Après la pluie, le beau temps? Le cours des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) flambent, et tout semble indiquer qu’ils vont continuer à grimper dans les semaines, voire les mois à venir, avec l’approche de l’hiver qui fait exploser la demande en pétrole et en gaz.
Ainsi, les cours du baril de pétrole se situent actuellement très largement au-dessus du cours moyen du baril de 2020 qui tournait autour de 42 dollars. A la clôture de la journée du lundi 12 octobre, à New York, le cours du baril de WTI pour livraison en novembre a clôturé la séance au-dessus de 80 dollars pour la première fois depuis 1984, à 80,52 dollars.
A Londres, le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en décembre a, lui, fini à 83,65 dollars, après avoir atteint 84,60 dollars, soit son plus haut niveau depuis 2018. En résumé, le cours du baril de pétrole a presque doublé, comparativement au prix moyen de l’année dernière.
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C’est bien plus pour le gaz, dont le cours a flambé de plus de 250% depuis fin 2020. Mieux encore, en 2020, à cause de la crise sanitaire, le prix du cours du gaz était tombé jusqu’à moins de 1 dollar pour la British thermal unit (BTU). Actuellement, ce prix évolue largement au-dessus des 30 dollars sur le marché spot, et pourrait se maintenir entre 30 et 50 dollars d’ici à la fin du mois de mars 2022, selon diverses projections.
La flambée des cours du pétrole et du gaz risque de se poursuivre dans les semaines et mois à venir avec le froid hivernal qui s’annonce en Europe, où les stocks sont au plus bas, alors que l’offre reste insuffisante.
Selon les experts, tant qu’une nouvelle importante ne vient pas calmer le marché, le risque d’emballement haussier du cours du baril ne peut être écarté, surtout si la reprise de l’économie mondiale se confirme. Les trois facteurs qui peuvent atténuer cette flambée des cours sont la hausse de la production par l’OPEP (OPEP+, Russie et autres exportateurs de pétrole), l’augmentation des livraisons de gaz par la Russie à l’Europe, et l’accès aux réserves stratégiques par les Etats-Unis. Pour le moment, aucun de ces leviers n’a encore été actionné.
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En conséquence, les cours de l’or noir devraient continuer à grimper. Ainsi, plusieurs analystes estiment que le baril de pétrole pourrait franchir la barre des 90 dollars dès la fin de cette année.
Dans ce contexte, un fait est sûr: les pays pétroliers et gaziers africains se frottent les mains après une année 2020 de galère, marquée par une chute historique des cours de pétrole à hauteur de 20 dollars, un prix ne couvrant qu’à peine le coût d’exploitation de certains gisements pétroliers du continent.
Ces cours relativement élevés constituent une aubaine pour les producteurs rentiers africains, et tout particulièrement les premiers exportateurs du continent: le Nigeria, l’Algérie, la Libye, l’Angola, etc., qui dépendent essentiellement des exportations pétrolières, et qui ont souffert au cours de ces six dernières années à cause du prix faible du baril de pétrole.
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Des pays qui font face à des déficits budgétaires colossaux, qui les obligent à recourir à l’endettement intérieur et extérieur pour financer les déficits. A titre d’exemple, les hydrocarbures (le pétrole et le gaz) représentent 95% des recettes d’exportations de l’Algérie et plus de 55% de ressources budgétaires.
Idem pour le Nigeria, la première puissance économique africaine, dont les hydrocarbures pèsent pour 90% des recettes d’exportations et pour 50% des recettes fédérales.
Toutefois, malgré la hausse du cours du baril de pétrole, les producteurs africains resteront loin des équilibres budgétaires. A titre d’exemple, l’Algérie ne peut retrouver l’équilibre budgétaire que si le cours moyen du baril atteint 130-135 dollars, selon des estimations faites par le Fonds monétaire international (FMI) en début d’année.
