Afrique. Perspectives: voici les deux évènements économiques qui devront marquer 2020

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Le 30/12/2019 à 08h08, mis à jour le 30/12/2019 à 08h13

L'année 2020 sera marquée par deux événements économiques majeurs en Afrique: les lancements de la Zone de libre-échange continentale africaine et de l’Eco (future monnaie unique de la CEDEAO). Ils pourront contribuer à l’accélération de la transformation du continent. Explications.

Le continent africain place beaucoup d’espoirs sur l’année 2020, particulièrement en matière de renforcement de l’intégration économique. A ce titre, le chantier le plus attendu est celui du lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), pour constituer le plus grand marché de libre-échange du monde de par le nombre de pays qui le composent.

De même, l’annonce de l’abandon du franc CFA, monnaie héritée du colonialisme, et son remplacement par l’Eco, appelé à devenir la monnaie unique des 15 pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) constitue un bouleversement majeur.

Si beaucoup a été fait pour le lancement de la Zlecaf, dont l'entrée en vigueur est prévue pour juillet 2020, après sa ratification par 30 pays du continent, alors qu’il en fallait seulement 22, la situation s’annonce plus complexe pour le lancement de l’Eco, même réduit à «l’Eco Uemoa».

Zlecaf, lacement de la plus grande zone de libre-échange en juillet 2020

L’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), en juillet 2020, sera l’évènement économique le plus attendu en 2020 au niveau africain. Lancée en mars 2008 par 44 pays du continent, la Zlecaf compte actuellement comme membres tous les pays du continent, à l’exception de l’Erythrée qui tarde encore à la rejoindre.

Actuellement, plus de 30 pays ont ratifié cet accord de libre-échange alors qu’il en fallait seulement 22 ratifications pour son lancement effectif. Du coup, il a été décidé que la Zlecaf, un projet intégrateur de l’agenda 2063 de l’Union africaine, ayant pour objectif de mettre fin à la balkanisation de l’Afrique en créant un marché unifié allant d’Alger au Cap, de Praia à Djibouti, sera lancé en juillet 2020.

Ce marché commun vise à éliminer progressivement les barrières tarifaires et non tarifaires entre les pays africains sur une période de 5 ans après son entrée en vigueur.

Les pertes en termes de recettes douanières, suite à la suppression des barrières tarifaires, sont estimées à environ 4 milliards de dollars au niveau du continent. Toutefois, les retombées positives de la Zleca devraient être jusqu’à 4 fois supérieures grâce à la baisse des prix des biens de consommation et à l’intensification des échanges entre pays africains.

La Zlecaf devrait ainsi doper les échanges commerciaux intra-africains en faisant passer la part du commerce intra-africain de moins de 16% actuellement à 51% en 2022. A titre de comparaison, les échanges commerciaux intra-asiatiques et intra-européens se situent actuellement à respectivement 51 et 67%.

En effet, l’entrée en vigueur de la Zlecaf devrait renforcer la croissance à long terme du continent en contribuant à son industrialisation, accroître les investissements étrangers, accélérer la transformation de l’Afrique, stimuler les échanges commerciaux, contribuer à la diversification des économies africaines, libérer la productivité des entreprises grâce aux économies d’échelle, etc.

Reste que ces avantages ne se produiront pas comme une baguette magique. Pour que les pays du continent puissent tirer profit des retombées de la Zleacf, il faut qu’ils puissent dépasser certains obstacles qui font que les regroupements régionaux africains n’ont pas permis de stimuler leurs échanges commerciaux. Parmi ces écueils qui entravent ces échanges figurent, entre autres, les obstacles non tarifaires, la lourdeur des formalités douanières, la complexité des règles d’origine et les pratiques anticoncurrentielles des acteurs.

En plus, pour stimuler les échanges au niveau du continent, il faut également que les Etats mettent en place des politiques commerciales adéquates, notamment en matière de règle d’origine, accompagner la mise en place de la Zlecaf par des politiques de transformation industrielle et d’augmentation des capacités de production, et, enfin, il faut investir massivement dans les infrastructures (routes, ports, chemins de fer, aéroports, etc.) et les chaînes logistiques afin de fluidifier les échanges entre les pays du continent.

