Gazoduc. Algérie-Maroc: voici pourquoi le contrat du gazoduc sera renouvelé

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Le 04/10/2018 à 14h37, mis à jour le 04/10/2018 à 15h11

L’accord sur le gazoduc Maghreb-Europe sera certainement reconduit en 2021. Au-delà des considérations politiques, l’intérêt économique du gazoduc pour les deux pays plaide en faveur de la poursuite de la coopération avec des termes qui tiennent compte d’une nouvelle donne. Explications.

La reconduction du contrat du gazoduc Maghreb-Europe liant l’Algérie et le Maroc ne fait pas l’ombre d’un doute. Après les sorties de part et d’autre qui tiennent davantage de la négociation des futurs termes de la reconduction contractuelle (durée, redevance, tarifs, etc.), la raison veut que le contrat du gazoduc devant lier les deux pays soit renouvelé.

Le 11e Congrès arabe de l’énergie, organisé par l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP) qui s'est tenu à partir de ce lundi 1er octobre et qui s'achève aujourd'hui à Marrakech, a été d’ailleurs l’occasion pour les Marocains et les Algériens d’exprimer clairement la nécessité d’une reconduction du contrat du gazoduc Maghreb-Europe, qui prend fin en 2021, après 25 ans d’exploitation.

Mustapha Guitouni, ministre algérien de l’Energie, et Aziz Rebbah, ministre marocain de l’Energie, des mines et du développement durable, ont mis les déclarations divergentes de côté pour exprimer l’intérêt pour les deux pays de la reconduction du contrat de cette infrastructure en 2021.

Après tout, ce gazoduc qui, en 22 ans de fonctionnement, n’a jamais été impacté par les tensions politiques entre les deux pays, présente des avantages économiques indéniables autant pour Alger que pour Rabat. Il faut dire que sur le plan économique, les deux pays gagnent énormément au renouvellement du contrat.

Les gazoducs connectant l'Algérie à l'Europe: (en jaune) Maghreb-Europe, (en bleu) Medgaz, (en mauve) Transmed, (en orange) Galsi

Pour l’Algérie, la question est fondamentale. L’approvisionnement de l’Espagne et du Portugal via le gazoduc Maghreb-Europe est vital surtout au moment où le pétrole algérien est sur le déclin et que la production du pays est maintenue uniquement grâce aux injections de gaz.

Du coup, ce pays mise énormément sur le gaz pour renflouer les caisses d'un Etat très dépendant aux hydrocarbures.

Or, sur ce point, le transport via le gazoduc offre un avantage compétitif indéniable. Le pipeline Maghreb-Europe présente ainsi de nombreux avantages pour l’Algérie, comparativement au recours aux méthaniers.

D’abord, la quantité de gaz exportée est beaucoup plus importante. En effet, entrée en exploitation en 1996, le gazoduc, dont la capacité a été portée à 13,5 milliards de mètres cubes normaux (nm3), permet le transit annuel de plus de 10 milliards de nm3, assurant d’importantes recettes gazières à l’Algérie.

Ensuite, il permet à l’Algérie d’exporter son gaz à moindre coût. En effet, le transport du gaz via le pipe est beaucoup moins onéreux que le recours aux méthaniers. En outre, du point de vue de la sécurité, le pipe offre toutes les garanties nécessaires pour un approvisionnement continu des marchés européens.

De fait, après 22 ans d’exploitation, on voit mal l’Algérie se détourner de cette infrastructure qui a atteint tous les objectifs qui lui ont été assignés et a montré sa fiabilité à toute épreuve.

Enfin, l’Algérie étant un des grands fournisseurs de produits énergétiques au Maroc, le renouvellement du contrat du gazoduc permettra d’entretenir de bonnes relations avec l’un de ses plus importants clients au niveau africain et arabe.

Si certains avancent que le nouveau gazoduc Hassi R’Mel-Almeria (Espagne), baptisé Medgaz, porté par la Sonatrach et les Espagnols (Cepsa et Gas Natural), avec une capacité de 8 milliards de nm3, vise à se substituer au gazoduc Maghreb-Europe, il n’en est rien.

D’abord, sa capacité reste inférieure à celle du gazoduc passant par le Maroc. Ensuite, l’Algérie ayant les ambitions de fournir davantage les pays ouest-européens, compte faire de Medgaz un complément à Maghreb-Europe pour faire face à la forte demande en gaz du marché européen et à la hausse de sa production gazière grâce aux dernières découvertes. Les deux gazoducs ne sont donc pas concurrents mais complémentaires, sachant que l’Algérie souhaite approvisionner l’Europe en gaz.

Enfin, on voit mal l’Algérie, après avoir investi dans un gazoduc de 1.300 km -520 km en territoire algérien, 540 km en territoire marocain, 45 km constituant le tronçon maritime et 270 km en Espagne- et dont les investissements ont été entre-temps amortis, se détourner de cet outil essentiel pour la compétitivité de son gaz sur les marchés espagnols et portugais.

