Algérie: Lynchage de Djamel Bensmail: l’ancien ministre Noureddine Boukrouh parle de "crime d'Etat"

Noureddine Boukrouh, homme politique et ancien ministre du Commerce sous Bouteflika.

Noureddine Boukrouh, homme politique et ancien ministre du Commerce sous Bouteflika. . DR

Le 18/08/2021 à 12h55, mis à jour le 18/08/2021 à 12h58

L’enquête sur le lynchage de l'activiste Djamel Bensmail tourne à la mascarade. Le coupable est désigné comme étant une «organisation terroriste». Toutefois, Noureddine Boukrouh, ancien ministre, parle d’un «crime d’Etat» orchestré par les services algériens.

Le lynchage de l’artiste et activiste du Hirak Djamel Bensmail, à Larbaâ Nath Irathen continue de susciter de vives réactions en Algérie où cet acte ignoble et barbare a suscité une vive émotion.

Après les annonces des premiers résultats de l’enquête, tout semble indiquer que les autorités algériennes tiennent «leur coupable» bien avant la fin des investigations. La DGSN annonce que derrière ce crime se cache un «groupe terroriste», en s’appuyant sur les «aveux» de 61 individus «impliqués à différents degrés» dans ce crime et surtout grâce à l’exploitation du téléphone portable de la victime qui «a permis de découvrir les véritables mobiles derrière son assassinat.

Pour le moment, l’identité de cette organisation terroriste n’a pas été dévoilée. Mais, tout porte à croire que les autorités algériennes désignent le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) qui a été classé comme «organisation terroriste» en mai dernier. Ainsi, après avoir imputé les incendies déclenchés en Kabylie, le lundi 9 août, à des criminels et organisations terroristes, le crime de l’activiste Bensmail porte aussi la signature de la même organisation, selon les autorités algériennes.

Seulement, cette conclusion hâtive est loin de faire l’unanimité en Algérie. En effet, dès les premiers incendies déjà les autorités avaient annoncé la piste criminelle et pointé du doigt, sans le nommer expressément, le MAK, suscitant l’incompréhension.

Ainsi, dans une sortie sur sa page Facebook officielle, publiée après la sortie du directeur de la police judiciaire relevant de la DGSN, Noureddine Boukrouh, personnalité politique et ancien ministre du Commerce sous Bouteflika, revient sur ce crime odieux et barbare. Il s’est démarqué de la position voulant attribuer ce crime à une «organisation terroriste» en évoquant les «crimes d’Etat» qui ont entaché la marche de l’Algérie de 1957 à 2021 et qui s’expliquent par «les luttes pour le pouvoir et une certaine ”raison d’Etat” pouvait être invoquée, même s’ils n’ont jamais été reconnus comme tels».

Pour l’ancien ministre, «l’inexplicable et l’inadmissible dans l’affaire, c’est que les faits se sont déroulés à quelques mètres de l’entrée du commissariat de police, sous les yeux indifférents de plusieurs policiers, et avec l’assentiment des plus hauts responsables nationaux de la DGSN qui auraient ordonné ce retrait soi-disant pour ne pas causer de plus importantes pertes, ce qui veut dire que celle de Djamel était concédée avant d’être actée».

Il pointe du doigt «l’inaction de la police qui a assisté du début à la fin au lynchage sans esquisser le moindre geste dans ce ”flagrant délit”. Deux ou trois rafales tirées en l‘air auraient suffi pour mettre fin à l’expédition meurtrière et disperser la foule».

Pour lui, le coupable est la police, qui a «du sommet à la base, laissé commettre sous ses yeux et ceux du monde un lynchage barbare. En adoptant cette attitude, elle a délibérément suspendu sa raison d’être en tant qu’institution chargée de la protection de la vie humaine et de l’ordre public et, par conséquent, à l’existence de l’Etat pendant toute la durée du crime», ajoutant que celle-ci «a choisi de sacrifier un jeune homme de 34 ans venu faire du bien, de trahir son serment de défendre en toutes circonstances la loi, l’ordre et la sécurité des biens et des personnes et de rendre l’Etat complice d’un crime d’Etat sans raison d’Etat, sauf à croire à la théorie défendue par certains selon laquelle il s’agirait d’une opération destinée à faire d’une pierre deux coups: se débarrasser d’un ”hirakiste”, et imputer le crime au MAK».

En tout cas, des zones d’ombre persistent. Et la volonté des autorités à imputer aussi bien les incendies que le crime contre le jeune artiste et activiste Djamel Bensmail à une "organisation terroriste" est loin de faire l’unanimité.

Il faut dire qu’en invoquant les cellules criminelles et organisations terroristes sur les origines des incendies, les autorités algériennes avaient désigné les coupables avant même que l’enquête ne démarre. Et elles enfoncent le clou en attribuant à celle-ci aussi le lâche meurtre du jeune activiste. Une manière d’occulter toutes les autres pistes qui ne doivent pourtant pas être ignorées. Et ce, d’autant que des zones d’ombre sur le rôle des forces de sécurité algériennes ne sont pas éclaircies par l’enquête.

La passivité des forces de sécurité qui ont laissé Djamel Bensmail se faire sortir du fourgon de la police et de se faire lyncher à mort devant le commissariat sans réagir nécessite un éclairage sachant que certains médias algériens dont Algérie-Part ont clairement souligné l’implication «des Renseignement généraux algériens qui ont joué un rôle troublant dans le meurtre cruel et barbare du jeune bénévole».

«Nous avons pu confirmer effectivement auprès de plusieurs sources sécuritaires et policières que ce sont des éléments des RG relevant de la sûreté urbaine de Larbaâ Nath Iraten qui ont procédé, le mercredi 11 août dernier, à l’arrestation de Djamel Bensmail pour des raisons qui n’ont strictement aucun lien avec les origines criminelles des incendies de forêt en Kabylie». Il faut souligner que le jeune artiste était aussi un activité du Hirak connu des services algériens.

Par Karim Zeidane
Le 18/08/2021 à 12h55, mis à jour le 18/08/2021 à 12h58