De El Watan au Soir d'Algérie, en passant par les sites d'information Tout sur l'Algérie ou encore le quotidien Jeune Indépendant, les articles traitant de l'érosion du pouvoir d'achat des Algériens se multiplient dans la presse locale du pays pétrolier d'Afrique du Nord. C'est le signe, s'il en fallait un nouveau, que la situation est tellement alarmante que même des organes estampillés "presse du régime" ne peuvent plus se taire.
Ainsi, le site Tout sur l'Algérie, dont le pacte avec les apparatchiks est devenu une évidence, a titré en page d'accueil, en début de semaine, sur "L’incroyable dégradation du pouvoir d’achat en dix ans". Selon ce site d'information, "Le salarié algérien peine à joindre les deux bouts, harassé de devoir faire face quotidiennement à une hausse des prix et des charges diverses avec un salaire qui vaut désormais pour la moitié de celui d’il y a une décennie. Même si, en réalité, il n’a pas changé!"
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En effet, la perte de pouvoir d'achat s'explique à travers l'inflation subie par les biens de consommation et les services, dont la plupart ont vu leur prix doubler au cours des dernières années, alors que les revenus sont restés au même niveau, à cause des difficultés financières du pays. En conséquence, le même revenu ne permet plus d'acheter que la moitié de ce qu'il pouvait permettre auparavant. "Une anomalie économique dont la conséquence est d’avoir fait basculer des catégories sociales entières dans la précarité", explique Tout sur l'Algérie.
Ce constat s'appuie sur l'analyse des chiffres de 2010 à 2021, faite par l'Association algérienne de protection des consommateurs (Apoce), dont le président Moustapha Zebdi ne cesse de dénoncer la précarité dont sont victimes les Algériens. Par exemple, le prix d'un kilo de lentilles est passé de 100 à 250 dinars algériens (DA), soit 150% de plus, celui du riz de 80 à 150 DA (+87,5%), le couscous de 90 à 170 DA (+88,9%) et les pâtes alimentaires de 40 à 75 DA (+87,5%) pour le sachet de 500 g.
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Cette paupérisation des couches les plus défavorisées est à l'origine de divers mouvements de revendication chez les travailleurs du privé comme chez les fonctionnaires. Enseignants et médecins, notamment, sont sortis dans les rues à plusieurs reprises. Les premiers, que fédèrent des organisations comme le Conseil national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (CNAPEST) ou le syndicat national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (SNAPEST), réclament un salaire de "80.000 dinars (497 euros) pour vivre dignement".
Se basant sur l'étude qu'il avait réalisée dès 2007 et qui fixait le salaire décent à 50.000 dinars (310 euros), le CNAPEST estime que 14 ans plus tard, il est impossible de s'en sortir avec moins de 80.000 dinars. Son porte-parole, Messaoud Boudiba, affirmait en mai dernier qu'"Il va de soi que les besoins en 2021 ne sont plus les mêmes qu’en 2007. Aujourd’hui les besoins ont crû. La valeur du dinar en 2007 était plus élevée en comparaison avec la forte dévaluation actuelle. Les prestations sociales en 2007 étaient meilleures que celles de 2021, etc. Ce qui fait qu’il y a de nombreux aspects qui ont connu une dégradation, comparativement aux années précédentes".
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C'est aussi la conviction des 14 principaux syndicats de l'éducation qui avaient fait front commun en mai 2021 pour exiger une hausse conséquente des salaires et une amélioration significative des conditions de vie.
Chez les médecins, c'est également la même rengaine. Ils exigent sans cesse la revalorisation de leurs salaires, et l'Etat algérien continue de faire la sourde oreille. En effet, un généraliste débutant ne perçoit que 50.000 dinars, soit 2,5 fois le Smig qui est de 20.000 dinars (124 euros). Or, pour le Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), sans un salaire de 120.000 dinars (745 euros), les médecins tirent le diable par la queue.
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Le problème, c'est que cette situation risque encore de perdurer, à cause des énormes difficultés économiques et financières que traverse le pays. En effet, les cours du pétrole tardent à se redresser durablement et les recettes d'exportations et budgétaires du pays ne cessent de reculer. De près de 200 milliards de dollars en 2014, les réserves de change ne sont plus que d'une trentaine de milliards. Le déficit budgétaire, quant à lui atteint 13,75% du PIB ou quelque 22,6 milliards de dollars en valeur absolue. Ce n'est donc mathématiquement pas possible pour l'Etat algérien de s'en sortir, autrement que par la planche à billets. Or, ce financement non conventionnel ne peut rien contre l'assèchement des réserves de change et donc rien non plus contre l'inflation. La paupérisation a encore de beaux jours devant elle.