Ce fonctionnaire kényan, qui refuse de communiquer son patronyme par honte, a connu CBEX (pour CryptoBridge exchange) par un ami, qui l’a fait entrer dans un groupe de discussion sur Telegram, où CBEX fait sa promotion.
Il y a lu des garanties de rendements mensuels de 100%, rendus possibles par l’intelligence artificielle, avec des bonus élevés s’il parrainait de nouveaux entrants... autant de caractéristiques classiques des pyramides de Ponzi.
«J’avais de très grands projets», dit-il à l’AFP. «Mais j’ai été trompé».
Le fonctionnaire, sans aucune expérience dans les cryptomonnaies, a commencé à investir dans CBEX en août 2024. Satisfait de ses premières opérations, il a augmenté sa mise, sollicitant un prêt bancaire, qu’il ne sait comment rembourser. Car ses 2,1 millions de shillings (environ 14.200 euros) se sont envolés.
Edwin est l’un des nombreux Africains victimes d’escroqueries aux cryptomonnaies, qui ont généré 9,9 milliards de dollars (8,4 milliards d’euros) de revenus dans le monde en 2024, selon la société d’analyse Chainalysis.
Aucun chiffre n’est toutefois disponible pour l’Afrique, où ces arnaques gagnent en ampleur et en sophistication.
CBEX s’est effondré brutalement en avril, ruinant de nombreux investisseurs, principalement au Kenya et au Nigeria, selon plusieurs médias.
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Malgré les enquêtes en cours et les avertissements des autorités nigérianes et kényanes, l’AFP peut affirmer, en accédant aux groupes privés Telegram de CBEX, que les cyber-arnaqueurs n’ont pas arrêté leurs opérations, loin s’en faut.
«Fauché»
Abby, un autre Kényan, portera longtemps la culpabilité d’avoir fait connaître CBEX à 25 proches.
«Au moment où ils ont vidé nos comptes, j’avais invité des amis et des membres de ma famille à investir beaucoup. Et tout a disparu», raconte-t-il à l’AFP. «Je me sens désolé pour eux et j’aimerais vraiment les aider, mais je suis fauché.»
Au Nigeria, l’effondrement de CBEX a conduit à des attaques contre les bureaux affiliés à l’entreprise, qui ont depuis fermé.
Adeoye, une victime nigériane, a perdu 700.000 nairas (environ 400 euros). «L’offre était attrayante», estime-t-il rétrospectivement. «Je savais que c’était un risque, mais je pensais avoir la chance de récupérer (l’argent) avant que quelque chose ne se produise.»
CBEX utilise la tactique du «brandjacking», adoptant un acronyme similaire à celui de la China Beijing Equity Exchange, une entreprise travaillant avec la municipalité de Pékin, qui a nié tout lien avec les cyper-escrocs.
La plateforme prétend être agréée aux États-Unis, une autre entreprise, ST Technologies International, étant selon elle en charge de sa solution technologique.
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Elle a ainsi été enregistrée au Nigeria, en septembre 2024, sous l’identité commerciale de ST Technologies International Ltd (Smart Treasure/Super Technology).
CBEX a même obtenu un certificat de lutte contre le blanchiment d’argent de la Commission des crimes économiques et financiers du pays (EFCC) en janvier dernier.
L’EFCC a toutefois précisé dans un communiqué que cet enregistrement concernait seulement ses «services de conseil».
Pour accroître sa légitimité, CBEX affirme faussement avoir été créée en 2015 à Singapour, et ST il y a huit ans, avant de s’étendre en Afrique ces deux dernières années.
Après le Nigeria, les cyber-escrocs ont frappé le Kenya.
«Bâtir la confiance»
Selon l’enquêteur en cryptomonnaies kényan Wycklife Sewe, CBEX, tout en prétendant faire fructifier les fonds, les transfère en réalité hors des portefeuilles des investisseurs via TRON (un réseau décentralisé de blockchain, ces bases de données qui contiennent l’historique des transactions entre utilisateurs).
L’argent est ensuite acheminé à travers plusieurs portefeuilles et après conversions en diverses cryptomonnaies pour faire perdre sa trace, explique-t-il à l’AFP.
«Ils ont conçu leur système avec un code pour vous (...) faire croire que votre argent est encore là et que vous pouvez le voir croître. Mais il est déplacé immédiatement après votre dépôt», affirme l’expert, selon lequel CBEX mène en parallèle d’autres escroqueries.
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CBEX a changé plusieurs fois le domaine de son site internet pour éviter d’attirer l’attention. L’AFP a découvert qu’au moins quatre domaines différents ont été enregistrés par cette entité.
Une enquête récente menée par l’analyste crypto Specter lie les portefeuilles de retrait de CBEX à Huione Guarantee, une plateforme basée au Cambodge facilitant la crypto-criminalité.
En mai, le département du Trésor américain a désigné le groupe Huione comme une «préoccupation majeure en matière de blanchiment d’argent», estimant qu’il avait permis plus de 4 milliards de dollars de transactions illicites entre août 2021 et janvier 2025.
Suite à l’effondrement de l’escroquerie CBEX, l’Autorité des marchés financiers du Kenya (CMA) a publié une «alerte aux investisseurs» contre l’investissement dans des plateformes non réglementées. Le parlement kényan discute également d’un projet de loi visant à réguler les actifs virtuels.
«Plus jamais»
Au Nigeria, le gendarme financier EFCC a annoncé l’arrestation de deux individus et l’émission de mandats d’arrêt contre huit autres. Une nouvelle loi a été votée, qui criminalise les pyramides de Ponzi.
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Mais les enquêtes sont longues et coûteuses.
L’EFCC a bien annoncé la récupération d’une «somme raisonnable» de fonds perdus en mai, mais sans préciser de montant, soulignant les «processus complexes» dans ces affaires.
Un porte-parole de Telegram a déclaré à l’AFP que «le contenu frauduleux est supprimé lorsqu’il est découvert et que les utilisateurs contrevenants sont bannis».
L’AFP a constaté que certains groupes Telegram de CBEX étaient désormais étiquetés comme des escroqueries sur la plateforme.
Le 10 juin, CBEX, qui avait auparavant accusé des hackers d’avoir dérobé les fonds manquants, a affirmé sur sa chaîne Telegram avoir «compensé» les malheureux investisseurs, puis leur a demandé de payer des frais de «vérification» pour éventuellement récupérer leur argent. Une tactique courante de réescroquerie.
Abby, lui, ne tombera pas dans le panneau. «Plus jamais !», lance-t-il. «J’en ai fini.»