Adama Gaye analyse les derniers actes posés par le régime algérien, notamment face à son voisin marocain. Le journaliste n'y va pas avec le dos de la cuillère. Dès l'entame de son texte intitulé "L'Algérie: la descente aux enfers", il note que "c'est un grand pays nord-africain à la dérive" dont le "panache d’un passé pourtant encore guère éloigné" s'est perdu. Sa haine viscérale envers un Maroc à qui tout semble réussir, en est-il la cause? L'analyse de Gaye le laisse penser.
Analyste pertinent et carnet d'adresses
Adama Gaye est l'un des journalistes africains les plus pertinents et ayant le plus grand carnet d'adresses de sa génération. Bien introduit auprès des chefs d'Etat et des hommes de pouvoir du continent, il ne tenait qu'à lui, d'après beaucoup, de décrocher un poste de ministre dans son pays ou d'être à la tête d'un important groupe de presse, s'il avait accepté la compromission si tentante. Mais intégrité et acharnement à dénoncer les dérives des régimes du continent continuent d'être son crédo.
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Les chaînes d'information comme Al Jazeera et la BBC font régulièrement appel à sa pertinence pour analyser les sujets touchant l'Afrique.
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Rivalité irrationnelle avec le Maroc
"Plus personne ne comprend rien de ce qui fait s’agiter l’Algérie dans le déploiement sauvage de sa rivalité, devenue irrationnelle, envers un Maroc dont elle semble avoir décidé de faire son ennemi juré, au point qu’elle en oublie la magnitude des défis multiformes, internes et externes, qui l’accablent", constate-t-il.
Une observation qui le mène à soulever une question que tout le monde se pose, celle de savoir si Alger n'est pas "désormais habitée par une incontrôlable envie d’en découdre avec ce voisin à qui tout semble réussir pendant qu’elle s’enlise dans un océan de revers".
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Car, entre les réussites du Maroc et les échecs récurrents de l'Algérie, "les faits sont parlants", dit-il. Le premier "réussit des exploits nés de son agilité, d’un leadership stratégique, qui a fini de le replacer non seulement au cœur, voire à l’avant-garde d’un jeu politico-économique africain, dont il contribue à façonner les contours, mais de montrer la voie par sa propre transformation structurelle, au moyen d’infrastructures physiques et sociales de premier plan, sans compter un cadre politique interne apaisé sous l’incontestable autorité d’une monarchie constitutionnelle acceptée par tous ses ressortissants".
Leadership marocain
Au cours de ces dernières décennies, le Maroc n'a cessé de poser des actes qui traduisent ce leadership. Les entreprises marocaines ont investi et créer des dizaines de milliers d'emplois dans la plupart des pays du continent. Les produits agricoles comme industriels sont sur tous les étals du continent. Des dizaines de milliers de migrants d'origine subsaharienne ont été régularisés lors de plusieurs vagues de régularisation, faisant de ce pays nord-africain, un exemple dans sa politique migratoire.
Et quand en 2017, le Maroc s'est décidé à mettre fin à la politique de la chaise vide en reprenant sa place au sein de l'Union africaine, il a pesé "plus qu’il n'avait pu le faire pendant longtemps".
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Et au niveau maghrébin, "Tandis que le roi Mohammed VI multiplie les initiatives, (...) l’Algérie, elle, reste prostrée".
En effet, le Royaume "joue même, dans son proche voisinage, aux grands seigneurs en tendant la main du dialogue et du relâchement des tensions avec la bête noire". Il pousse également "la carte de l’accession de son pays à la Cédéao" et promeut "la nouvelle zone de libre-échange continental (Zlecaf) au sein d’une Union africaine devenue son levier diplomatique".
Alger n'est plus que l'ombre d'elle-même
Pendant ce temps, le second pays qu'est l'Algérie est méconnaissable, eu égard au rôle qui est censé être le sien sur le continent, mais également des enjeux qu'elle doit relever, analyse Adama Gaye.
