Croissance: pourquoi l'Afrique de l'Est demeure la région la plus dynamique du continent

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Le 22/01/2017 à 14h44, mis à jour le 22/01/2017 à 15h13

Avec un taux de croissance de 7% en moyenne par an, les pays de l’Afrique de l’Est narguent la crise et tirent la croissance du continent. Qu’est-ce qui explique cette dynamique des pays de la région?

Qu’est-ce que les pays de l’Afrique de l’Est ont de plus que ceux du reste du continent pour être, depuis des années, les plus dynamiques du continent africain?

Les données sont éloquentes. Certains pays de la région affichent depuis plus d’une décennie déjà, des taux de croissance proches de 10% par an. Quant au taux moyen de croissance de la région, il est largement supérieur à la moyenne du continent. A titre de comparaison, en 2016, alors que la région affiche une croissance moyenne de l’ordre de 6,7%, l’Afrique subsaharienne n’a enregistré qu’une croissance molle de 1,5%, soit la plus faible depuis vingt ans.

Et pour 2017, selon les projections de la Banque mondiale, la croissance moyenne de la région devrait atteindre 6,8% contre 2,9% pour toute l’Afrique subsaharienne. D’ailleurs, au cours de ces dernières années, seule la Côte d’Ivoire a su rivaliser réellement avec les pays de l'Est africain en termes de croissance. Quant à la véritable locomotive de la région, l’Ethiopie, elle affiche le taux de croissance le plus élevé du continent depuis plus d’une décennie. Une donnée qui a permis au pays de doubler son PIB en l’espace de dix ans.

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Selon les projections de la Banque mondiale, la croissance moyenne des pays de l’Afrique de l’Est devrait s’établir à 6,8% en 2017, 7% en 2018 et 7,03% en 2019, après des croissances de l’ordre de 6,7% en 2016 et 5,6% en 2015 et 6% en 2014. Tout semble indiquer que la région devrait continuer à afficher d’excellentes performances au-delà de 2020.

Comment expliquer une telle vigueur économique au moment où presque partout en Afrique, dans le sillage de la crise économique mondiale, la croissance se tasse?

La première explication avancée par certains analystes est celle d’un effet de rattrapage. Les pays de la région ont un niveau de développement faible qui fait qu’avec un changement structurel, ils arrivent à enchaîner une bonne évolution des indicateurs macroéconomiques.

Seulement, les pays de la région ne sont pas les seuls à être dans cette situation de retard au niveau de leur développement. Plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest et d'Afrique centrale témoignent des mêmes conditions, mais n’arrivent pas à enchaîner sur une période aussi longue des niveaux de croissance élevés. En plus, aucun de ces pays n’a réalisé d’excellentes performances du fait d’une découverte de pétrole ou de gaz, comme c’est le cas de certains pays du continent.

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Ensuite, et c’est un facteur important, ces pays ne sont pas des producteurs de pétrole, même si des découvertes récentes ont été faites en Tanzanie et en Ouganda. Du coup, ils ne sont pas, à l’instar de nombreux pays du continent, victimes du cercle vicieux que représente la rente pétrolière. Ces Etats ont fondé leurs économies sur l’agriculture. C'est une particularité qu'affichent tous les pays de la région, notamment l’Ethiopie, la Tanzanie, le Kenya et le Rwanda. L’agriculture, devant les services (tourisme, télécommunication, NTI, etc.), a été la véritable locomotive de croissance de ces économies.

Ainsi, l’agriculture représente 50% du PIB éthiopien, 60% des exportations et 75% des emplois. Idem pour la Tanzanie où elle représente environ 50% du PIB et 85% des exportations. Pour le Kenya, l’agriculture représente 30% des exportations. Les principales cultures dans cette région étant le thé, le café, la canne à sucre, le coton, le blé, le manioc, les fleurs, etc. Il faut souligner que le seul pays qui réalise des croissances aussi fortes sur le continent, autre que ceux des pays de l’Afrique de l’Est, est la Côte d’Ivoire dont l’économie repose en grande partie sur l’agriculture en tant que premier producteur mondial de cacao et de noix de cajou, en plus d'être aussi un grand producteur de café, banane, ananas, manioc, etc. Bref, l’agriculture reste le moteur fondamental de ces économies qui ne reposent pas sur de la rente pétrolière ou minière. Reste que la productivité agricole de la région a besoin d’être améliorée.

