3e mandat: faut-il brûler les constitutions africaines?

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Le 10/06/2018 à 20h50, mis à jour le 10/06/2018 à 20h53

Les limitations du nombre de mandats présidentiels en Afrique remontent en 1934. Toutefois, ce mode d’alternance démocratique est de plus en plus remis en cause et suscite débats et violences à cause des changements de constitutions visant à pérenniser les dirigeants au pouvoir. Quelle issue?

Deux annonces surprises ont fait renaître le débat sur la limitation des mandats présidentiels en Afrique au cours de ces dernières semaines.

D’abord, il y a celle du président ivoirien Alassane Ouattara qui vient d’annoncer qu’il n’excluait pas de se présenter pour la présidentielle à la fin de son second mandat puisque, selon lui, la nouvelle Constitution de 2016 l’y autorise. Il a ajouté qu’il prendrait sa décision en 2020 en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. Une décision qui risque d’aggraver les tensions dans un pays marqué par la crise post-électorale de 2011 et de diviser la coalition au pouvoir -PDCI et RDR- sachant que pour le PDCI l’investiture pour 2020 lui revient de droit après avoir soutenu par deux fois en 2010 et 2025 le président Ouattara.

Ensuite, il y a l’annonce faite par le président burundais Nkurunziza qui vient d’annoncer qu’il allait quitter le pouvoir après s’être taillé une Constitution sur mesure qui lui permet de rester à la tête du pays jusqu’en 2034. Seulement, cette annonce est loin d’être prise au sérieux par l’opposition qui rappelle qu’en 2015, Nkurunziza avait piétiné la Constitution pour se faire élire pour un 3e mandat, entraînant son pays dans des troubles politiques et des violences qui ont fait plus d’un millier de morts. Du coup, l’annonce est considérée comme une façon d'«endormir l’opinion».

Malheureusement, ces deux dirigeants ne sont pas les seuls à avoir modifié la Constitution ou à envisager de le faire. Kabila du Congo, Eyadema du Togo, Museveni en Ouganda, Déby au Tchad ont déjà passé le pas. D'autres sont sur le point de les imiter: Condé en Guinée, Abdel Aziz en Mauritanie, etc.

Certains s'y sont essayés avant d’être chassés par leur peuple. C’est le cas de Blaise Compaoré éjecté du pouvoir par la population. Même au Sénégal, pays pourtant réputé pour son ancrage démocratique, Abdoulaye Wade a tenté de s'offrir un 3e mandat grâce à la modification de la Constitution avant d'être désavoué par la sanction des urnes.

Pourtant, sur les 54 pays du continent, actuellement 37 constitutions africaines limitent le nombre de mandats présidentiels à deux, contre 15 qui ne les limitent pas, les deux autres étant des Royaumes. Seulement, les exemples cités montrent clairement que les constitutions africaines ne sont pas à l'abri d'une réforme. A quelques exceptions près, comme c’est le cas au Botswana, à l'île Maurice, en Afrique du Sud, au Ghana, au Cap-Vert, au Bénin et en Namibie, celles-ci sont bafouées par les dirigeants chaque fois qu’ils le souhaitent.

Du coup, faut-il inclure la limitation des mandats dans la Constitution? Si oui, faut-il alors trouver une formule et la généraliser à l'ensemble du continent?

En ce qui concerne la limitation des mandats, il faut rappeler que ce mode d’alternance démocratique est ancien en Afrique. Au Liberia, la Constitution de 1847 a été amendée en 1934 pour inclure cette disposition de limitation à deux mandats de 8 ans chacun. Ensuite, la Tunisie a, en 1959, adopté la limitation des mandats présidentiels à 3 de 5 ans chacun. Ensuite ce fut le cas de la Tanzanie (1984), du Niger (1989), de la Namibie (1990), Sao Tomé et Principe (1990), du Mozambique (1990), du Bénin (1990), du Gabon (1991), Burkina Faso (1991), etc.

Seulement, vu les changements répétitifs des constitutions visant à assurer la pérennité du président au pouvoir, comme ce fut le cas au Rwanda, en Ouganda, en Algérie, au Gabon et au Togo, faut-il continuer à limiter les mandats dans les constitutions africaines?

A noter qu'en France -pays qui reste une référence démocratique pour de nombreux pays africains-, le principe de la limitation du nombre de mandats à deux n’a été introduit que par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Autrement dit, relativement tard. 

Ne faut-il pas alors exiger des élections libres, transparentes avec des garanties claires plutôt que de limiter les mandats présidentiels et ne pas les respecter.

Sinon, sachant que le problème est aujourd’hui africain, il faudrait peut-être que la question de la limitation des mandats soit considérée au niveau africain et qu’elle soit instituée au niveau de l’Union africaine dans les pays où les constitutions le permettent.

A noter qu’au niveau de la CEDEAO, il y a une tentative de pousser tous les Etats membres à instituer la limitation des mandats à 2. Toutefois, cette décision est loin d’être acceptée par tous ceux qui recourent aux modifications des constitutions pour prolonger leur bail à la tête de leurs Etats.

Du coup, dans de nombreux pays du continent, à la veille des élections présidentielles, c’est le débat sur la révision constitutionnelle et donc du 3e mandat qui occulte celui sur les bilans et les programmes qui sont pourtant la substance de tout débat démocratique durant les élections.

Par ailleurs, il faudrait aussi peut-être se pencher sur les raisons qui poussent certains chefs d’Etat du continent à s’accrocher au pouvoir après leurs deux mandats.

A ce titre, Ahmedou ould Abdallah, ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères et plusieurs fois représentant du secrétaire général de l’ONU dans des régions en crise au niveau du continent, a fait une proposition en 4 points pour aider les dirigeants africains à quitter le pouvoir et à ne pas tenter de s’accrocher à un 3e mandat: «une amnistie conditionnelle, valide tant que le bénéficiaire reste à l’intérieur du pays», une «pension généreuse», un rôle dans les grandes cérémonies républicaines ou être nommé à la Cour constitutionnelle et d’autres avantages concourant à une sécurité matérielle durable. Autant d’éléments à même d’encourager certains présidents à dompter les peurs liées à la fin du mandat présidentiel et la crainte de poursuites avec la fin de l'immunité liée à leur fonction.

En tout cas, il paraît urgent de trouver une solution à cette tare démocratique africaine de plus en plus contagieuse que constitue le 3e mandat via la modification de la Constitution si on souhaite ancrer définitivement la démocratie au niveau du continent.

Par Moussa Diop
Le 10/06/2018 à 20h50, mis à jour le 10/06/2018 à 20h53