Algérie. Bienvenue dans l'enfer des migrants subsahariens

DR/ Crédit AFP, Farouk Batiche

Le 23/03/2018 à 17h22, mis à jour le 23/03/2018 à 17h52

A Alger, les migrants originaires d'Afrique subsaharienne n'osent plus mettre le nez dehors à cause des rafles. Pour faire leurs courses, ils envoient une seule personne, celui d'entre eux qui court le plus vite. Reportage.

Ils étaient venus à Alger pensant pouvoir continuer vers l'Europe, de l'autre côté de la Méditerranée. Ils finiront tous par rester, car, ils se rendent à l'évidence. La traversée n'est plus possible, d'autant que le chemin qui passe par la Libye est déconseillé. Du coup, c'est à Alger qu'ils s'établissent. Sauf que l'Algérie inhospitalière n'autorise pas le séjour des Africains subsahariens sur son sol. Tous vivent dans la clandestinité. 

Quand, il y a plus de cinq ans, la manne pétrolière coulait à flots, le régime tolérait cette main-d'œuvre bon marché, qui maintenue dans une situation d'insécurité due à sa clandestinité, est corvéable à merci. Seulement, voilà, les choses ont changé entre-temps. Les cours du pétrole ne sont plus ce qu'ils étaient, le gouvernement a du mal à joindre les deux bouts.

Plusieurs chantiers sont à l'arrêt. Et par populisme, le régime fait croire à l'Algérien lambda que les Subsahariens sont venus leur voler des milliers d'emplois. Le discours raciste des plus hauts responsables du pays est clairement assumé. Et joignant l'acte à la parole, l'Algérie se livre à une véritable chasse au migrant illégal. Des milliers de Subsahariens sont raflés et jetés dans le désert. Néanmoins à Alger, où les employeurs dans le bâtiment ont encore besoin de cette main-d'oeuvre, ils sont nombreux à travailler. C'est dans leur enfer que le quotidien français Le Monde a décidé de plonger le temps d'un reportage. 

Tout commence dans un "maquis", terme africain qui signifie une gargote, mais à Alger, le terme désigne un bar-restaurant clandestin. Les chaises sont en plastique, la télé diffuse un dessin animé japonais, le décor est glauque, l'ambiance morose, les regards des clients se perdent dans le plancher ou le plafond. On se regarde dans les yeux, sans réellement se voir, chacun noyé dans ses soucis ou la peur d'une descente policière qui peut intervenir à tout instant. 

C'est donc dans ce maquis que se donnent rendez-vous Camerounais, Ivoiriens, Guinéens, Maliens pour parler de choses souvent tristes. Tantôt c'est d'une personne décédée dont il faut rapatrier le corps et comme il n'y a pas d'assistance pour les migrants, il faut se cotiser pour rassembler les 3.000 à 4.000 euros demandés par les pompes funèbres. Tantôt, il s'agit d'une personne malade qu'il faut soutenir.

Et puis, il y a la sempiternelle question des rafles. Bien souvent, tous ces sujets sont mêlés dans un seul, comme aujourd'hui quand une femme, vêtue d’une large robe d’intérieur, évoque le cas d’une compatriote. "Elle est hospitalisée depuis une semaine déjà! Qu’est-ce qu’on fait? On ne sait même pas si elle a besoin qu’on aille lui acheter des médicaments! Je devais aller la voir à l’hôpital aujourd’hui, mais les gens m’ont fait peur avec leurs histoires de police", dit-elle. 

Ce quotidien, fait de violence psychologique entretenue par la police, les menaces de rafles et les actes racistes, explique que les migrants n'osent plus mettre le nez dehors. Le bar-restaurant clandestin a vu sa clientèle baisser depuis le début de l'année à cause des expulsions dans le désert. Beaucoup de migrants ne sortent plus et restent sur les chantiers, où ils dorment. 

Pour se rendre au chantier, il faut faire une dizaine de kilomètres de route et se rendre dans la banlieue d'Alger. Des milliers d'appartements y sont en construction, des engins de chantier font des allers-retours sur des routes cahoteuses. Les dizaines d'ouvriers subsahariens complètent le décor. "Depuis plusieurs mois, les gendarmes viennent la nuit pour arrêter des gens et les refouler. Alors on ne dort plus là, on se cache dans les chantiers", explique Issa, un Guinéen.

Souleymane, lui, est un Ivoirien qui a été embauché comme gardien, un travail qui lui va, parce qu'au moins la nuit, on reste éveillé, évitant ainsi d'être pris par surprise par les gendarmes qui mènent des descentes régulières. Car, "la nuit, on fait le guet. Si on se fait attraper et refouler, on perd tout: nos économies, nos affaires et le salaire que le patron nous doit encore", explique-t-il. Pourtant, regrette-t-il en montant les immeubles alentour, "Tout ça, nous y avons participé. On fait les tâches difficiles, on porte des sacs, on monte des murs, on peint… Nous ne sommes pas des voleurs, pourquoi nous traite-t-on comme ça ?". 

La peur s'est installée parmi les migrants. Dans les appartements, beaucoup n'osent plus sortir et ce sont les enfants qui ouvrent les portes quand on entend sonner. "Au moins, la police ne les arrêtera pas", dit l'un des résidents d'un appartement occupé par plus d'une dizaine de ses camarades. 

"Tout ça devient insupportable, résume un acteur associatif submergé par les demandes d’aide. Les autorités ne donnent aucune explication, les gens ont peur. C’est une régression". Mais, Alger n'a cure de ce recul et le régime prend même un malin plaisir à jeter les migrants dans le désert dans des conditions inhumaines. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 23/03/2018 à 17h22, mis à jour le 23/03/2018 à 17h52