ils contribuent au rayonnement du Rwanda sur la scène internationale et cela fait la fierté de celles qui se sont forcées pour donner de l’affection qu’elles n’avaient pas, pour soigner des blessures alors qu’elles en avaient également. Aujourd’hui, ces orphelins font pleurer Esther car ils sont la preuve vivante que nos choix façonnent notre vie.

«Notre force motrice, c’était de faire de notre souffrance quelque chose de bien, de notre puanteur quelque chose de bien parfumé. Car ça puait mes chers. L’après génocide, ce n’était pas évident. On n’était pas propres. On n’était pas de belles dames comme on l’est maintenant dans nos imishanana (habit traditionnel rwandais, ndlr) parce qu’on sortait des trous, on sortait d’une salissure indescriptible…. Le pire des souffrances dont on a été victimes, c’est la violence systématique. Nous avons été salies dans tout notre être, nous avons été violées, nous avons été infectées du SIDA… Aujourd’hui s’il y a une fierté, c’est de vous voir, vous les jeunes qui étiez des gamines et des gamins responsables de vos frères et sœurs avant l’âge. Aujourd’hui, je suis contente de voir que vous avez fondé vos propres familles, que de ce tas de fumier est sorti quelque chose de beau».

Aujourd’hui, AVEGA-Agahozo compte parmi ses membres plus de 20.000 veuves et plus de 71.000 personnes à charge et orphelins du génocide. L’association travaille également avec des jeunes qui subissent des traumatismes transgénérationnels et avec des enfants nés de viols commis pendant le génocide. Ce qui a commencé par une conversation s’est transformé en un réseau de soutien à l’échelle nationale qui aide les gens à créer des entreprises, à devenir financièrement indépendants, à récupérer les terres et les biens perdus et surtout et plus important à accéder à un soutien en matière de santé mentale.

Par Fraterne Ndacyayisenga
Le 21/04/2024 à 16h13