Représentant à peine 3% du transport aérien mondial dans un continent qui pèse plus de 17% de la population de la planète, le secteur du transport aérien africain est promis à un bel avenir sous l’effet combiné de plusieurs facteurs: forte demande, croissance démographique, augmentation sensible de la classe moyenne, tourisme, ouverture du ciel…
Dans ce contexte, toutes les compagnies aériennes africaines se préparent à tirer profit de ces perspectives en renforçant leurs flottes. D’après les prévisions des grands constructeurs, le continent aura besoin de 1460 nouveaux appareils les 20 prochaines années pour étoffer les flottes, renouveler les anciens appareils devenus gourmands en kérosène et moins adaptés à des services à valeur ajoutée.
Cette situation aiguise l’appétit des constructeurs, particulièrement des deux géants mondiaux de construction d’avions: Boeing et Airbus. Les deux avionneurs se positionnent en conséquence pour mieux tirer profit de cette nouvelle donne du secteur aérien africain.
Et si le constructeur américain continue de dominer le marché africain pour des raisons historiques, force est de constater que l’avionneur européen, Airbus, réalise de très bonnes percées, y compris au niveau des compagnies historiquement clientes de l’Américain.
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Afin de maintenir sa domination du marché africain et surtout pour se tailler une bonne part du marché des flottes africaines, Boeing a annoncé l’ouverture de son siège africain à Addis-Abeba en octobre prochain. Boeing Africa sera dirigé par l’Éthiopien Henok Teferra Shawl, ancien ambassadeur en France, ex-patron d’Asky et ancien haut cadre d’Ethiopian Airlines. Il a rejoint le constructeur américain Boeing en qualité de directeur général pour l’Afrique.
Cette décision du constructeur américain de disposer d’un siège en Afrique souligne l’importance croissant du secteur aérien continental. Quant au choix d’Addis-Abeba, il s’explique par le rôle stratégique de l’Éthiopie en tant que hub sur le continent, mais aussi le fait qu’Ethiopian Airlines, l’une des premières compagnies aériennes du continent fondée en 1945, est un important client du constructeur américain. Avec plus de 140 appareils, Ethiopian Airlines dispose actuellement de la plus importante flotte aérienne d’une compagnie africaine.
Airbus et Boeing estiment les besoins de l'Afrique en avions commerciaux, d'ici 2043, à respectivement 1460 et 1170 appareils. De quoi aiguisé leur appétit.. DR
Ce choix s’explique aussi par le fait que le groupe Ethiopian est présent dans différents segments du marché de l’aéronautique aérien dont celui de la fabrication de composants aéronautiques pour Boeing, la maintenance, la révision et la réparation (MRO) d’avions, la formation des pilotes et des techniciens aéronautiques… En août 2023, les deux partenaires s’étaient associés pour la fabrication de composants aérospatiaux (couvertures d’isolation thermo-acoustique, faisceaux de câbles électriques et d’autres composants) qui contribuent à résoudre les problèmes d’approvisionnement en pièces détachées pour les flottes d’Ethiopian et des compagnies africaines.
Ne voulant pas se laisser distancer, Airbus a réagi en annonçant, lundi 16 septembre 2024, en marge du Salon Aviation Africa en Afrique du Sud, l’ouverture de son nouveau centre de support clients à Johannesburg. Ce faisant, Airbus renforce sa présence locale et soutient la croissance de l’écosystème aéronautique africain.
Selon le constructeur européen, cette plateforme sudafricaine sera la plaque tournante pour ses clients basés en Afrique. Cette unité sera en mesure d’améliorer l’efficacité opérationnelle des compagnies africaines en réduisant leurs dépenses en maintenance et en dépannage d’avions. De même, ce centre de support clients favorisera le développement des compétences locales en leur permettant d’accéder aux ressources de maintenance et de formation d’Airbus.
Le choix de l’Afrique du Sud n’est pas anodin. La première puissance industrielle du continent est également le pays africain qui compte la plus grande flotte d’avions. Les 21 compagnies aériennes en activité du pays disposent d’une flotte de 200 appareils. Sachant que l’âge moyen des appareils sudafricains est de 21,2 années, cela veut-dire que les compagnies ont un grand besoin de renouvellement de leur flotte.
