Algérie: une vive polémique accompagne l'exode de 1.200 médecins d'un coup vers la France

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Le 15/02/2022 à 16h19, mis à jour le 15/02/2022 à 16h21

La polémique que suscite le départ de 1.200 médecins algériens pour la France est loin de s’estomper. Si le ministre de la Santé avait tenté de minimiser sa portée, la situation inquiète les professionnels, poussant Benbouzid a appelé à une remise en question des conditions de travail des médecins.

Ce sont pas moins de 1.200 médecins algériens d’un coup qui ont réussi le concours de vérification des connaissances, organisé par les autorités françaises, et qui préparent donc leur départ pour rejoindre l’Hexagone. Ce nombre, avancé le 5 février 2022 par le Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), constitué essentiellement de spécialistes, avait au départ suscité peu de réactions. Pire, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, avait même tenté de minimiser la portée de l’évènement, en justifiant cet exode par un phénomène qui est loin d’être propre à l’Algérie. Il avait alors indiqué que de nombreux jeunes médecins quittent leur pays faute de postes disponibles puisque plusieurs médecins retraités continuent d’exercer au sein des structures sanitaires.

Pourtant, pour le Dr Yacine Terkmane, président du Conseil régional de l’ordre des médecins de Blida, avec 1.200 médecins algériens réunis sur un total de 1.993 lauréats issus de plus d’une vingtaine de pays, «ce chiffre a de quoi donner le tournis, jamais un tel niveau n’avait été atteint auparavant», qualifiant ces départs «d’une véritable dépossession à très grande échelle de notre pays de l’une de ses précieuses ressources humaines». Pire, il prédit que «cette dynamique et cette tendance vont s’accentuer les années à venir, devant l’effet d’aspiration et des facilitations qu’offrent les nouvelles dispositions de la PAE (Procédure d’autorisation d’exercice)». Au passage, le Dr Terkmane reconnaît que «près de la moitié des candidats sont des Algériens et ils seraient déjà 16.000 à exercer en France».

Autre inquiétude, les médecins qui s’expatrient sont de jeunes diplômés des 2 à 3 dernières promotions de médecins généralistes ou spécialistes, à côté d’autres plus anciens et ayant exercé de nombreuses années dans le secteur public. La situation est d’autant plus inquiétante que, selon les spécialistes, l’Algérie souffre déjà d’un déficit de spécialistes au niveau de ses différentes structures sanitaires.

D’où la question: pourquoi les médecins algériens veulent quitter leur pays? Pour l’ancien ministre et diplomate, Abdelaziz Rahabi, trois raisons principales expliquent cet exode: le peu de considération que la société dans son ensemble accorde à ses médecins, les conditions générales d’exercice de la médecine en Algérie et, enfin, le fait que les médecins souffrent, «tout autant que les harraga», de l’absence de perspectives et de la dégradation du cadre de vie qui ne favorisent pas l’épanouissement humain.

Outre ces raisons, les professionnels du secteur avancent également le départ à la retraite qui hante tous les médecins algériens. Les plus âgés souhaitent prolonger leur activité du fait des conditions de retraite déplorables.

Seulement, en prolongeant la durée de leur vie active, ces médecins saturent les structures sanitaires et empêchent les jeunes médecins diplômés d’accéder à des postes dans les hôpitaux algériens. Ce qui explique le nombre élevé de jeunes médecins et de ceux proches de la retraite parmi ceux qui privilégient l’exode.

Enfin, de nombreux professionnels de la santé ont aussi expliqué cet élan de départs par le niveau des salaires au regard de l’investissement consenti ou l’absence d’infrastructures sanitaires adaptées pour effectuer correctement leur métier…

Partant, certains professionnels prédisent qu’au rythme où vont les choses, les structures sanitaires algériennes risquent d’être désertées par les blouses blanches.

Et suite à la sortie du ministre justifiant les départs des jeunes médecins par le fait que des praticiens qui devraient être à la retraite continuent à occuper les postes, le Collectif des professeurs en sciences médicales a jugé la sortie du ministre de la Santé «ahurissante et laisse perplexes les professionnels de santé». Ils expliquent que le maintien de ces praticiens hospitalo-universitaires est lié «à l’attente de la réparation d’une injustice, car la pension de retraité s’élevait à peine à 53% du salaire perçu au lieu de 80% comme l’ensemble des salariés de la Fonction publique». Et ce n’est que très récemment que cette aberration a été corrigée, ajoute le Collectif, expliquant que «le cursus des lauréats de l’examen d’aptitude cité plus haut n’est aucunement en conformité avec le remplacement des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires de rang magistral», expliquent les professionnels.

Face aux réactions des professionnels et autres interpellations suite à ses sorties, le ministre Benbouzid a tenté, le lundi 14 février 2022, de se rattraper lors d’une rencontre avec les cadres centraux de son ministère. Tout en continuant à vouloir minimiser la portée de cet exode. Il a continué à dire qu’il ne s’agissait pas d’une «vague» et que certains médecins résidaient déjà en France, précisant que ceux qui partent sont proches de l’âge de la retraite, contredisant ainsi ses premières réactions. Toutefois, le ministre a fini par regretter le phénomène. «Nous regrettons ce fait. Nous devons nous questionner. Nous devons faire en sorte que nos enfants qui ont étudié ici et pour lesquels l’Algérie a dépensé restent ici», a fini par déclarer Abderrahmane Benbouzid.

Pour lui, ces départs sont dûs «aux incitations dans le pays d’accueil et d’autres raisons personnelles». Et selon les médias algériens qui ont consulté la liste des médecins algériens admis aux épreuves de vérification des connaissances, une grande partie est âgé de 30 à 40 ans, la classe prédominante étant celle des 30 à 35 ans.

Ainsi, pour arrêter cette hémorragie, le ministre de la Santé souhaite une remise en question des conditions de travail des praticiens en Algérie. Et pour cela, il promet la mise en place d’une commission regroupant plusieurs ministères pour chercher les raisons ayant conduit au départ des médecins algériens et ainsi apporter des solutions à ce problème.

En attendant, cette saignée du secteur de la santé algérien inquiète les professionnels. En effet, selon leDr Mohamed Yousfi, représentant des praticiens spécialistes de santé publique (SNPSSP), au cours de ces 20 dernières années, ce sont en tout 20.000 spécialistes algériens qui ont quitté le pays pour l’étranger, notamment pour la France, où exercent actuellement 16.000 médecins algériens.

Par Karim Zeidane
Le 15/02/2022 à 16h19, mis à jour le 15/02/2022 à 16h21