Algérie: les deux nouvelles mesures de la Banque centrale pour endiguer la crise de liquidités seront-elles suffisantes?

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Le 18/09/2020 à 08h33, mis à jour le 18/09/2020 à 17h29

L'Algérie fait face à une crise de liquidités aiguë, poussant les banques à geler une partie des crédits aux entreprises et à plafonner les retraits de billets. La Banque d’Algérie vient d'annoncer deux mesures, censées injecter quelques liquidités dans le circuit bancaire. Cela sera-t-il suffisant?

Face à la persistance de la crise de liquidité, le Comité des opérations de politique monétaire (COPM) de la Banque d’Algérie a annoncé, jeudi 17 septembre, deux nouvelles mesures visant à renforcer les ressources des banques. La Banque centrale algérienne a ainsi décidé de réduire le taux de réserve obligatoire en le portant de 6% à 3%, et l’activation des opérations principales de refinancement à un mois.

Par le biais de ces deux nouvelles décisions, la Banque centrale espère «libérer pour le système bancaire les montants additionnels de ressources et mettre ainsi, à la disposition des banques et des établissements de crédit, les moyens supplémentaires en faveur de financement de l’économie nationale et de soutien de l’activité économique», souligne l’institution.

La crise de liquidité que connaît le pays depuis le début de l'année a poussé les banques commerciales à geler une partie de leurs crédits aux entreprises et aux investissements. Certaines institutions sont désormais dans l’incapacité d'assurer les paiements des pensions de retraite, comme ce fut le cas pour la poste, obligée de rationner les sorties de liquidités.

Des images montant des files d’attente interminables devant les bureaux de poste sont encore dans les esprits. Or, la poste est l’une des principales institutions financières de l’Algérie. A l’instar de la Poste, plusieurs banques ont décidé de plafonner les retraits en billets de banque.

Pour rappel, cette liquidité est une partie de la monnaie centrale détenue par les banques et se compose des encaisses en billets et des réserves portées aux comptes courants à la Banque centrale d’Algérie. Elle provient des dépôts effectués par la clientèle, mais aussi des emprunts auprès de la Banque centrale et/ou sur le marché interbancaire. Du coup, elle évolue en fonction de la conjoncture économique et de la politique monétaire édictée par la Banque Centrale.

Ainsi, en mai dernier, lorsque la crise de liquidité est devenue inquiétante, la liquidité globale du système bancaire ressortait à 916,7 milliards de dinars, contre 1.101 milliards de dinars à fin 2019, et 1.557,6 milliards de dinars à fin 2018. C’est dire qu’en mai dernier, les banques accusaient une chute de liquidité de 42,38% par rapport à fin 2018.

Il est donc certain que les décisions prises par la Banque d’Algérie n’auront qu’un faible impact face à l’ampleur de la crise de liquidité. Elles ne répareront pas non plus la perte de confiance des citoyens vis-à-vis du système financier en général, et bancaire en particulier.

D’ailleurs, depuis le début de l’année, la Banque d’Algérie a procédé à deux baisses consécutives du taux de la réserve obligatoire, en faisant passer celle-ci de 10% à 8% en mars, puis de 8 à 6% en avril dernier, libérant ainsi beaucoup de liquidités, mais sans grands effets durables.

Il faut dire que la crise de liquidité est trop profonde. Elle s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, il y a la chute du cours du baril de pétrole qui depuis 2014 a fait baisser recettes des hydrocarbures qui représentent plus de 95% des recettes d’exportation algériennes. Le problème s'est accentué avec la crise sanitaire du Covid-19 qui a fait chuter la demande mondiale en pétrole. 

Du coup, le déficit de la balance des paiements s'est accru, se traduisant par un recul de la masse monétaire et donc de la liquidité en circulation.

Il faut y ajouter l’arrêt du recours à la «planche à billets» par le président Tebboune dès son élection en décembre 2019 à la tête du pays. Or, entre novembre 2017 et juin 2019, la Banque d’Algérie avait imprimé 6.500 milliards de dinars, soit environ 45 milliards de dollars, pour faire face au déficit budgétaire. Une situation qui a gonflé artificiellement les liquidités du secteur bancaire algérien. Et l’arrêt du financement non conventionnel s’est traduit par une forte décrue des liquidités.

En outre, la crise politique et les purges menées à l’encontre des oligarques du pays ont aggravé la méfiance des citoyens à l’égard du secteur bancaire et poussé certains hommes d’affaires à garder d’importantes fortunes en dehors des circuits bancaires.

Enfin, la principale cause du problème de liquidité est l’importance de l’informel. De nombreux Algériens ne font pas confiance aux banques commerciales. D’autres, pour des considérations religieuses, préfèrent ne pas faire des dépôts dans les banques commerciales et thésaurisent. D'après le patronat algérien, l’équivalent de 80 milliards de dollars de liquidité circulerait au niveau du marché de l’informel. Le président Tebboune lui-même a estimé la liquidité hors du circuit bancaire entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars, soit entre 43 et 72 milliards d’euros.

Face à cette situation, les autorités ont autorisé l’introduction de produits islamiques en Algérie dans le but de drainer de la liquidité qui se trouve dans le secteur informel ou thésaurisée vers les banques islamiques et de réinjecter le cash dans le système financier. Dans ce cadre, la Banque nationale d’Algérie a lancé il y a quelques semaines 9 produits financiers pour attirer les Algériens qui boudent la finance conventionnelle. Et toutes les banques publiques, détenues à 100% par l’Etat, pourront offrir des produits islamiques d’ici la fin de l’année.

Seulement, certains experts expliquent que la finance islamique n’est pas la panacée. Ce qu’il faut, c’est moderniser la banque classique, la rendre plus réactive et développer parallèlement la finance islamique. 

En plus, pour attirer la masse monétaire informelle vers les circuits formels, il faut aussi deux conditions fondamentales: la confiance, qui suppose une bonne gouvernance de l’Etat et du système bancaire, et un taux d’inflation réel, non faussé par les subventions étatiques. Deux conditions loin d’être acquises actuellement en Algérie.

Ainsi, dans un contexte politique où la confiance est rompue entre le citoyen et l’Etat, les autorités auront du mal à convaincre les citoyens de déposer leurs bas de laine dans les banques.

Du coup, à court et moyen terme, le recours au financement non conventionnel risque d’être la seule alternative pour les autorités qui doivent relancer une économie exsangue bien avant l’avènement de la pandémie du Covid-19. A défaut, la persistance du problème de liquidité risque de paralyser l’économie toute entière, et ce d’autant plus que la marge de baisse du taux de la réserve obligatoire, ramenée à 3%, est désormais faible.

Par Moussa Diop
Le 18/09/2020 à 08h33, mis à jour le 18/09/2020 à 17h29