A ce sujet, Abdelmoumen Ould Kaddour, PDG de Sonatrach, a été clair: «nous avons lancé un deuxième gazoduc pour augmenter notre capacité et pas pour fermer la voie du gazoduc Maghreb-Europe existant», a t-il souligné pour tordre le cou aux rumeurs d’une fermeture du gazoduc Maghreb-Europe.

Evolution de la redevance perçue par le Maroc sur le Gazoduc Maghreb Europe
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Si pour l’Algérie le gazoduc est vital, surtout que le pays mise sur le gaz et souhaite étendre ses approvisionnements en gaz en Europe, pour le Maroc aussi, le renouvellement de ce contrat n’aura que des retombées positives. D’abord, le Maroc perçoit quelques 7% de redevances sur le gaz transitant sur son territoire. Ce sont ainsi entre 650 et 800 millions de nm3 de gaz qui sont prélevés pour les centrales thermiques marocains. Ce qui constitue une entrée non négligeable pour le Trésor marocain. En 2014, le Trésor a encaissé 2,4 milliards de dirhams sous forme de redevances du gazoduc. Ce montant est tombé à 1 milliard de dirhams en 2016. Pour cause, cette redevance évolue en fonction du cours du gaz qui suit celui du pétrole qui lui sert de référence. Au cours de ces dernières années, cette redevance n’est plus perçue qu’en nature pour alimenter les centrales de Taheddart et d’Ain Bni Mathar.

Engagé depuis quelques années dans une stratégie d’industrialisation, le Maroc a besoin du gaz algérien. En effet, le royaume dont presque la moitié de la production électrique est assurée par le charbon importé de l’Afrique du Sud via la centrale électrique de Taqa Maroc, s’est engagé dans un processus de diversification de ses sources énergétiques. Outre les énergies renouvelables (solaire et éolien) dont il est le leader en Afrique, il compte aussi sur le gaz.

La Centrale électrique de Tahaddart d’une puissance en 384 MW, inaugurée en 2005, est alimentée à partir du gazoduc Maghreb-Europe qui passe à proximité de la centrale. De même, la centrale thermosolaire de Ain Beni Mathar d’une capacité de 470 MW, mise en service en 2010, fonctionne en partie avec du gaz naturel. Dans le cadre de son mix énergétique, le Maroc, qui ambitionne de porter la part de ses énergies renouvelables dans la puissance installée à 52% à l’horizon 2030, compte installer d’autres centrales à gaz d’une puissance cumulée de 2.400 MW.

L’approvisionnement des deux centrales en gaz naturel est assuré par la redevance sur le passage à travers le gazoduc Maghreb-Europe. (GME) du gaz algérien vers l’Espagne et par un contrat commercial direct avec la Sonatrach algérienne.

Toutefois, afin de limiter cette dépendance, le Maroc a mis en place un plan national du gaz naturel liquéfié avec une feuille de route en 3 phases: la construction du terminal GNL (stockage et regazéification), la transformation du gaz en électricité (Gas to power) et l’approvisionnement gazier de l’industrie (Gas to industry). Celui-ci permet de faire face au non-renouvellement du contrat gazier.

Outre les ressources budgétaires et l’approvisionnement des centrales thermiques, il n’est pas dans l’intérêt du royaume d’abandonner l’infrastructure du gazoduc Maghreb-Europe construite (gazoduc, stations de pompage, etc.) sur son territoire. Si les infrastructures ne sont pas utilisées, elles nécessiteront des coûts d’entretien élevés. A défaut, elles tomberont rapidement en ruine. Ce qui n’est dans l’intérêt d’aucun des deux pays.

Le renouvellement du contrat gazier en 2021 est donc dans l’intérêt des deux pays. Reste que les termes du contrat qui ont prévalu au début des années 1990, lors de la construction du gazoduc, ne sont plus mêmes et chaque pays essaye de peser sur les futures négociations pour mieux tirer profit du futur accord.

En effet, le nouveau contrat tiendra compte du fait qu’à partir de 2021, le Maroc sera le seul propriétaire des infrastructures du gazoduc Maghreb-Europe traversant son territoire, soit 540 km de gazoduc et unités de pompages.

Ensuite, l’investissement étant désormais amortis, le Maroc souhaitera certainement profiter encore plus du gaz qui traverse son sol. En outre, le gaz étant devenu un enjeu stratégique majeur, notamment pour les pays européens, les tarifs négociés seront logiquement revus à la hausse.

Par ailleurs, la découverte de gisements de gaz au Maroc et le projet du gazoduc Nigeria-Maroc sont des arguments qui vont peser lors des négociations.

Enfin, outre les intérêts du Maroc et de l’Algérie, il y a aussi ceux de l’Espagne et du Portugal qui entreront en jeu. Ces deux pays, qui dépendent du gaz algérien compétitif grâce au gazoduc, ne manqueront pas de peser sur les négociations.

Par Moussa Diop
Le 04/10/2018 à 14h37, mis à jour le 04/10/2018 à 15h11