"Tout dans ses actions traduit la réalité d’un pays qui ne semble être mû que par une culture du «complotisme», stratégie de dérivation éculée qu’affectionnent les pouvoirs impopulaires réduits à se chercher des têtes de turcs à l’extérieur", constate-t-il, non sans une pointe d'amertume.
"Il ne reste plus rien ou presque de ce qui fut naguère une locomotive de la diplomatie africaine: à genoux, ses réflexes se résument à des coups tordus, un revanchisme, et une énergie du désespoir pour tenter de se sortir d’un coma quasi-irréversible…", déplore-t-il.
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Selon lui, "L'Algérie, en clair, est un pays paralysé, au propre et au figuré, depuis son moment historique que fut sa libération nationale après une guerre d’indépendance".
Gaye explique que le triomphe algérien "ne fut pas seulement qu’éphémère, mais assis sur une réalité trompeuse. Depuis lors, sa marche alterne de rares moments d’éclaircies et de longues périodes de poussées de fièvre".
Toujours selon lui, "Il y eut, bien sûr, l’ère où tout semblait lui réussir". C'était dans les années 1970, quand Alger, la Havane et Belgrade ont porté à bout de bras le "mouvement d’un tiers-monde requinqué par le positionnement de sa nouvelle déclinaison en force des Non-Alignés", comme l'analyse Alfred Sauvy.
L'apogée, puis la chute
Ce fut l'époque de "Houari Boumediène, le spartiate militaire à la moustache qui faisait penser à celle de Staline, tombeur des pères de l’indépendance, dont Ben Bella". Boumediène avait alors "jeté dans l’arène diplomatique planétaire un fringant jeune homme, en la personne de Bouteflika", rappelle Adama Gaye.
"C’est l’apogée d’une Algérie écoutée de partout, en particulier dans les cénacles onusiens et prise comme référence par les jeunes, surtout les gauchistes africains, qui s'identifiaient à son héroïsme anticolonial et à sa pugnacité dans l’affermissement du tiers-monde", poursuit-il.
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Et d'ajouter : "C’est aussi l’époque où à travers le continent ses percées diplomatiques faisaient monter à la bourse des valeurs politiques la cause du Front Polisario qui se battait contre la Mauritanie et le Maroc pour récupérer ce qu’il considérait comme sa terre, au nom de ce qu’il appelait son droit à l’autodétermination sous la férule du mouvement éponyme. Rien ne semblait pouvoir résister à l’avancée de l’Algérie et de son protégé qu’elle a enfanté en 1976".
Malgré le succès du Maroc qui avait réussi, avec la Marche verte, à obtenir le retrait de l'Espagne, puissance coloniale, du Rio de Oro, ces terres que Maroc et Mauritanie revendiquaient, l'Algérie n'abdiquera pas.
"La mise sur pied du Front Polisario par Alger, dans un contexte où sa voix pesait, mit Rabat sur la défensive", écrit-il, faisant une allusion claire au retrait du Maroc de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'ancêtre de l'Union africaine, quand le Polisario y fut admis comme membre.
Pour lui, "c’était le moment de gloire de l’Algérie face à un Maroc en perte de vitesse au point que personne ne pouvait plus se souvenir qu’il était, plus que son rival maghrébin, l’un des principaux pays grâce auxquels le projet communautaire, d’une intégration africaine, avait pu voir le jour". C'est en effet grâce au parrainage actif du roi Mohammed V et d'autres leader africains comme "Kwame Nkrumah et Sékou Touré, de ce qui fut le camp de Casablanca, propice, à l’opposé de celui dit de Monrovia, à une unité africaine immédiate" que l'organisation continentale a vu le jour.
Cependant, "devenue plus tard un acteur influent de l’Organisation, l'Algérie indépendante bénéficia d’une complicité plus militante que logique", poursuit-il. Et d'ajouter que "l’admission de la contestée République arabe sahraouie démocratique (RASD) en fut certes le point culminant, mais ne resta cependant qu’une illusion d’optique".
