A peine le régime Bouteflika mis à terre par le peuple, avant même le départ officiel de l’ex-président, le général Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée algérienne, annonçait une opération «Mains propres» contre les oligarques qui se sont rapidement enrichis.
L’homme qui a chevauché durant 14 ans avec le clan Bouteflika et qui partageait les rênes du pouvoir avec le frère et conseiller de l’ex-président, Saïd Bouteflika, veut désormais se donner une image d’un homme "propre", à même de mener la lutte conte la corruption.
La chasse aux sorcières est donc lancée, et les boucs émissaires sont rapidement trouvés. Ils sont désormais uniquement, et naturellement, dans le camp des vaincus, celui de l'ex-président Bouteflika.
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Ainsi, après la douzaine d’oligarques interdits de sorties du territoire et l’arrestation et l’emprisonnement d’un des symboles de ces oligarques, Ali Haddad, ex-président du patronat algérien, Gaïd Salah vient d’élargir le champ de cette lutte en décidant la réouverture des dossiers de corruption qui ont éclaboussé les entreprises publiques et «saigné le Trésor public» algérien.
Parmi ceux-ci, figurent l’affaire Al Khalifa, Sonatrach, Kamel Chilhi dit «le Boucher» (affaire des 701 kg de cocaïne). L’affaire Khalifa, le premier scandale de l’ère Bouteflika où se mêle corruption, détournement de biens publics, et celle de la Sonatrach, avec d’importantes pots-de-vin versés par des grands groupes pétroliers dont l’italien ENI et le canadien SNC Lavalin pour obtenir des marchés dans le secteur des hydrocarbures, qui avait d'ailleurs emporté le ministre de l’Energie et des mines de l’époque, Chakib Khelil... Toutes ces affaires, et tant d’autres, ciblent des proches du camp Bouteflika, qui ont pu échappé aux griffes de la justice.
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Selon le nouvel homme fort de l’Algérie, la justice qui a recouvert ses prérogatives est en «mesure d’entamer des poursuites judiciaires contre toute la bande impliquée dans les affaires de détournement et de dilapidation des fonds publics», dans un discours prononcé lors de sa visite dans la 2e région militaire.
Si cette décision est salutaire, en ce sens qu’elle va amener certaines personnes, jusque-ici intouchables à cause de leur proximité avec le clan Bouteflika, à rendre des comptes, des observateurs avertis craignent cette nouvelle justice, aux ordres du général, et donc forcément sélective.
En effet, c’est la justice des vainqueurs que Gaïd Salah semble vouloir imposer au peuple, comme il a su l'imposer pour la transition démocratique avec son fameux article 102.
Sinon comment Gaïd Salah peut-il se laver les mains, et à grande eau, de la corruption qui a gangrené le régime Bouteflika pendant les 14 années durant lesquelles il a couvert tous les actes du régime, tout en bénéficiant naturellement des commissions tirées des gros marchés d’armement de l’Etat algérien?
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Ce n’est pas pour rien que l'Algérie trône au sommet des pays les plus dépensiers en armement en Afrique, notamment au cours de ces dernières années durant lesquelles Gaïd Salah a été à la tête de l'Armée Nationale Populaire, seule face à un président rongé par la maladie.
Bref, dans cette Algérie post-Bouteflika, gérée par certains «anciens proches» de Bouteflika –soit Gaid Salah, Noureddine Bédoui, Abdelkader Bensalah et Tayeb Belaiz-, la justice est loin de retrouver ses pleines prérogatives.
La question que tout le monde se pose est de savoir si cette lutte contre la corruption va aussi toucher l'armée algérienne et les gros contrats d’armes auprès de la Russie?
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Rien n'est moins sûr. Les seuls membres de cette armée, qui ont été la cible de critiques, sont les proches protecteurs de l’ancien régime.
Bachir Tartag, l’homme des Renseignements généraux de Bouteflika, est en première ligne.
De même, le général-major Menad Nouba, ancien commandant de la gendarmerie, et le général-major Abdelghani Hamel, ex-patron de la DGSN algérienne, pourraient être pris dans la nasse des accusés de l’affaire des 701 kg de cocaïne.
En clair, ce sont les sécuritaires du camp des vaincus qui vont payer pour le reste des troupes.
Bref, interdits de sortie du territoire national (et donc sous le coup d'une ISTN), ces généraux et oligarques de l’ancien régime ne bénéficient d’aucune présomption d’innocence.
Ils font désormais face à la justice des vainqueurs qui cherchent avant tout à se protéger en jetant en pâture certaines personnes, qui n'ont, il faut le reconnaître, pas plus qu'eux les mains propres. Le justice voulue par Gaïd Salah ressemble bien à une parodie.