Un rajeunissement nécessaire pour réduire les coûts en kérosène, les appareils de nouvelles générations consommant entre 25 et 30% moins de carburant que les anciens de même calibre. Ce rajeunissement permettra de réduire les coûts de maintenance, de réparation et de révision.
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Les deux constructeurs sont également présents en Afrique dans la production de composants aéronautiques. Ainsi, Airbus mise sur ses unités au Maroc pour renforcer sa capacité de production d’avions. Le constructeur européen vient d’augmenter les capacités de son unité Airbus Atlantic Maroc Composites, acteur clé de la fabrication de pièces composites pour la famille d’avion A320 d’Airbus.
Airbus y fabrique une large gamme de pièces composites: lining du cockpit, boîtes à bagages, pièces d’habillage, trappes de trains d’atterrissage, coques de sièges… En juin 2024, Airbus a augmenté les capacités de production du site dans l’optique de porter sa capacité de production à 76 avions par mois d’ici 2026.
Le Maroc produit des pièces pour les différents types d’appareils de l’avionneur européen: A220, A320, A330 et A350. Globalement, Airbus compte sur ses sites du Maroc pour répondre à un carnet de commandes de plus de 7.762 appareils.
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Airbus compte actuellement deux unités au Maroc: Airbus Atlantic Maroc et Airbus Atlantic Maroc Composites qui emploient 1000 salariés. Au Maroc, l’avionneur européen s’appuie sur un écosystème industriel local de plus de 100 sous-traitants et partenaires marocains qui participent directement ou indirectement à la chaîne de production d’appareils Airbus.
De même, Airbus Helicopters a annoncé l’ouverture d’une nouvelle filiale au Maroc destinée à devenir un centre névralgique de formation et d’assistance à ses clients du Maroc et de la région ouestafricaine.
Le Maroc s’est érigé en pays stratégique pour le développement des activités d’Airbus en Afrique, grâce à sa proximité géographique, la qualité de sa main d’œuvre et la sous-traitance qui offre de nombreux avantages aux partenaires industriels d’Airbus.
De même, l’Égypte est également devenue une cible d’Airbus qui a réussi depuis le début des années 1980 à placer un nombre croissant de ses appareils chez EgyptAir et surtout chez sa filiale Air Cairo. Les deux compagnies accueillent actuellement autour de 55 appareils Airbus. EgyptAir a même passé une commande de 10 appareils du type A350-900 lors du Dubaï Air Show de 2024. Acquisitions qui seront livrées entre 2025 et 2027.
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C’est dire que l’avionneur européen est en passe de combler, petit-à-petit, son retard avec l’Américain Boeing dont EgyptAir, entreprise créée en 1932, est historiquement client.
Et pour mieux grignoter davantage de parts de marché à l’Américain, le constructeur européen a signé un accord stratégique avec EgyptAir Maintenance & Engineering (EgyptAir M&E). Ajouté à cela, l’Européen a élargi l’activité MRO d’EgyptAir à sa flotte, renforçant ainsi sa position en Afrique et au Moyen-Orient.
A travers ces implantations et ces accords, les deux géants de l’aéronautique mondial se positionnent pour tirer profit de l’expansion du marché de l’aéronautique africain. À ce titre, les dernières prévisions d’Airbus avancent que la demande africaine d’avions commerciaux devrait atteindre 1.460 appareils de transport de passagers et de fret d’ici 2043, dont 1.210 monocouloirs et 250 gros porteurs.
Moins optimiste, Boeing table sur une demande de 1.170 nouveaux avions au cours des 20 prochaines années. Cela nécessitera plus de 15.000 nouveaux pilotes et 20.000 mécaniciens supplémentaires pour répondre à la forte demande de transport aérien au niveau du continent.
Un marché colossal où les deux grands constructeurs mondiaux souhaitent remporter la plus grande part. Actuellement, environ 70% de la flotte des compagnies du continent sont constitués d’avions de Boeing.