Algérie-Union européenne: accord d’association, pourquoi Alger n’a enregistré que des pertes

DR

Le 15/12/2020 à 10h15, mis à jour le 16/12/2020 à 12h22

L’Algérie ne veut plus de l’accord d’association avec l’Union européenne en dénonçant un déséquilibre abyssal de la balance commerciale en faveur de la communauté européenne. Toutefois, la faute n’incombe pas uniquement à l'UE, mais aussi aux gouvernements successifs algériens. Explications.

L’Algérie ne veut plus de l’Accord d’association avec l’Union européenne, à plus forte raison le passage de celui-ci à la Zone de libre-échange. Depuis quelques mois, le régime en place multiplie les sorties pour dénoncer le déséquilibre de cet accord en faveur de l’Union européenne.

Et c’est une réalité qui saute à l’œil que cet accord est déséquilibré quand on regarde l’évolution des échanges commerciaux entre les deux partenaires. Ainsi, en 15 ans d’application de l’Accord d’association, l’Union européenne (UE) a exporté plus de 310 milliards de dollars de marchandises diverses vers l’Algérie. Toutefois, du côté des importations, en dehors des hydrocarbures, les importations de l’Union européenne de l’Algérie se chiffrent à hauteur d’un cumul de 15 milliards de dollars.

En plus de ce déséquilibre au niveau des échanges, il faut aussi souligner qu’à cause de cet accord et donc de la baisse de tarification douanière excessivement importante, l’Algérie a perdu, durant ces 15 dernières années, l’équivalent de 30 milliards de dollars de recettes douanières.

Bref, si on se tient à ces chiffres, l’Accord d’association, conclu en 2002, après 5 ans de négociations et entrée en vigueur en 2005, constitue un désastre pour Alger.

Seulement, il faut se demander à qui la faute? La réponse est claire. Les gouvernements successifs depuis l’entrée en vigueur de cet accord sont responsables de cette situation du fait qu'ils ont tous fait reposer l’économie algérienne sur la rente pétrolière et gazière et en entretenant la dépendance vis-à-vis des importations qui enrichissaient hommes politiques et oligarques du régime dont nombre d’entre eux sont actuellement derrière les barreaux des prisons algériennes pour corruption.

A titre d’exemple, cette aversion à consommer des produits importés explique grandement l’incapacité du pays à développer certaines industries. C’est le cas de l’industrie automobile algérienne. L’Algérie était le second pays importateur de véhicules neufs en Afrique derrière l’Afrique du Sud avec plus de 400.000 véhicules importés en 2016. Malgré tout, le pays n’arrive pas à mettre en place une industrie automobile viable, rentable et à même de lui assurer des recettes d’exportation.

A l’opposé de l’Algérie, au Maroc, les recettes de l’industrie automobile ont dépassé celles des phosphates et dérivées et constituent désormais la première source de recettes d’exportation du royaume. En 2019, les exportations automobiles ont atteint 8 milliards de dollars, représentant 27,3% des exportations totales du Maroc et ce, grâce à la mise en place d’une politique industrielle adéquate qui repose sur des écosystèmes automobiles avec des fournisseurs et équipementiers installés au Maroc.

Par ailleurs, il faut aussi souligner que ce déséquilibre commercial entre l’Algérie et l’Union européenne est surtout le fait que l’Algérie n’a presque rien à exporter en dehors des hydrocarbures. Les hydrocarbure et dérivées représentent encore plus de 95% des recettes d’exportation et 60% des ressources budgétaires.

Ainsi, ce déséquilibre s’explique par l’incapacité des dirigeants algériens à amorcer une diversification économique. Et durant les 15 ans d’accord d’association, en dépit d’une manne financière exceptionnelle engrangée grâce à l’envolée des cours du baril de pétrole, le pays n’a pas su diversifier son offre export, restant une économie rentière, contrairement à ses voisins marocains et tunisiens qui ont su, avec peu de moyens, diversifier leurs économies en intégrant notamment certaines chaînes de valeurs industrielles mondiales (automobile, aéronautique, etc.) et en développant d’autres industries légère et lourdes.

Concrètement, si tous les gouvernements de ces dernières années ont annoncé leur volonté de réduire la dépendance du pays des hydrocarbures, rien n’a été fait en réalité pour changer cette situation. Le dernier à faire des promesses de sortie du tout pétrole est l’actuel président Tebboune. En août dernier, en ouverture de la «Conférence nationale sur le plan de relance pour une économie nouvelle», il a mis l’accent sur un nouveau «Modèle économique» et un plan de relance économique de 12,5 milliards de dollars.

Une recette mise en avant à chaque crise financière et oubliée à la première flambée des cours du baril de pétrole, même si cette fois-ci le président a souhaité devancer les sceptiques en soulignant que la «transition du nouveau modèle économique ne doit plus être un slogan creux».

Il a même avancé que la dépendance des hydrocarbures allait baisser de 98% à 80% dans les deux années à venir. Pour le moment, les Algériens attendent les prémisses de ce nouveau modèle.

Malheureusement, la première année de Tebboune à la tête de l’Etat ne donne pas vraiment de l’espoir d’un changement du modèle économique.

Et la situation ne devrait pas changer du fait d’un environnement des affaires très défavorable, contrairement au Maroc et en Tunisie, pour attirer les investisseurs étrangers. La règle de 51/49% qui accorde la majorité du capital d’un projet à l’Etat et aux Algériens, obligeant l’investisseur étranger à être minoritaire, et d’autres obstacles (faiblesse du marché financier, corruption, problème de transfert des devises, etc.) ne favorisent pas l’investissement étranger qui reste nécessaire dans certains secteurs capitalistiques et stratégiques. Cela est d‘autant plus valable que l’Algérie n’a plus les coudés franches actuellement pour financer tous ses projets de développement et d’industrialisation.

Du coup, ce sont toutes les relations commerciales entre l’Algérie et ses partenaires (Union européenne, Grande zone arabe de libre-échange, Accord préférentiel avec la Tunisie, etc.) qui sont déséquilibrées. Et il est impossible actuellement de parler de l’équilibre dans les échanges commerciaux quand on n’a rien à proposer outre que les hydrocarbures. En clair, l’Algérie doit diversifier son économie pour aller vers l’équilibre de ses échanges avec ses partenaires. Pour le moment, la réponse a été de réduire les importations en mettant en place des quotas et des listes de produits interdits d’importation pour réduire la baisse des réserves en devises au lieu de mettre en place les jalons d’un tissu industriel compétitif et diversifié en s’appuyant sur les importantes ressources naturelles, notamment gazières, du pays.

Seulement, avec ces régimes, la situation ne devrait pas changer de sitôt. En effet, la décrue inquiétante des réserves de changes qui sont tombées de 194 milliards de dollars en 2014 à moins de 50 milliards de dollars actuellement, la mauvaise gouvernance qui se poursuit malgré les changements à la tête du pays prouvant que les têtes changent mais que le système demeure et l’orientation défavorable des cours du pétrole montrent clairement que les perspectives ne sont pas bonnes pour l’Algérie et que le nouveau modèle économique est loin d’être la priorité du régime qui s’accroche plus à sa survie qu’à l’avenir des Algériens.

Du coup, sans reconnaitre ses multiples échecs, les dirigeants algériens essayent de mettre le déséquilibre sur le compte uniquement des partenaires, même s’il faut reconnaître aussi que l’accord signé avec l’Union européenne a été mal négocié à la base et que celle-ci s’est agrandie à 27 pays depuis.

Par Moussa Diop
Le 15/12/2020 à 10h15, mis à jour le 16/12/2020 à 12h22