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Le pire, c’est que les grands producteurs de pétrole et de gaz africains ne peuvent réellement profiter de cette flambée des cours du pétrole et du gaz et ce, pour plusieurs facteurs. D’abord, les pays africains, qui sont globalement de faibles producteurs, sont obligés de respecter les quotas de production imposés par les accords de l’OPEP+, dans le but de soutenir les cours du pétrole.
A titre d’exemple, le Nigeria ne produit actuellement que 1,47 million de barils de pétrole par jour, alors que sa capacité réelle de production est d’environ 2 millions de barils/jour.
Ensuite, ces quotas étant fixés selon les productions des pays, les faibles quotas des pays africains s’expliquent essentiellement par le bas niveau de la production d’or noir dans le continent, qui s’explique par le déclin pétrolier annoncé en Afrique.
Une étude publiée par le think tank Shift Project, commanditée par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) relevant du ministère français des Armées, annonce la chute de la production pétrolière au cours de la décennie 2020-2030, qui amorce inexorablement le déclin pétrolier des principaux producteurs africains.
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Si cette tendance prédite ne s’inverse pas, les grands producteurs africains deviendront tous des nains pétroliers à l’horizon 2050. A titre d’exemple, le Nigeria, dont la production avait atteint 2,5 Mb/j en 2005 avant de tomber à 1,7 Mb/j en 2019, ne devrait produire que 0,2 Mb/j en 2050.
On comprend dès lors les difficultés actuelles du premier producteur africain à atteindre les 2 milliards de barils, et ce, quand bien même l’OPEP+ a décidé d’imposer des quotas de production.
Le cas est identique pour l’Algérie, confrontée depuis quelques années au déclin de ses puits pétroliers et gaziers. D’ailleurs, le pays n’arrive même à atteindre le quota de production qui lui a été fixé par l’OPEP, lequel a tourné autour de 942.000 barils/jour en ce mois d’octobre et autour de 952.000 barils/jour pour novembre prochain.
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Par ailleurs, l’Algérie, le premier exportateur de gaz du continent, ne peut profiter de cette embellie à cause de ses contrats gaziers de long terme. En effet, le pays est lié avec des contrats de long terme pour l’approvisionnement en gaz naturel avec l’Italie, l’Espagne et le Portugal, qui lui absorbent l’essentiel de ses exportations en gaz, en les exportant via des gazoducs.
Il s’agit de contrats de long terme, dotés de clauses d’indexation portant sur une révision des prix du gaz tous les deux ou trois ans, en fonction des coûts de transport du gaz de son lieu de production à son lieu de livraison, des coûts de production du gaz naturel… En conséquence, comme l’a reconnu Toufik Hakkar, PDG de la Sonatrach, «nous avons nos contrats (gaziers) de long terme, et la hausse des prix n’aura pas de grand effet sur nos prix. Mais, il y a une quantité de gaz (GNL) qui est écoulée sur le marché spot et là, nous allons bénéficier de la hausse des prix».
Or, si les prix du gaz pour novembre et décembre prochains sont de plus de 30 dollars la BTU (British thermal unit), un niveau encore jamais dépassé dans l’histoire, les contrats gaziers reconduits avec les partenaires européens l’ont été avant 2021, alors que les cours étaient très bas.
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En plus, il y a un autre fait: le gaspillage des ressources gazières par l’Algérie et le Nigeria, à cause du «torchage» du gaz lors de l’exploitation du pétrole. En effet, lors de la production de pétrole, les gaz sont torchés (c’est-à-dire brûlés) par les producteurs, qui s’intéressent essentiellement au pétrole.
L’Algérie et le Nigeria figurent parmi les 7 pays du monde où d’importants volumes de gaz sont littéralement brûlés dans l’atmosphère, et donc perdus lors de l’extraction du pétrole.
La récupération de ces gaz nécessitant de lourds investissements de la part des compagnies pétrolières, celles-ci préfèrent les brûler.
Selon la Banque Mondiale, le volume du gaz torché dans le monde a baissé de 5% en 2020, pour ressortir à 142 milliards de mètres cubes. L’institution souligne que «le volume de gaz brûlés à travers le monde reste suffisant pour alimenter l’Afrique subsaharienne en électricité».
