Algérie. La rue obtient la tête de Belaiz: mais toujours pas de solution politique

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Le 18/04/2019 à 15h38, mis à jour le 18/04/2019 à 15h40

Le remplacement de Tayeb Belaiz à la tête du Conseil constitutionnel semble être une nouvelle concession à la rue algérienne, mais au-delà du symbole sera-t-elle suffisante pour apaiser la contestation, qui réclame toujours le départ de l'ensemble des acteurs du "système"?

Avec Abdelkader Bensalah, chef de l'Etat par interim, et le Premier ministre Noureddine Bedoui, Tayeb Belaiz était l'un des "3B", membres du premier cercle autour d'Abdelaziz Bouteflika, dont les manifestants continuent de réclamer la démission.

Président du Conseil constitutionnel pour la 2e fois, longtemps ministre de la Justice puis de l'Intérieur, M. Belaiz a toujours servi loyalement M. Bouteflika. En février, prêtant serment comme nouveau président d'une institution chargée de faire respecter la Constitution, il avait juré fidélité au chef de l'Etat.

"M. Belaiz a été une pièce maîtresse dans l'édifice politique et institutionnel mis en place par Bouteflika pour verrouiller le système politique algérien", rappelle Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) de Genève.

En 2013, alors que le chef de l'Etat était hospitalisé durant 80 jours à Paris en raison d'un AVC, puis à nouveau en mars dernier, il était resté sourd aux demandes d'enclencher la procédure déclarant le président "empêché" de gouverner. En tant que président du Conseil constitutionnel, il était le seul à pouvoir le faire.

Ministre de l'Intérieur dans l'intervalle, il a organisé la présidentielle de 2014 remportée au 1er tour avec 81% des voix par un Abdelaziz Bouteflika invisible durant toute la campagne.

Hors de question pour les manifestants qu'un serviteur aussi zélé dirige l'institution chargée de valider les candidatures et de contrôler la régularité de la présidentielle qui élira le successeur de M. Bouteflika.

Difficile à dire. Bien que M. Belaiz soit théoriquement inamovible, certains observateurs attribuent son départ au général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée, devenu de facto l'homme fort de l'Algérie depuis la démission d'Abdelaziz Bouteflika.

Membre d'un clan autour de M. Bouteflika avec qui le général Gaïd Salah est en conflit, M. Belaiz pourrait payer son refus d'enclencher fin mars le processus constitutionnel "d'empêchement" du chef de l'Etat, "suggéré" par l'armée.

Quoi qu'il en soit, "M. Belaiz était dans une position inconfortable", souligne M. Abidi, "la pression de la rue (...) et l'impatience de l'armée ont eu raison de lui".

Son départ permet en outre au général Gaïd Salah, également visé par les manifestants, de donner l'impression d'être à l'écoute des revendications.

Les raisons du départ de Tayeb Belaiz sont "un tout petit détail", estime de son côté Mohamed Hennad, professeur de Sciences politiques à l'Université d'Alger, qui y voit une des régulières "offrandes" au peuple pour "calmer ses courroux" depuis le début de la contestation le 22 février.

Le président du Conseil constitutionnel est en outre chargé de l'intérim à la tête de l'Etat si celui-ci devenait vacant. De quoi susciter toutes sortes de spéculations sur un possible départ de M. Bensalah.

Inconnu du public, Kamel Feniche est un magistrat ayant fait carrière essentiellement au Parquet, avant de siéger à la Cour suprême (équivalent de la Cour de cassation) puis au Conseil d'Etat, dont il présida une Chambre.

Il siège depuis 2016 au Conseil constitutionnel, désigné sur le contingent du Conseil d'Etat (qui nomme deux membres sur 12).

Sa désignation pour remplacer M. Belaiz -un choix "par défaut", selon Hasni Abidi- semble confirmer la difficulté de trouver des hommes neufs dans un système qui a fait le vide autour de lui depuis 20 ans.

Professeur en Sciences de l'information et de la communication à l'Université d'Alger 3, Redouane Boudjema, voit en lui un "juge inconnu", sans "charisme ni expérience".

C'est peu probable... D'abord, s'il n'a pas de passé "politique", il a fait partie du "système" en tant que haut magistrat depuis 20 ans.

Surtout, son ancien passé de procureur a refait surface à la faveur de sa nomination: d'ex-militants du mouvement berbériste l'accusent d'avoir requis et obtenu des années de prison contre des lycéens et étudiants ayant pris part aux manifestations de mai 1981 à Béjaïa (Kabylie).

Le départ de M. Belaiz semble confirmer que la contestation obtient une concession ou une nouvelle tête après chaque vendredi de manifestations. Mais il est loin de satisfaire la revendication exprimée: le départ de la totalité des personnalités du "système" Bouteflika, et la mise en place d'institutions ad hoc pour entamer un processus de transition.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 18/04/2019 à 15h38, mis à jour le 18/04/2019 à 15h40