Un siècle plus tard, le Sénégal retrouve la voix de ses tirailleurs, prisonniers d’une guerre qui n’était pas la leur

Le 06/06/2024 à 07h45

VidéoLe Musée des civilisations noires de Dakar accueille jusqu’au 21 juin l’exposition «Échos du passé», où résonnent des voix grésillantes enregistrées il y a de cela plus d’un siècle. Ce sont des archives sonores exceptionnelles des tirailleurs sénégalais faits prisonniers lors de la Première Guerre mondiale. L’Allemagne en a restitué une partie. Une première historique.

Cette exposition «Echos du passé, à la découverte du patrimoine culturel immatériel», qui se déroule au musée des civilisations noires de Dakar, est le fruit d’une coopération entre l’Allemagne et le Sénégal. Dans ce cadre, les autorités sénégalaises ont reçu de l’Allemagne une partie des archives sonores d’anciens combattants sénégalais emprisonnés dans des camps, à Berlin, lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918).

Une vingtaine d’archives sonores sont présentées au musée de Dakar, les plus anciennes datent de 1910 et ont été réalisées dans un lieu de divertissement à Berlin. La plupart émanent de prisonniers de guerre du camp de Wünsdorf, près de la capitale allemande, enregistrés entre 1915 et 1918.

«Il s’agit pour la plupart de tirailleurs sénégalais de la Première Guerre mondiale, prisonniers capturés. Je pense qu’ils étaient relativement bien traités parce qu’on leur avait même construit une mosquée. Les Allemands en ont profité pour en savoir plus sur la culture de ces soldats noirs», a indiqué le directeur général du Musée des civilisations noires, professeur Hamady Bocoum. Cette mosquée a été ouverte le 13 juillet 1915, la première sur le sol allemand.

Ce qui permet aujourd’hui d’authentifier ces éléments sonores, sont des khassaïdes et bourdes (chants religieux), contes, anecdotes et autres éléments de langage propres au Sénégal et identifiés à travers ces enregistrements remis aux autorités sénégalaises.

«Le ouolof s’est beaucoup transformé dans les zones urbaines. Certains mots renvoient à des univers qui n’existent plus, mais la structure est restée la même (...) Je lance un appel à tous les pays du monde qui ont eu à coloniser des pays d’Afrique et du monde d’avoir l’honnêteté de déclasser ce patrimoine immatériel oral et de le ramener, parce que ça va réconcilier les peuples», déclare Massamba Gueye, chercheur et commissaire de l’exposition, cité par la presse.

Les spécialistes allemands expliquent que «les enregistrements ont été réalisés entre 1915 et 1918, dans un camp de 4.000 prisonniers musulmans à Wünsdorf, près de Berlin». Selon eux, il y avait plus de 8.000 soldats faits prisonniers dans les rangs de ceux qui combattaient pour la France et la plupart d’entre eux venaient des colonies françaises.

Au Sénégal, les visites se poursuivent timidement au Musée des civilisations noires et ceux qui ont écoutés ces enregistrements sont formels: les tirailleurs sénégalais, malgré l’appel du devoir, n’avaient aucune envie de participer à cette guerre qui n’était pas la leur.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 06/06/2024 à 07h45