Ensuite, grâce à la hausse des salaires consécutive à l’amélioration des revenus dans le sillage de la croissance de cette dernière décennie, la demande intérieure est aussi devenue l'un des moteurs de cette croissance. Une véritable classe moyenne, encore faible en nombre, est en train de se développer dans ces pays, entretenant la dynamique de croissance.

Par ailleurs, les services (NTI, télécommunications, finance, etc.) ont contribué à la croissance de la région, notamment au Kenya et au Rwanda.

En outre, et c’est là l’un des facteurs importants de la dynamique actuelle de la région, tous les pays est-africains ont mis l’accent sur la politique des grands travaux visant à s’équiper en infrastructures et logistiques, avec à la clé des investissements dans les routes, autoroutes, ports, aéroports, chemins de fer, métros, barrages, centrales électriques, transport, énergie, etc. A ce titre, on peut souligner les mégaprojets de la région dont le grand barrage de la Renaissance en Ethiopie, d’un coût de 4,7 milliards de dollars, qui sera inauguré cette année et qui offrira une capacité de 6.000 MW à même de fournir de l’électricité à bas coût à l’Ethiopie et aux pays de la sous-région.

Il y a aussi les projets de chemins de fer au niveau de la région dont celui inauguré en 2016 et reliant l’Ethiopie et Djibouti sur 750 km, d’un coût de 3,4 milliards de dollars, sans oublier celui devant relier l'axe Tanzanie-Rwanda-Kenya. En outre, Djibouti envisage la création de la plus grande zone franche d’Afrique en partenariat avec la Chine sur une aire de 48 km2. 

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Ces infrastructures ont contribué à rendre la région plus attrayante, et ce d’autant plus que certains pays d’Afrique de l’Est ont fortement amélioré leur climat des affaires, attirant davantage d’investisseurs.

De même, si l’Afrique du Nord bénéficie de son positionnement stratégique, l’Afrique de l’Est bénéficie pour sa part de la forte présence chinoise et indienne. La Chine fait de la région un véritable relais pour son industrie de plus en plus malmenée par la hausse des coûts salariaux.

Enfin, cette dynamique relève aussi du leadership de certains dirigeants de la région, dont l'ancien Premier ministre éthiopien Meles Zenawi et Paul Kagame du Rwanda, qui ont fortement contribué aux transformations structurelles de leur pays.

Grâce à tous ces facteurs, les pays de la région affichent depuis une décennie une remarquable résilience face aux chocs extérieurs, notamment face à la crise économique internationale.

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Pour l’avenir, la région pourrait compter sur l’amélioration sensible de l’offre électrique, avec les projets hydroélectriques en cours de réalisation, pour accompagner le développement de la région, sur une plus grande intégration de ses infrastructures (routes, chemin de fer, etc.) avec les projets régionaux, sur des découvertes de ressources énergétiques, sur l’amélioration des revenus et donc de l’élargissement de la classe moyenne et de l’arrivée de davantage d’investisseurs étrangers pour entretenir cette dynamique de croissance.

Toutefois, les fruits de la croissance restent inégalement répartis dans cette région. Le nombre de pauvres a certes diminué mais demeure important. Une situation source de nombreuses tensions au sein de certains pays comme l’Ethiopie. De même, le faible niveau démocratique de certains régimes peut être source d’instabilité et freiner l’élan de la croissance et l’arrivée de nouveaux investisseurs.

Par Moussa Diop
Le 22/01/2017 à 14h44, mis à jour le 22/01/2017 à 15h13