Car, "à la suite de la fortune déclinante de l’Algérie, ses alliés sahraouis ne cessent de perdre du terrain", une tendance jugée irréversible. Dans les faits, le Polisario n'existe que dans les "corridors d'hôtel ou de conférences que ses dirigeants s’évertuent vaille que vaille à peupler".
Progrès économique du Sahara
Aujourd'hui, la réalité sur le terrain, de Laâyoune à Dakhla, est matérialisée par une autonomisation de ce que "le Maroc appelle ses Provinces du Sud". Les progrès économiques, depuis l'avènement de l'actuel roi Mohammed VI, y sont palpables et constituent un argument irréfutable pour le Royaume qui défend le projet de large autonomie du Sahara.
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La conclusion d'Adama Gaye, est sans appel: "Les jeux sont faits. Le Maroc a pris le dessus". Et c'est entièrement la faute de l'Algérie, pense-t-il, qui "paie pour ses propres turpitudes, qu’elle s’entête, malgré sa litanie de déconvenues, à perpétuer".
Aucune surprise, si l'on sait que le pays qui s'est libéré par une guerre, reproduit sans cesse les même schémas. Il "n’a cessé de guerroyer, porté par une logique conflictuelle sans fin": dictature militaire ayant débuté avec l'indépendance et qui se poursuit jusqu'à ce jour, islamisme militant violent ayant mené à une guerre civile aux 200.000 victimes dans les années 1990 et aujourd'hui le Hirak réprimé par la même dictature militaire.
"L’Algérie est tombée très bas", retient-il en définitive, en rappelant que, le pays riche en hydrocarbures est incapable de "fournir le minimum à une population dont le quotidien ne cesse de se dégrader". L'étranger qui passe à l'aéroport d'Alger n'aura aucun mal à se rendre compte du retard pris par le pays qui a perdu de son aura.
Jalousie?
"Ses foucades récentes contre Rabat (...) ne sont, in fine, que les signes d’une fébrilité d’un leadership national incapable de surmonter les fragilités qui l’assaillent", écrit toujours Adama Gaye.
"Est-ce par jalousie qu’elle agit ainsi? Ou parce que restée le dernier modèle d’une gestion socialiste n’ayant plus droit de cité nulle part, dépassée par les défis liés à la montée d’un irrédentisme dans sa partie Kabyle, les incertitudes sur le gaz, les revendications démocratiques, ou encore son recul diplomatique, il lui faut trouver une raison de redorer son blason terni", poursuit-il.
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Mais, n'étant plus soutenue en Afrique, se livrant à des actes de xénophobie consistant à jeter les Subsahariens dans le désert et s'opposant au commerce intra-africain par tous les moyens, l'Algérie "est vouée à poursuivre sa descente aux enfers", alors que de l'autre côté de la frontière, le Maroc voit son "économie rugir, sa diplomatie se faire entendre des hauteurs d’Addis Abeba aux plaines du Moyen Orient, jusqu’à Tel Aviv, tandis que la question du Sahara, elle, perce, à son avantage, jusqu’à Washington".
Le Royaume réussit à propager un islam de tolérance, alors qu'Alger "toujours traînant son héritage lugubre, ses liens, avec le terrorisme, par un nexus transfrontalier, file le mauvais coton: on soupçonne qu'elle abrite des figures recherchées du terrorisme djihadiste".
Y a-t-il des chances de voir Alger revenir à la raison, se demande-t-il. Des chances, malheureusement très minces. Car, "la logique suicidaire a, hélas, pris ses quartiers dans les cercles de pouvoir et d’influence d’un pays où la quête d’un bouc-émissaire est le marqueur dominant. Pas étonnant qu’il ne soit plus aussi attractif qu’il a pu l’être. Autres temps, autres réalités !", conclut-il.