Algérie: la dégringolade du dinar commence à inquiéter

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Le 28/02/2018 à 15h48, mis à jour le 28/02/2018 à 15h50

Le dinar algérien a perdu plus de 21% de sa valeur en l’espace d’une année, face à l'euro. Sur le marché noir, devenu le véritable baromètre du taux de change du pays, la déconnexion avec le marché formel est énorme. Pourquoi une telle chute qui commence à inquiéter et à alimenter des rumeurs?

Le dinar algérien ne cesse de dégringoler face aux devises étrangères et particulièrement face à l’euro. Ainsi, au niveau du marché officiel, en l’espace d’une année, le dinar a perdu 21,357% de sa valeur face à l’euro. S’il fallait 116,540 dinars pour un euro auparavant, il faut actuellement 141,430 dinars pour 1 euro, sur le marché interbancaire, le marché officiel. A titre de comparaison, sur la même période, le dirham marocain s’est déprécié de seulement 6,317% par rapport à la monnaie unique européenne.

Ce mouvement baissier continu du dinar algérien s’est surtout accéléré depuis fin juin 2017. Entre le 26 juin 2017 et 26 février 2018, le dinar a perdu 16,884% de sa valeur par rapport à l'euro.

Toutefois, c’est au niveau du marché parallèle que le cours du dinar affiche sa plus forte dégringolade. En effet, il faut aujourd'hui plus de 209 dinars pour 1 euro au "marché noir". Autrement dit, on note un déphasage de 68 dinars entre le cours officiel de la Banque d’Algérie et celui du marché parallèle, devenu le véritable baromètre du marché de change en Algérie, sachant que le secteur informel, qui contrôle 70% de la sphère commerciale algérienne, aligne ses prix sur la cotation du dinar sur le marché parallèle et non sur le cours du marché interbancaire, jugé artificiel.

Ce déphasage s'explique par le déséquilibre entre la demande et l’offre en euro qui est telle que le marché parallèle est devenu une véritable bourse parallèle, dont le cœur est Square Port Saïd où s’effectuent les ajustements naturels entre la devise européenne et le dinar algérien.

Cette forte dépréciation entretient l’inflation et amoindrit le pouvoir d’achat des Algériens. Ainsi, le salaire moyen net mensuel d’un algérien, qui s'élève à 39.900 dinars, ne correspond plus qu’à 191 euros, celui d’un médecin généraliste (53.000 dinars) à 256 euros et le SMIC (20.000 dinars) à seulement 95 euros. 

Résultat: pour voyager, un Algérien doit énormément épargner pour faire face aux frais de voyage. Ce qui explique que les Algériens se rendent massivement en Tunisie, où ils étaient 2,5 millions en 2017. 

Mais comment expliquer la dégrindolade du dinar face à l'euro? Plusieurs raisons sont avancées. Au delà de l'appréciation de la monnaie unique européenne par rapport aux autres devises, Il y a d'abord l’effet de la crise que traverse l’Algérie depuis 2014 dans le sillage de l’effondrement des cours du baril de pétrole. En effet, l’économie algérienne étant essentiellement bâtie sur la rente pétrolière, qui représente 95% des recettes du pays avec un tissu productif très faible, l’effondrement des cours s’est traduit par une chute des resources financières du pays. Une situation qui a fortement impacté les recettes budgétaires et les réserves en devises du pays.

Du coup, l’Etat algérien a laissé volontairement glisser le dinar pour cacher l’importance du déficit budgétaire, biaisant ainsi les comptes publics du pays. Ainsi, la dépréciation du dinar face à l’euro et au dollar gonfle artificiellement la fiscalité des hydrocarbures et par ricochet, augmente artificiellement les recettes budgétaires exprimées en dinar et tend à réduire artificiellement le niveau du déficit.

En outre, l’évolution du dinar est fortement corrélée à l’évolution des réserves en devises du pays. Or, celles-ci ont connu un plongeon au cours des 4 dernières années, en accusant une baisse de 100 milliards de dollars pour se situer à 97 milliards de dollars à fin 2017. Outre la baisse des recettes tirées des exportations d'hydrocarbures, ces réserves sont épuisées aussi par le niveau du déficit commercial consécutif à l'envolée des importations.

La facture des importations a connu une forte hausse au cours des dernières années (58,58 milliards de dollars en 2014, 51,5 milliards en 2015, 49,7 milliards en 2016 et 48,8 milliards en 2017) poussant les gouvernements à prendre des mesures radicales, dont la mise en place des quotas et des restrictions à l’importation afin d’atténuer le déficit commercial abyssal et les sorties de devises.

