Dans les vraies démocraties, il y a les trois pouvoirs: l'exécutif, le judiciaire et le législatif. Mais en Algérie, le vrai pouvoir a toujours été d'abord entre les mains de l'armée et des services et ensuite de la présidence. Durant les trois premiers mandats de Abdelaziz Bouteflika, ce partage du pouvoir était avéré. La fin de ce quatrième mandat montre un tout autre visage au sommet de l'Etat algérien.
Alors que Abdelaziz Bouteflika reste cloué sur son fauteuil roulant, il vient de décimer l'armée, après avoir écarté et même dissout l'ex-Département de renseignement et de sécurité (DRS). Il est ainsi devenu l'unique maître de l'Algérie.
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Tout a commencé en septembre 2015, il y a trois ans donc, quand le général Mohamed Mediene, alias Toufik, l'homme qui pendant 25 ans était le chef du DRS (le faiseur des présidents), a été écarté. Cette décision lourde de sens a pour principale conséquence de se débarrasser de l'un des deux Etats dans l'Etat qui gênent le clan Bouteflika dans son exercice du pouvoir. D'ailleurs, ce limogeage s'est effectué dans des conditions on ne peut plus floues. En effet, à ce jour, "le décret de limogeage du général Toufik n'a toujours pas été publié", expliquait Mohammed Hachemaoui, dans le quotidien La Croix.
Le sociologue n'est pas convaincu que Bouteflika, qui avait été coopté par le puissant DRS, puisse se débarrasser du vrai chef de l'Etat, mais cette fin de mandat prouve le contraire. Car, le clan Bouteflika a pris goût au pouvoir et s'est attaqué à l'un de ses ex-alliés, à savoir le général Gaïd Salah. Les prérogatives de ce dernier rapetissent chaque jour comme une peau de chagrin après que l'armée a été littéralement décimée.
Les généraux algériens tombent comme des mouches, depuis le fameux limogeage de Abdelghani Hamel, alors chef de la police, le 26 juin dernier. Les dernières victimes en date de cette purge sont les généraux-majors Mohamed Hammadi et Ali Bekkouche, respectivement chef d’état-major des forces aériennes et chef de la défense aérienne du territoire.
Au total, cette ultime décision porte à 11 généraux-majors ou généraux le nombre de hauts cadres de l'armée mis sur la touche. Les chefs des plus importantes des six régions militaires ont tous été démis de leurs fonctions pour céder la place à de nouveaux commandants.
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Mais comme ce sont les généraux de l'armée qui sont aussi à la tête de la gendarmerie et de la police, la purge ne les a pas épargnés. Au niveau de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), on ne compte pas moins d'une quarantaine de très hauts responsables qui ont été balayés du commandement.
Au final, quel pouvoir reste-t-il à Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense, troisième personnage du gouvernement et chef d'état-major général de l'Armée nationale populaire (ANP)? Pratiquement aucun. Désormais, son armée est sans tête et les généraux-majors qui étaient sous ses ordres directs ont été remplacés par d'autres qui n'avaient pas de réelles unités de commandement.
Car certains dirigeaient des écoles de formation, tandis que d'autres commandaient des organes périphériques de la sûreté. Par exemple, c'est Ali Sidane qui a pris la place de Lahbib Chentouf à la tête de la plus importante région militiare du pays. Le général Sidane ne dirigeait que l'académie militaire. De même, le chef de la police, Abdelghani Hamel, a été remplacé par le colonel Mustapha Lahbib, qui était à la tête de la sécurité civile.
Néanmoins, un corps échappe à cette purge, à savoir la Garde républicaine algérienne, à la tête de laquelle se trouve un fidèle parmi les fidèles de Bouteflika, en l'occurrence le général-major Ben Ali Ben Ali. Un moment pressenti remplaçant de Ahmed Gaïd Salah, celui qui dirige la garde rapprochée de Bouteflika est à la tête d'une armée dans l'armée, capable de faire face à un éventuel coup de force. D'ailleurs, en 1992, lors de la destitution du président Chadli Benjedid, la garde républicaine a failli en venir aux armes avec le reste de l'armée. Le clash aurait été évité in extremis. Le clan de Bouteflika, qui ne sait que trop bien l'envie nourrie par le général Gaïd Salah de prendre le pouvoir, connaît l'importance de ce corps.
En tout cas, actuellement, plus rien ne s'oppose à un cinquième mandat de Bouteflika et à une continuité du pouvoir, même après le départ de Bouteflika. Tout a été définitivement vérrouillé. Une question demeure: l'armée acceptera-t-elle de se mettre à genoux devant Bouteflika?