Tunisie: inquiétude sur l'aggravation des déficits jumeaux et les problèmes de leur financement

Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie

Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. DR

Le 23/05/2022 à 16h36, mis à jour le 23/05/2022 à 16h43

Le déficit budgétaire et celui du compte courant vont fortement se creuser par rapport aux prévisions de la loi de finances 2022, selon la Banque centrale de Tunisie. Toutefois, le problème du financement des déficits jumeaux sans un accord préalable avec le FMI se pose avec acuité.

Les effets de la crise russo-ukrainienne vont impacter durement l’économie tunisienne et aggraver les déséquilibres des grandeurs macroéconomiques du pays. Outre l’effet de l’inflation importée, qui touche particulièrement les citoyens qui voient leur pouvoir d’achat s’éroder, l’Etat tunisien aussi fait face à une aggravation inquiétante des déséquilibres de ces indicateurs économiques.

Les effets de la flambée des cours de l’énergie et des produits agricoles vont aggraver le déficit budgétaire prévu par la loi de finances en cours d’exécution. Selon le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane el Abassi, le déficit budgétaire devrait s’établir à 9,7% du PIB en 2022, contre 6,7% prévus par la loi de finances en cours.

Cette aggravation s’explique par la flambée des prix des produits agricoles, alimentaires et énergétiques. A ce titre, alors que la loi de finances a été établie sur la base d’un prix du baril de pétrole à 75 dollars, celui-ci se négocie actuellement à 112 dollars, après avoir frôlé les 130 dollars en mars dernier (128 dollars le 8 mars). D’ailleurs, depuis le début de l’année, le cours du baril n’est jamais descendu, pas une seule fois, sous la barre des 75 dollars. Ce gap entre la prévention et le cours réel accentue le déficit budgétaire. De même, la flambée du cours des céréales subventionnées, notamment le blé, s’est traduite par une hausse significative de la facture de compensation.

Et pour ne rien arranger, le dollar s’est aussi fortement apprécié, augmentant le coût des importations énergétiques. «L’augmentation d’un dollar du prix du pétrole entraînera une augmentation de 137 millions de dinars tunisiens (MDT) des dépenses d’indemnisation. De même, une augmentation de 10 dollars du prix des céréales engendrera un surcoût de 88 millions de dinars tunisiens pour le fonds d’indemnisation», selon les estimations du gouverneur.

Parallèlement, le déficit du compte courant aussi devrait augmenter à 10% du PIB en 2022, contre une prévision initiale de 6,8% et seulement 6,1% en 2021. Outre la faiblesse de la demande mondiale adressée à l’économie tunisienne depuis le déclenchement de la crise sanitaire en 2020, le déficit de la balance commerciale sera aggravé cette année par la flambée des cours du pétrole et des produits agricoles. A titre d’exemple, la Tunisie a acquis en mars dernier 125.000 tonnes de blé au cours moyen de 500,64 dollars la tonne, alors que le prix de celui-ci s’échangeait à moitié prix à la même période de l’année dernière.

Du coup, le pays s’attend à un creusement significatif du déficit commercial sous l’effet combiné du déficit commercial qui sera abyssal, alors que le tourisme n’arrive pas vraiment à retrouver sa dynamique à cause de la pandémie, ainsi que de la crise ukrainienne qui va réduire à néant les arrivées de touristes russes et ukrainiens.

Partant, se pose avec beaucoup d’acuité le financement de ces déficits. Cela, d’autant que la Tunisie n’arrive pas à trouver un terrain d’entente avec le Fonds monétaire international (FMI) lui ouvrant un important prêt de 4 milliards de dollars. L’institution de Breton Woods exige cette fois-ci que la Tunisie s’engage sur des réformes structurelles avant tout accord.

Seulement, les réformes exigées par l’institution sont si impopulaires (réduction des effectifs de la fonction publique, gel des recrutements et des salaires, élimination progressive des subventions sur les produits de première nécessité, privatisation, etc.) que les dirigeants tunisiens souhaitent trainer les pieds avant tout accord. Des exigences que la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT) ne souhaite pas avaliser. D’ailleurs, elle vient de dire non au dialogue prôné par le président et dont elle était l’une des rares organisations invitées à la table. C’est dire que l’accord avec le FMI indispensable pour l’obtention d’un prêt, et donc pour pouvoir sortir plus facilement sur le marché international de la dette, est loin d’être acquis.

Cependant, le temps ne joue pas en faveur de la Tunisie. En sus, la dégradation de sa notation par les agences de rating est telle que le pays aura du mal à emprunter sur le marché international des capitaux. D’où le souhait du gouverneur de la BCT pour qu’un accord soit rapidement trouvé avec le FMI. Et selon Abassi, le recours à un prêt du FMI devient «indispensable» pour faire face à un gonflement du déficit budgétaire et de l’endettement.

Déjà, à fin 2021, l’endettement avait atteint 100 milliards de dinars tunisiens, soit 30 milliards d’euros, soit un niveau supérieur au seuil de soutenabilité fixé par les institutions financières à hauteur de 70%. Et la situation n’a fait que se dégrader depuis lors avec un service de la dette devenue intenable pour les finances publiques tunisiennes. C’est dire que le financement des déficits constitue une véritable épine dans le pied du président Kaïs Saied qui s’est mis tout le monde à dos.

Par Karim Zeidane
Le 23/05/2022 à 16h36, mis à jour le 23/05/2022 à 16h43