Ainsi, pour faire face au déficit budgétaire et au déficit commercial, les gouvernements qui se sont succédés ces dernières années ont soutenu la dépréciation du dinar. Mohamed Loukal, le gouverneur de la Banque d’Algérie, l’a lui même reconnu en juillet 2017 lors d’un séminaire de l’Ecole supérieure de Banque, en soulignant que «face à la détérioration des fondamentaux de l’économie nationale, la Banque d’Algérie a procédé à une dépréciation du taux de change du dinar vis-à-vis du dollar de près de 20%. Le taux de change a donc joué dans une large mesure son rôle d’amortisseur et de première ligne de défense».

Une explication que vient renforcer Djamel Benbelkacem, vice-gouverneur de la Banque d’Algérie, lors de sa dernière sortie sur la radio nationale algérienne. Il a expliqué que le dinar a perdu 16% de sa valeur par rapport à l’euro en 2017. Seulement, explique-t-il, cette dépréciation n’est pas le fruit d’une politique volontariste des autorités monétaires algériennes mais le fruit de l’appréciation de l’euro sur les marchés des changes internationaux. Toutefois, ajoute-t-il, cette dépréciation a touché d’autres pays comme la Turquie, le Brésil, la Malaisie, pour justifier que si le dinar algérien n’avait pas connu de dépréciation, «il aurait accordé une prime aux importations en provenance de ces pays». Et tout en reconnaissant que le gouvernement Sellal a eu recours à cet instrument durant la période 2014-2016.

Seulement, cette politique de dépréciation volontaire du dinar est critiquée par les économistes algériens. En effet, quand on déprécie sa monnaie, c’est pour encourager les exportations et attirer les investissements directs étrangers. Or, hormis les hydrocarbures, l’Algérie n’exporte presque rien. 97% des recettes proviennent des hydrocarbures et dérivés. Quant aux investissements étrangers, la loi 51/49, qui accorde obligatoirement la majorité absolue du capital aux Algériens, décourage les investisseurs étrangers.

Par ailleurs, cette dépréciation est aussi une réponse des autorités algériennes, même si elles ne l’avouent pas, aux recommandations des institutions financières internationales, notamment le FMI, qui ont toujours soutenu que le dinar algérien était surévalué d’au moins 20%. L’ajustement naturel du dinar se fait donc sur le marché noir où le véritable cours du dinar s’affiche.

De même, la valeur du dinar sur le marché parallèle s’explique aussi par le niveau de la dotation touristique. Fixée à 100 euros seulement, cette négligeable dotation pousse les Algériens qui souhaitent se rendre à l’étranger, pour n’importe quel besoin, à recourir au marché noir. Ainsi, à cause de sa politique de restriction à l’accès aux devises, l’Etat alimente la déconnexion entre le marché officiel régulé par la Banque d’Algérie et le marché noir.

Autre facteur: le recours à la planche à billets, la trouvaille du Premier ministre Ahmed Ouyahia pour faire face au financement du déficit budgétaire. D’ailleurs, c’est entre le 26 juin 2017 et le 26 février 2018 que la dépréciation du dinar s’est accélérée, avec une baisse de 16,884% sur la période. C'est dire que depuis l'annonce du recours à ce mécanisme de financement, les cambistes du marché parallèle anticipent et parient sur la dépréciation du dinar, accélérant la baisse de la monnaie algérienne face à l'euro. 

Enfin, cette dépréciation est entretenue au niveau du marché parallèle par le fait qu’elle profite à beaucoup d’acteurs en Algérie, dont les banquiers véreux qui tirent profit de cette situation, les cambistes du marché parallèle, les opérateurs économiques, les émigrés qui ne passent plus par les circuits officiels, préférant le marché parallèle beaucoup plus rémunérateur et bien sûr, les gros bonnets qui ont accès aux devises et qui réalisent des marges importantes au niveau du marché noir.

Du côté des perspectives, tout indique que le dinar devrait continuer à se déprécier dans les mois où les années à venir. Les cambistes du marché noir anticipent la poursuite et certains parient sur une probable dévaluation, à moins qu’une hypothétique envolée du cours du baril de pétrole ne vienne redonner au dinar une partie de son lustre d’antan.

En attendant, l’inquiétude gagne du terrain au fur et à mesure que les Algériens comprennent que leur monnaie ne vaut plus grand chose par rapport aux devises étrangères.

Du coup, certaines rumeurs ont même fait état d’un possible changement de la monnaie. Le vice-gouverneur de la Banque d’Algérie a été obligé de démentir. Cependant, il a tenu à expliquer que la pays va procéder au «rafraichissement des billets de banque en circulation», justifiant cette opération par le fait que certaines coupures sont en circulation depuis 30 ans. C'est dire que la rumeur n'est pas sans fondement. 

Reste à savoir si le gouvernement ne compte pas profiter du changement de coupures pour changer la valeur faciale de la monnaie, comme ce fut récemment le cas en Mauritanie. Un procédé loin d’être indolore et qui accroît le niveau de l’inflation.

Par Moussa Diop
Le 28/02/2018 à 15h48, mis à jour le 28/02/2018 à 15h50