Energie: l’Espagne inquiète après la décision algérienne de livrer davantage de gaz à l'Italie

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Le 14/04/2022 à 14h18, mis à jour le 14/04/2022 à 14h20

L’accord signé entre l’Italie et l’Algérie se fera-t-il au détriment de l’Espagne? Une chose est sure, Madrid est inquiète. A défaut d’une réduction ou d’une perturbation de son approvisionnement en gaz, ces opérateurs craignent désormais de payer le gaz algérien à un prix très élevé.

Si l’Espagne a été officiellement la première à faire part de sa volonté d’accroitre le volume de gaz importé de l’Algérie, c’est finalement l’Italie qui a pu signer un accord de livraison d’une grande quantité supplémentaire de gaz via le gazoduc Transmed-Enrico Mattei reliant les deux pays via la Tunisie. Si officiellement les autorités n’ont pas dévoilé le volume exact et le prix du mètre cube du gaz supplémentaire qu’Alger va livrer à l’Italie, le responsable de l’énergéticien italien ENI ne laisse aucun doute sur le volume qu’Alger s’est engagé à livrer à l’Italie d’ici 2024. Ce sont 9 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires qui seront à l’Italie à cette date, soit un volume global de plus de 30 milliards de mètres cubes qu’Alger livrera annuellement à Rome.

Du coup, cette forte hausse de l’approvisionnement en gaz accordée ne pouvait qu’inquiéter l’Espagne qui a aussitôt engagé des discussions avec l’Italie. Ainsi, selon Bloomberg, «des diplomates italiens et espagnols sont en pourparlers après que la décision de Rome de sécuriser de gros volumes de gaz algérien ait alimenté les inquiétudes de Madrid», l’Espagne craignant que son accès au gaz algérien ne soit affecté.

D’abord, avec cet accord, il est certain que Madrid ne pourra plus bénéficier de gaz supplémentaire de la part d’Alger, comme elle le souhaitait. Et pour cause, ces 9 milliards de mètres cubes promis à l’Italie, soit l’équivalent d’environ 12% de la demande globale de ce pays, Alger n'en dispose pas actuellement. Elle pourra, au plus, livrer 3 à 4 milliards de mètres cubes supplémentaires à l’Italie au cours de cette année, si jamais elle tient à respecter ces engagements auprès de ces autres partenaires et clients, dont particulièrement l’Espagne, son second client européen auquel il a signé un accord de livraison de 10 milliards de mètres cubes et le Portugal.

Une chose est sure, pour les Espagnols, en signant un important contrat gazier avec l’Italie, l’Algérie a décidé d’opter pour ce pays comme un grand allié énergétique européen au détriment de l’Espagne qui perd ainsi ses positions comme hub gazier du sud de l’Europe, comme l’a bien souligné le journal espagnol El-Mundo. En effet, l’Espagne recevait une importante quantité de gaz d’Algérie dont une partie permettait d’approvisionner les autres pays européens dont le Portugal et la France.

Seulement, si Alger ne peut arrêter ses livraisons et se dérober de cet accord sous peine de subir de lourdes sanctions, elle peut réduire les quantités livrées en insinuant des problèmes techniques ou autres raisons.

Mais, ce qui inquiète le plus actuellement les opérateurs espagnols, c’est la volonté d’Alger de renégocier les tarifs du mètre cube de gaz livré à l’Espagne. Une décision, si elle est légitime et permise par les contrats, dans un contexte de flambée des cours du gaz, a été annoncée quelques jours après le changement de la position espagnole sur la question du Sahara. Ainsi, elle s’annonce comme une volonté des autorités algériennes de sanctionner leur partenaire historique dans un contexte de tension sur le gaz au niveau du continent européen à cause de la crise en Ukraine.

Du coup, cette décision de révision du tarif de gaz inquiète, selon Bloomberg, l’industrie gazière espagnole. Et pour cause, n’ayant plus de crainte de trouver des preneurs de son gaz, Alger se retrouve en position de force lors des négociations avec la partie espagnole et pourra imposer ses tarifs du gaz aux opérateurs espagnols qui ne pourront qu’accepter les offres d'Alger. A défaut, ils pourront voir leur approvisionnement en gaz venant de l'Algérie se réduire drastiquement dans un contexte difficile à cause de la crise en Ukraine et de la volonté des Européens à réduire de manière drastique leur dépendance vis-à-vis du gaz russe. 

