Transport aérien: la crise des chaînes d’approvisionnement coûtera 11 milliards de dollars aux compagnies africaines

Les compagnies aériennes africaines auront besoin de 1030 nouveaux avions sur la période 2021-2040, selon Boeing.

Le 03/11/2025 à 16h42

Depuis plus de trois, les compagnies aériennes, notamment africaines, font face à des complications dans leurs chaînes d’approvisionnement en avions et en pièces de rechange. Selon l’Association du transport aérien international et la firme Oliver Wyman leader, mondial du conseil de gestion, ces perturbations pourraient coûter 11 milliards de dollars aux compagnies aériennes africaines.

La crise actuelle que connaît la production mondiale d’avions et de pièces détachées pourrait coûter très chère aux compagnies aériennes africaines, toutes en phase de renforcement de leurs flottes. C’est ce qui ressort de l’étude conjointe de l’Association du transport aérien international (IATA), en collaboration avec la firme Oliver Wyman, leader mondial du conseil de gestion, filiale de Marsh McLennan.

«Les problèmes dans la chaine d’approvisionnement de l’industrie aérospatiale retardent la production de nouveaux aéronefs et de pièces de rechange, de sorte que les compagnies aériennes doivent réévaluer la planification de leurs flottes et, dans plusieurs cas, maintenir en fonction des appareils plus vieux pour une période prolongée». Et pour donner une idée sur l’ampleur de la situation, l’étude avance qu’à l’échelle mondiale, les arriérés de commandes ont atteint, en 2024, un sommet historique de 17.000 aéronefs.

Cette crise touche particulièrement les compagnies aériennes africaines fragiles dans leur majorité. Ces perturbations se traduisent d’abord par des retards de livraison d’avions et de pièces de rechanges y compris les moteurs. Cette turbulence fait qu’aujourd’hui de nombreuses compagnies fonctionnent avec une partie de leur flotte clouée au sol faute de pièces de rechange. Les livraisons d’avions se font au compte-gouttes pour de nombreuses compagnies du continent caractérisées par leur petites taille.

Ainsi, Ethiopian Airlines, leader du secteur africain, a dû recourir à des locations d’avions supplémentaires pour faire face aux retards de livraison d’appareils commandés à cause des retards de production chez Boeing. C’est le cas aussi d’Air Algérie qui n’a reçu aucun appareil parmi les 16 commandés. Royal Air Maroc semble relativement moins affectée mais doit recourir à la location pour espérer atteindre la taille souhaitée dans le cadre de sa vision stratégique.

Cette situation réduit l’activité de nombreuses compagnies et impacte la connectivité au sein du continent.

Cette pénurie d’avions et de pièces induit une hausse des coûts des compagnies aériennes car la pression sur les appareils actifs nécessite plus d’entretien. De plus, l’incapacité de moderniser une flotte se traduit par des coûts de carburants plus élevés sachant que les anciens avions en consomment 25% de plus que les appareils dernière génération. Or, le kérosène coûte 17% plus cher en Afrique qu’ailleurs, selon l’IATA.

Conséquence de ces coûts supplémentaires, les marges des compagnies aériennes se réduisent davantage. Or, les compagnies aériennes africaines sont globalement fragiles et rares sont celles qui arrivent à dégager annuellement des bénéfices.

Et les problèmes de chaine d’approvisionnement empêchent les compagnies de déployer suffisamment d’aéronefs pour répondre à la demande croissante. Ainsi, Kenya Airways a attribué une partie de ses pertes du premier semestre 2025 à l’indisponibilité d’une partie de sa flotte à un problème de pièces de rechange.

Les problèmes de chaines d’approvisionnement peuvent coûter cher aux compagnies aériennes du continent. Selon l’étude conjointe intitulée Reviving the commercial Aircraft Supply Chain, les coûts liés à cette crise pourraient dépasser les 11 milliards de dollars en 2025 et résultent de quatre facteurs principaux.

Il y a d’abord l’impact des coûts excédentaires du carburant estimés à 4,2 milliards de dollars. «Les compagnies aériennes exploitent des aéronefs plus vieux et moins efficaces sur le plan énergétique parce que les livraisons de nouveaux appareils sont retardées, ce qui entraine des coûts de carburants plus élevés», souligne l’étude. En effet, plus un appareil est vieux, plus il consomme de kérosène.

Ensuite, il y a les coûts de maintenance évalués à 3,1 milliards de dollars. «La flotte mondiale est vieillissante et les aéronefs plus vieux exigent des opérations de maintenance plus fréquentes et donc coûteuses», explique l’étude. En outre, la pénurie de pièces de rechange pousse les compagnies aériennes à louer des moteurs. Les coûts de ces locations devraient atteindre 2,6 milliards de dollars. Selon l’étude, les taux de location ont augmenté de 20 à 30% depuis 2019.

Enfin, il y a l’impact de l’augmentation des coûts de maintien de stocks évalué à 1,4 milliard de dollars. Cette lourde facture est due au fait que «les compagnies aériennes stockent un plus grand nombre de pièces de rechange pour pallier les perturbations imprévisibles de la chaine d’approvisionnement, ce qui accentue le coût des stocks».

Bref, la crise du secteur aéronautique mondial compromet les plans d’expansion de nombreuses compagnies aériennes africaines et accentue la vulnérabilité des acteurs africains du secteur déjà fragilisés par des marges financières extrêmement réduites à cause du coût élevé du kérosène, des taxes et redevance élevés et des coûts d’assurance dépassant de 6 à 10% la moyenne mondiale.

Ces facteurs font qu’en 2024, les compagnies aériennes africaines ont gagné en moyenne à peine 1 dollar par passager transporté, contre une moyenne mondiale de 7,2 dollars.

Cette situation pourrait entrainer des faillites des compagnies les plus fragiles du continent.

En réaction, les pays africains devraient réduire leur dépendance des chaines de production et de maintenance étrangères.

Malheureusement, à l’exception de l’Afrique du Sud et du Maroc, très peu de pays africains sont intégrés dans les chaines de valeur de l’industrie aéronautique mondiale. De même, peu de pays du continent ont les infrastructures MRO (Maintenance, Repair & Overhaul ou Maintenance, Réparation et Révision), répondants aux normes internationales. Il s’agit notamment de l’Afrique du Sud, du Maroc, de l’Éthiopie et de l’Égypte. Cette situation accroit très fortement la dépendance vis-à-vis des centres de maintenance étrangers et augmente les immobilisations des appareils. A ce titre, il faut saluer l’initiative de coopération entre 5 opérateurs africains de transport aérien (Royal Air Maroc, EgyptAir, Ethiopian Airlines MRO, Kenya Airways et SAA Technical) de mutualiser leurs efforts dans le domaine de la Maintenance, Réparation et Révision d’aéronefs. Cette coopération devrait ouvrir la voie à une meilleure autonomie technique et à des économies substantielles en la matière au profit des compagnies aériennes africaines.

Par Moussa Diop
Le 03/11/2025 à 16h42