Crise entre Russie et Ukraine: l’Algérie se positionne sur la fourniture du gaz à l’Europe, mais en a-t-elle les moyens?

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Le 27/02/2022 à 18h20, mis à jour le 27/02/2022 à 18h21

L’Algérie se dit prête à fournir plus de gaz à l’Union européenne pour compenser une éventuelle baisse de l'approvisionnement en gaz russe. Si c’est de bonne guerre de se positionner sur ce marché qui cherche à diversifier ses sources énergétiques, reste à savoir si Alger en a les moyens.

L’Union européenne est inquiète pour son approvisionnement en gaz venant de la Russie après l’invasion de l’Ukraine par l'armée de Vladmir Poutine. Le Conseil des ministres européens en charge de l’Energie se réunit le lundi 28 février à Bruxelles pour étudier la situation critique de l’approvisionnement en énergie de l’Europe. Avec une consommation s’élevant à hauteur de 400 milliards de m3 en 2021, l’Europe dépend fortement du gaz russe. En 2019, le géant Gazprom a fourni, uniquement via les gazoducs, 199 milliards de m3 de gaz à l’Europe!

Face à cette volonté de l’UE de sortir de cette forte dépendance du gaz russe, l’Algérie se positionne pour accroitre ses parts sur ce marché stratégique. Ce qui est de bonne guerre. Ainsi, l’Algérie est «disposée à soutenir ses partenaires de long terme en cas de situations difficiles», selon le PDG de la Sonatrach, Toufik Hakkar, soulignant qu’Alger peut fournir des quantités supplémentaires en gaz à l’Europe sous forme de Gaz naturel liquéfié (GNL) ou via le gazoduc Transmed. Il faut dire que si le gazoduc Medgaz reliant l’Algérie à l’Espagne est plus que saturé, le pays dispose d’un second gazoduc le reliant à l’Italie et doté d’une capacité pouvant atteindre les 32 milliards de mètres cubes par an, selon les autorités algériennes. A peine, moins de 70% des capacités de ce gazoduc sont utilisés.

C’est dire que l’Algérie a les capacités pour approvisionner l’Europe, via ce gazoduc, pour exporter 10 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires par an. En plus, d’après l’ancien ministre et ex-PDG de la Sonatrach, Abdelmadjid Attar, l’Algérie peut expédier davantage de gaz sous forme de GNL sachant que «les unités de liquéfaction en Algérie ne sont exploitées qu’à 50/60% de leurs capacités».

En clair, l’Algérie dispose des moyens pour acheminer davantage de gaz sur le marché européen. La réalité est que ce n’est pas l’acheminement du gaz vers l’Europe qui pose plus problème à l’Algérie, mais le principal écueil est celui de la disponibilité d’une quantité supplémentaire de gaz à exporter. D’ailleurs, le PDG de la Sonatrach, après avoir fait son offre d’exporter davantage de gaz vers l’Europe, s’est précipité pour faire remarquer que l’apport supplémentaire en gaz à l’Europe que l’Algérie pourrait offrir est tributaire de la «disponibilité de volumes excédentaires après satisfaction de la demande du marché national». Et c’est là que le bât blesse. En effet, si la situation actuelle est très favorable pour les exportateurs de gaz avec des cours si élevés, il n’en demeure pas moins que seuls ceux qui ont des capacités en réserve peuvent en profiter.

Or, en Algérie, les exportations sont fortement handicapées par l’’ampleur et la vigueur de la consommation intérieure et l’épuisement des puits de gaz. 

A cause de ces deux facteurs, les exportations de gaz algérien devraient se situer autour de 25 milliards de mètres cubes à l’horizon 2025, soit moins de la moitié des exportations en gaz du pays en 2005 qui se situaient à 64 milliards de m3 de gaz. Depuis cette date, les exportations se sont inscrites sur un trend baissier pour se situer à 43 milliards de m3 en 2019 et 41 milliards de m3 en 2020.

Outre le déclin de la production gazière, cette baisse des exportations s’explique beaucoup par la forte croissance de la consommation intérieure en gaz de l’ordre de 10% par an, alors que la production décline sous les effets combinés de l’épuisement des puits et de la faiblesse des investissements et d’entretien dans le secteur.

L’ex-ministre de l’Energie, Mustapha Guitouni, avait expliqué en décembre 2018 que l’Algérie produit 130 milliards de mètres cubes de gaz dont la moitié est consommée en interne, 30% devant rester dans les puits pour qu’ils demeurent actifs et seulement le reliquat est exporté. Et sachant que la consommation intérieure, à cause des subventions, ne faiblit pas, la part dédiée à l’export ne cessera de baisser.

Pour sa part, Chems Eddine Chitour, ministre de la Transition énergétique, avait tiré la sonnette d’alarme en janvier 2021 en soulignant qu’au rythme actuel de la hausse de la consommation de gaz naturel,’«en 2030, on aura un sérieux problème ,soit on consomme, soit on exporte. C’est une rupture qu’il faut mener. Le pétrole et le gaz vont disparaître».

Thierry Bros, professeur à Sciences Po et expert en énergie, contacté par France 24, confirme. que «l’Algérie est un cas spécial, puisque ce pays est assez proche des frontières de l’UE, donc on pourrait imaginer qu’il puisse suppléer le gaz russe, comme il fournit déjà du gaz à plusieurs pays en Europe, et spécialement à l’Espagne, au Portugal et à l’Italie. Mais en pratique, il y a un problème, puisque l’Algérie a besoin de beaucoup de gaz pour sa propre consommation, et comme elle n’a pas fait les investissements nécessaires jusqu’ici, les volumes qui sont disponibles pour l’exportation sont assez limités pour prétendre remplacer le gaz russe».

C’est dire que les marges de manœuvre de l’Algérie pour exporter davantage de gaz et contribuer à compenser les baisses des approvisionnements de l’Europe venant de la Russie est faible. D’ailleurs, l’ex-ministre et ex-PDG de la Sonatrach, Attar, estime que l’Algérie ne pourrait «fournir à l’UE que 2 ou 3 milliards de mètres cubes de plus», au grand maximum. Une goutte dans l’océan.

C’est d’ailleurs en voyant les cours des hydrocarbures flamber que les autorités algériennes se sont décidées à réagir en annonçant des investissements colossaux. Le président algérien a annoncé un investissement de 40 milliards de dollars entre 2022 et 2026 dans l’exploitation, la production et le raffinage de pétrole et dans la prospection et l’extraction de gaz.

Seulement, il faudrait au moins 5 à 6 ans pour que ces investissements annoncés aujourd’hui se traduisent concrètement en quantités exportables. En clair, ces investissements, s’ils sont réellement réalisés, ce qui n’est pas toujours le cas, ne devront porter leurs fruits qu’à l’horizon 2027-2028. Ce qui ne serait pas d’un grand secours pour les Européens.

C’est pourquoi ces derniers ont imposé des sanctions multiformes à la Russie, mais ont épargné le secteur des hydrocarbures, exceptée la suspension du gazoduc Nord Stream 2 qui n’était pas encore entré en service, et ce afin d’éviter une explosion des cours du gaz et du pétrole, surtout que les exportateurs de gaz réunis dernièrement à Doha, dont le Qatar et l’Algérie, avaient clairement affiché leur incapacité à augmenter rapidement leur approvisionnement de l’Europe.

Par Karim Zeidane
Le 27/02/2022 à 18h20, mis à jour le 27/02/2022 à 18h21