Algérie: le régime profite bien du coronavirus pour régler les comptes avec les responsables et figures du Hirak

Un protestataire tenant un panneau réclamant la libération de Karim Tabbou lors d'une manifestation à Alger, en 2019 (Afp).

Un protestataire tenant un panneau réclamant la libération de Karim Tabbou lors d'une manifestation à Alger, en 2019 (Afp).. Afp

Le 09/04/2020 à 15h51, mis à jour le 09/04/2020 à 15h56

Le régime algérien profite de la situation exceptionnelle de la pandémie du coronavirus pour régler ses comptes avec les hirakistes. Plusieurs figures du mouvement ont été condamnées ces derniers jours au moment où, partout dans le monde, on vide les prisons pour éviter les contagions.

Alors que tout le monde espérait que la crise du coronavirus allait servir de déclic devant mener à l’ébauche d’un véritable dialogue entre le gouvernement du président Abdelmadjid Tebboune et le mouvement populaire derrière les manifestations qui ont chassé l’ancien président Abdelaziz Bouteflika du pouvoir, c’est le contraire qui prévaut actuellement en Algérie.

Le régime et sa machine judiciaire aux ordres profitent pleinement de la situation d’exception du coronavirus pour solder ses comptes avec les dirigeants et figures emblématiques du mouvement populaire de contestation.

C’est ainsi que Karim Tabbou, figure emblématique du Hirak a été condamné le 24 mars 2020, lors d’un procès expéditif en appel, à une peine alourdie d’un an de prison ferme, alors qu’il était libérable le 26 mars dernier. Il avait écopé le 26 septembre 2019 d’une peine d’un an de prison, dont six mois ferme, pour «atteinte à l’intégrité du territoire national».

Ce jugement a eu lieu alors que le ministère de la Justice avait annoncé le 16 mars la suspension, jusqu’au 31 mars, de toutes les audiences des tribunaux criminels et correctionnels, à l’exception de celles déjà en cours pour les personnes en détention, à cause du coronavirus.

Amnesty International avait rapidement réagi en demandant l’annulation de la condamnation et en soulignant que «la décision de justice rendue aujourd’hui envoie un message effrayant aux manifestants, y compris aux militants politiques et autres militants de la société civile. Toute personne qui ose s’opposer ou critiquer le gouvernement sera punie».

Et l’ONG avait vu juste. Depuis, Khaled Drareni, Slimane Hamitouche, Sami Belarbi, Sofiane Merakchi, Ibrahim Daoudji, Abdelouahab Fersaoui, secrétaire général du Rassemblement action jeunesse (RAJ), une association activement impliquée dans le hirak ont été condamnés. La condamnation à un an de prison ferme de ce dernier pour avoir exprimé son opinion pacifiquement sur Facebook a choqué.

«Même en temps de guerre, les ennemis respectent les trêves», peste Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. «Aujourd'hui, en ces temps du coronavirus, nous assistons à la contre-révolution, le pouvoir profite de la trêve observée par le hirak. Il se venge scrupuleusement des militants, des hirakistes qui ont porté haut et fort les aspirations et les voix du peuple pour le changement du système», fulmine encore Saïd Salhi.

Pour sa part, Amnesty International a réagi en soulignant que «condamner un militant à une année de prison ferme pour avoir exprimé son opinion pacifiquement sur Facebook en pleine crise sanitaire est inadmissible et scandaleux».

En clair, n’ayant plus peur des manifestations à cause du coronavirus, le régime en profite pou mettre les voix discordantes en prison, avec tout le risque que cela comporte, alors que les dirigeants et figures emblématiques du Hirak dont Karim Tabbou, ont tous appelé la population à suspendre les manifestations populaires qui se déroulaient, de manière discontinue, tous les vendredis et mardis, et ce depuis le 22 février 2019, contre le régime.

Preuve de cette volonté du régime à punir les hirakistes, aucun membre du mouvement n’a bénéficié de la grâce présidentielle accordée à plus de 5.037 détenus par le président Abdelmadjid Tebboune le 1er avril, dans le cadre de la politique visant à désengorger les prisons algériennes afin d’éviter les contagions au coronavirus.

Pourtant, il n’y avait aucune raison de les exclure de cette grâce. En effet, selon le communiqué de la présidence, ces mesures de grâce excluent «les individus condamnés par les juridictions militaires, les individus condamnés dans des affaires de crimes terroristes, trahison, espionnage, massacre, trafic de drogues, fuite, parricide, empoisonnement, les délits et crimes d'attentat à la pudeur avec ou sans violence sur mineurs avec viol, les crimes de dilapidation volontaire et de détournement de deniers publics, et en général tous les crimes de corruption prévus par la loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, le blanchiment d'argent, falsification de la monnaie et contrebande, ainsi que les infractions à la législation et à la réglementation de changes et des mouvements des capitaux».

Seulement, les dirigeants algériens n’ont pas froid aux yeux en inventant des accusations dénuées de tout fondement contre ces leaders avec des accusations inventées et graves dont «atteinte à l’intégrité du territoire national» et «incitation à la violence» pour un mouvement des plus pacifiques que le monde ait connus pou une durée aussi longue, etc.

Et pourtant, si le président Tebboune est aujourd’hui à la tête de l’Algérie, c’est en grande partie grâce aux mouvements de contestation qui ont ébranlé et obligé Bouteflika à démissionner, ouvrant par la même occasion les portes de la présidence à son actuel locataire qui fut un Premier ministre éphémère de l’ancien président.

Par Karim Zeidane
Le 09/04/2020 à 15h51, mis à jour le 09/04/2020 à 15h56