En Tunisie, notamment dans certaines villes du Sud, comme Médenine ou Djerba, des habitants noirs descendants d'esclaves portent encore sur leurs papier d'identité la mention "atig" ("affranchi par") ou "chouchane" ("esclave") accolée à leur prénom.
Ainsi, sur tous leurs papiers, Karim et ses proches sont désignés comme "atig Dali", c'est-à-dire que leurs ancêtres ont été affranchis par la famille Dali, dont ils ont pris le nom, une mention qui souligne leur statut d'ex-esclave.
Mais son père, Hamdane Dali, 81 ans, a obtenu mercredi, dans une décision du tribunal de première instance de Médenine, que cette mention "atig" soit retirée de ses documents d'identité, une décision valable pour toute la famille.
"Citoyen libre"
"Pour la première fois, je me sens un citoyen libre et qui a les mêmes droits que les autres!", s'est réjoui Karim, diplômé d'anglais qui habite Djerba où il a travaillé dans l'hôtellerie. "Vraiment c'est une victoire contre le racisme et la discrimination en Tunisie"!
Déjà en 2017, Karim avait présenté une demande au ministère de la Justice réclamant à travers un avocat qu'on lui retire ce surnom humiliant, mais celle-ci avait été rejetée.
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"+Désolé, on ne peut rien faire pour le moment+ avait répondu le ministère" à l'époque, a-t-il expliqué à l'AFP.
Karim estime que ce surnom est source de beaucoup de blocages surtout lorsqu'il présentait sa candidature à des emplois. "Je ne me sentais pas vivant", regrette-t-il.
"Dès que les employeurs voient le mot +atig+ sur mes papiers, ils me traitent avec beaucoup de mépris", ajoute Karim, ajoutant qu'il se sentait très mal à l'aise quand il devait montrer ses papiers d'identité.
Pourtant, la Tunisie se targue d'avoir été pionnière dans l'abolition de l'esclavage, décidée par le pouvoir beylical dès 1846.
En octobre 2018, le Parlement a adopté une loi jugée historique criminalisant les propos racistes, l'incitation à la haine et les discriminations. Ces actes sont désormais passibles de trois ans de prison et de 5.000 euros d'amende.
Mais le chemin reste long pour les ONG tunisiennes qui militent contre toute forme de discrimination envers les noirs dans le pays.
Le retrait des surnoms "racistes et dévalorisants" sont parmi les priorités, explique Saadia Mosbah, présidente de l'Association de défense des minorités M'nemty.
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"La question de la discrimination contre les noirs en Tunisie n'a jamais été une priorité ni mise sur la table par les hauts responsables de l'Etat, qui sont toujours dans le déni", a déploré à l'AFP Mme Mosbah.
"Héritage de l'esclavagisme"
"C'est pour cela que personne n'en parle, ni ministre, ni chef du gouvernement, ni président de la République", selon cette militante, dont l'organisation a accompagné le combat judiciaire de la famille Dali.
La décision en faveur de Hamdane Dali représente pour elle un "tournant", "qui nous encourage à avancer malgré nos petits moyens".
Saluant un jugement "historique", Minority Rights Group International (MRG) a souligné qu'il "ouvre la voie à des procédures semblables pour d'autres Tunisien.ne.s noir.e.s qui pourront à leur tour changer leur nom et véritablement faire le choix de leur identité".
"Porter ce nom est un rappel continu de l'héritage de l'esclavagisme", indique Silvia Quattrini, de MRG.
Pour tous les autres descendants d'esclaves ainsi catalogués, Mme Mosbah appelle le ministère de la Justice à mettre en place une commission spéciale chargée d'alléger la procédure judiciaire de changement de nom.
L'objectif sera également de préparer un décret-loi à soumettre à la signature du président de la République Kais Saied, qui retirerait les surnoms racistes pour tous Tunisiens noirs.
Dans ses multiples discours, ce spécialiste de justice constitutionnelle a affirmé vouloir la dignité et justice pour tous les Tunisiens.
"Nous attendons qu'il concrétise ce qu'il annonce en public", lance Mme Mosabh.