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Les 7 principaux pays émetteurs de gaz torché sont la Russie, l’Iraq, l’Iran, les Etats-Unis, l’Algérie, le Venezuela et le Nigeria, qui représentent 65% du volume mondial de gaz torché.
Ainsi, les deux premiers exportateurs de gaz africains figurent à la 5e et à la 7e place des plus grandes brûleurs de gaz lors de l’extraction du pétrole, ce qui constitue des pertes énormes dans le contexte actuel des cours du gaz.
Pourtant, en installant des infrastructures pour recueillir et évacuer le gaz généré, l’Algérie et le Nigeria pourraient grandement augmenter leurs exportations de gaz.
Le Nigeria, contrairement à l’Algérie, a fait des progrès au cours de ces 15 dernières années en réduisant son torchage de gaz de près de 70%, à seulement 7 milliards de mètres cubes en 2020. Une loi votée par le Sénat nigérian, interdisant le torchage du gaz naturel, a même été adoptée.
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Annuellement, pour le Nigeria, second exportateur de gaz africain derrière l’Algérie, les pertes estimées du torchage sont évaluées à 2,5 milliards de dollars par an par la Banque Mondiale, et ce, bien avant la flambée des cours du gaz. En conséquence, le Nigeria, qui dispose des 9e réserves mondiales de gaz, estimées à 180.000 milliards pieds cube, n’est que le 24e producteur mondial de gaz.
Cette situation est également valable pour l’Algérie, qui n’a pas fait d’efforts pour réduire le torchage et donc le gaspillage de gaz. Ce gaspillage, au-delà de ces conséquences environnementales, réduit donc la capacité de production et donc d’exportation des pays africains.
Enfin, dans le cas spécifique de l’Algérie, les exportations de gaz sont actuellement handicapées par l’ampleur et la vigueur de la consommation intérieure. Ainsi, selon l’ancien ministre de l’Energie Abdelmadjid Attar, à cause de la demande intérieure et de l’épuisement des puits, les exportations de gaz devraient se situer autour de 25 milliards de mètres cubes à l’horizon 2025, soit moins de la moitié des exportations en gaz du pays en 2005 qui se situaient à 64 milliards de m3. Des exportations qui n’ont d’ailleurs cessé de chuter depuis, pour se situer à 43 milliards de mètres cubes en 2019 et 41 milliards de mètres cubes en 2020.
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Cette baisse des exportations s’explique surtout par la forte hausse de la consommation intérieure, de 10% par an, alors que la production décline à cause de l’épuisement des puits de gaz et de la faiblesse des investissements et de la maintenance dans le secteur.
D’ailleurs, un autre ex-ministre de l’Energie, Mustapha Guitouni, avait prédit en décembre 2018 que «si on continue à consommer à ce rythme, on arrêtera d’exporter à l’horizon 2022», expliquant que l’Algérie produit 130 milliards de mètres cubes de gaz, dont la moitié est consommée en interne. Selon ce même ex-responsable, 30% du gaz devrait rester dans les puits pour qu’ils demeurent actifs.
En conséquence, la part dédiée aux exportations s’amoindrirait au fur et à mesure que la consommation intérieure augmente et que le déclin des puits gaziers s’aggrave.
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En résumé, à cause du rythme de la hausse de la consommation intérieure, les exportations algériennes s’inscrivent logiquement dans un trend baissier. D’ailleurs, le pays a aujourd’hui bien du mal à respecter ses engagements envers ses partenaires européens (notamment l’Italie et l’Espagne).
A cause de tous ces facteurs, les grands producteurs de gaz et de pétrole africains ne profitent pas pleinement de l’embellie actuelle du cours des énergies fossiles.
Il reste à savoir si les pays africains producteurs de pétrole vont tirer les conséquences de la crise financière qu’ils ont traversée au cours de ces dernières année, avec un cours du baril très bas. Pas si sûr.