À l’heure où la transition énergétique s’impose comme un impératif mondial, l’Afrique avance sur une ligne de crête. Le continent concentre une part croissante de la population active mondiale, tout en demeurant marginal dans la géographie globale de l’emploi dans le secteur de l’énergie.
Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), l’Afrique ne représente qu’une fraction limitée des 76 millions d’emplois énergétiques recensés dans le monde en 2024, alors même que le continent devrait accueillir, d’ici 2035, l’une des plus fortes croissances de population active. Cette dissociation entre dynamique démographique et absorption de main-d’œuvre énergétique constitue l’un des angles morts majeurs de la transition africaine, dans un contexte où l’énergie est à la fois un facteur de développement économique, d’industrialisation et de stabilité sociale.
Cette situation s’explique en partie par la structure actuelle du mix énergétique africain. D’après le World Energy Employment 2025, l’emploi dans le secteur de l’énergie sur le continent demeure fortement concentré dans les segments traditionnels de l’approvisionnement, notamment les hydrocarbures et certaines formes de bioénergie, tandis que les technologies bas carbone, en particulier le solaire photovoltaïque et l’éolien, restent encore faiblement pourvoyeuses d’emplois comparativement à l’Asie ou à l’Europe. L’Afrique ne capte ainsi qu’une part marginale de la main-d’œuvre mondiale du solaire, dominée très largement par la Chine, qui concentre à elle seule près de 60% des emplois du secteur.
Pour autant, cette photographie statique masque des dynamiques de fond plus contrastées. Le rapport de l’AIE souligne que les investissements énergétiques en Afrique progressent, notamment dans les réseaux électriques, les infrastructures de production décentralisée et les projets gaziers destinés à répondre à une demande d’électricité en forte croissance. L’emploi dans les réseaux électriques, bien que limité en volume, est appelé à augmenter dans tous les scénarios de l’AIE, à condition que les investissements dans la transmission et la distribution suivent le rythme du développement des capacités de production.
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Cette question des réseaux est centrale. L’AIE rappelle que l’Afrique souffre d’un déficit structurel d’infrastructures électriques, qui limite non seulement l’accès à l’énergie mais aussi la capacité du continent à créer des emplois durables dans les segments aval de la chaîne énergétique. Sans réseaux robustes, interconnectés et modernisés, les projets renouvelables peinent à se traduire en emplois locaux pérennes, en particulier dans l’exploitation et la maintenance.
Le cas du gaz naturel illustre également cette ambivalence. Le World Energy Employment 2025 indique que l’emploi mondial dans la production d’électricité à partir du gaz a progressé de 7% en 2024, avec une croissance attendue principalement dans les économies émergentes et en développement, dont l’Afrique. Pour plusieurs pays africains, le gaz est perçu comme une énergie de transition permettant d’accompagner l’industrialisation et de stabiliser les réseaux électriques. Toutefois, l’AIE souligne que ces emplois restent majoritairement concentrés dans les phases de construction et d’ingénierie, avec un risque de volatilité élevé en l’absence de chaînes de valeur locales suffisamment intégrées.
Au-delà des volumes d’emplois, la question de leur qualité demeure un enjeu central. Le rapport met en évidence des niveaux élevés d’informalité dans les secteurs énergétiques des économies émergentes, une réalité particulièrement marquée en Afrique. Cette informalité complique la mesure statistique de l’emploi, fragilise les conditions de travail et limite les politiques de formation et de reconversion. L’AIE insiste sur le fait que la transition énergétique ne pourra produire ses effets économiques et sociaux que si elle s’accompagne d’une formalisation progressive des emplois et d’une amélioration des standards de travail.
La question des compétences apparaît dès lors comme un verrou stratégique. Selon l’AIE, près de 60% des employeurs du secteur énergétique dans le monde signalent des pénuries de main-d’œuvre qualifiée, notamment dans les métiers techniques. Si l’Afrique dispose d’un réservoir de jeunes travailleurs important, le décalage entre les formations existantes et les besoins du secteur énergétique limite la capacité du continent à capter les nouveaux emplois liés à la transition. Le rapport souligne que, sans un investissement massif dans la formation professionnelle et technique, les projets énergétiques risquent de continuer à dépendre de compétences importées, réduisant ainsi leur impact sur l’emploi local.
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Dans ses scénarios prospectifs, l’AIE estime que les économies émergentes et en développement pourraient créer plusieurs millions de nouveaux emplois énergétiques d’ici 2035, à condition que les politiques publiques soutiennent explicitement le développement des compétences et des chaînes de valeur locales. Pour l’Afrique, cela suppose une articulation plus étroite entre stratégies énergétiques, politiques industrielles et systèmes éducatifs, afin de transformer les investissements énergétiques en moteurs d’emplois durables.
En filigrane, le World Energy Employment 2025 pose une question plus fondamentale, celle de la place de l’Afrique dans la nouvelle géographie mondiale de l’énergie. Le continent dispose d’un potentiel considérable en ressources renouvelables, mais reste à la périphérie de l’économie mondiale de l’emploi énergétique. Sans inflexion majeure, le risque est réel de voir la transition énergétique africaine se traduire par une dépendance technologique accrue et une création d’emplois limitée, loin des besoins sociaux et démographiques du continent.
Ainsi, loin d’un simple enjeu sectoriel, l’emploi dans le secteur de l’énergie apparaît comme un révélateur des choix de développement à venir. Pour l’Afrique, la transition énergétique ne pourra être socialement soutenable que si elle devient un levier de formation, d’industrialisation et d’inclusion, et non un simple prolongement de modèles importés. C’est à cette condition, souligne l’AIE, que l’énergie pourra pleinement jouer son rôle de catalyseur du développement africain au cours des prochaines décennies.