Ainsi, ce sont les partenaires espagnols de la Sonatrach algérienne qui sont inquiets des conséquences des répercussions de l’augmentation du volume dédié à l’Italie et donc de la capacité d’Alger à maintenir l’approvisionnement correcte de l’Espagne. Et pour cause, ils ne sont pas surs qu’Alger ait les capacités d’augmenter à 9 milliards de mètres cubes de gaz à l’Italie à l’horizon 2023-2024.

Et si le géant italien ENI parle de développement de projets gaziers en amont développés avec l’Algérie, il faudrait alors une échéance beaucoup plus longue que 2023-2024 pour atteindre un volume complémentaire de 9 milliards de mètres cubes. Entre l’exploration, les découvertes et l’exploitation, il faudra au minimum 4 à 5 ans pour disposer du gaz à exporter.

En tout cas, le PDG de la Sonatrach, Toufik Hakkar, s’est empressée, au lendemain de la signature de cet accord avec l’Italie, d’effectuer des visites des centres de traitement de gaz d’Aïn Tsila-Isarene, qui devrait entrer en service avec une capacité de 10 millions de mètres cubes de gaz par jour avant la fin du premier trimestre 2023, et de Tinrhert-Ohanet, dans la région d’Ohanet, d’une capacité de traitement de 4,6 millions de mètres cubes par jour. Ces projets, situés dans la wilaya d’Illizi, vont accroître la production en gaz du pays à hauteur de 5 milliards de mètres cubes, selon les données avancées par les dirigeants de la Sonatrach. Une manière de rassurer quant aux capacités de l’Algérie à faire face à ses engagements.

Toutefois, il faut souligner qu'une grande partie de cette production sera affectée à la consommation intérieure qui croit de 10% par an. C'est dire que ce n’est qu’une petite partie de ce gaz qui sera affectée à l’export.

Seulement, si ce volume, une fois ajouté à celui disponible de 2 à 3 milliards de mètres cubes, se rapproche des 9 milliards de mètres cubes prévus par l’accord, il faut souligner que ces nouveaux projets ne permettent pas de compenser le déclin des puits de gaz en cours d’exploitation depuis des décennies et dont la production baisse d’année en année. L’Algérie est un producteur de gaz et de pétrole en déclin. Outre l’épuisement des puits qui offre la quasi-totalité des exportations de gaz actuellement, le pays n’a pas investi au cours de ces dernières années dans l’exploration et le développement de nouveaux projets d’envergure à cause de la crise financière qu’il a traversée dans le sillage de la chute du cours du baril de pétrole.

Du coup, Alger aura du mal à assurer à l’Italie les 9 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires, tout en faisant face à l’augmentation exponentielle de sa consommation intérieure. Partant, la crainte espagnole est bien justifiée. D'ailleurs, les Espagnols n'ont pas attendu la signature de cet accord pour chercher des alternatives. Depuis la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe passant par le Maroc, ils ont compris que leur approvisionnement via le seul gazoduc Medgaz n'est pas une assurance pour leur sécurité énergétique et se sont engagés dans la diversification de leurs sources d'approvisionnement. Ainsi, au terme des premiers mois de l'année en cours, les impotations en provenance des Etats-Unis ont supplanté celle de l'Algérie, qui elle même est à coude-à-coude avec le Nigeria en tant que second fournisseur de gaz à l'Espagne. 

Reste que d’après Bloomberg, lors des rencontres entre responsables espagnols et italiens, un responsable italien, proche du dossier, a rassuré que l’accord signé entre l’Algérie et l’Italie «n’affecterait pas les approvisionnements espagnols».

Seulement, à l’instar des vaccins anti-Covid-19 lorsque la pandémie faisait des ravages au niveau du continent européen, les pays européens montrent leur égocentrisme à chaque fois qu'ils font face à des crises aigues. Engagés à arrêter leur approvisionnement en gaz russe à l’horizon 2027, ils se font une concurrence acharnée pour trouver des clients, sans se soucier des intérêts des autres pays de l’Union européenne. Et à ce jeu, les Italiens savent s'en sortir,...

Par Karim Zeidane
Le 14/04/2022 à 14h18, mis à jour le 14/04/2022 à 14h20