La Zlecaf sera la plus grande zone de libre-échange au monde en regroupant 54 pays du continent pour une population de 1,2 milliard de consommateurs et un PIB de plus de 3.400 milliards de dollars. Sa réalisation va contribuer fortement à l’intégration du continent africain, chère aux pères fondateurs de l’Union africaine.

Lancement de l’«Eco», entre incertitudes et questions

Outre la Zleca, 2020 devrait voir le lancement de l’Eco, appelé à devenir la monnaie unique de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO). Toutefois, la réforme du franc CFA, annonceé le 21 décembre 2019 à Abidjan par le président Alassane Ouattara, président de la Conférence des chefs d’Etat de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), au nom de ses pairs, change un peu la donne.

Il y aura probablement le lancement de la monnaie «Eco» en juillet 2020. Toutefois, ce ne sera pas l’Eco de la CEDEAO, mais l’Eco de l’UEMOA, ou «Eco Uemoa», regroupant les 8 pays d'Afrique de l'ouest ayant le Franc CFA comme monnaie commune: Côte d'Ivoire, Sénégal, Togo, Mali, Niger, Bénin, Burkina Faso et Guinée Bissau.

En clair, logiquement, le franc CFA, en tant que monnaie, devrait disparaître l’année prochaine et laisser la place à l’«Eco Uemoa».

N’empêche, la réforme du franc CFA est en elle-même une avancée significative en matière d’indépendance vis-à-vis de la puissance coloniale. D’abord, celle-ci marque la fin de la centralisation des réserves de change au Trésor français (les pays de la zone franc CFA étant obligés de déposer 50% de leurs réserves de change au Trésor français), la fermeture du compte d’opérations et le transfert à la BCEAO –Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest- des ressources disponibles dans ce compte. Ensuite, tous les représentants français présents dans les organes de décision et de gestion de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) –Conseil d’administration de la BCEAO, Commission bancaire et Comité de politique monétaire- quittent leurs fonctions.

Reste que cet Eco Uemoa gardera certaines caractéristiques du franc CFA. D’abord, il y a le maintien de l’arrimage de l’Eco Uemoa à l’euro, comme c’est le cas avec le franc CFA, avec un taux de change fixe (1 euro étant égal à 655,96 FCFA). Ensuite, l’Eco Uemoa bénéficiera toujours de la garantie de convertibilité illimitée de la monnaie par la France.

Partant, la réforme annoncée n’est qu’«une étape préalable» dans la feuille de route de la création de la monnaie unique de la CEDEAO.

Ainsi, pour le lancement de la monnaie unique de la CEDEAO –Eco CEDEAO- annoncée en 2020, il faudra encore attendre. En effet, pour y arriver, il faut d’abord que les pays de la CEDEAO respectent les critères de convergences mis en place durant 3 ans pour intégrer la monnaie unique. Ces critères sont un déficit budgétaire de 3% au maximum, un taux d’inflation annuel moyen inférieur à 10%, le financement des déficits budgétaires par la Banque centrale ne dépassant pas 10% des recettes fiscales de l’année et des réserves extérieures brutes assurant au moins 3 mois d’importations.

Or, en 2019, seul le Togo à respecter tous les critères. C’est dire que pour le lancement de la monnaie unique de la CEDEAO, il faudra encore attendre des années, si chaque pays devrait respecter ces critères de convergences durant 3 ans de suite. C’est pourquoi la ministre des Finances du Nigeria, Zainab Shamsuna Ahmed, a estimé que la mise en œuvre de l’Eco en 2020 n’était «pas certaine», jugeant qu’il restait «encore du travail à faire pour répondre aux critères de convergence».

Et l’annonce du lancement de l’«Eco Uemoa» a même créé un malaise au sein de la CEDEAO. Ce qui pourrait susciter davantage de méfiance entre ceux qui souhaitent prendre le temps nécessaire pour lancer la monnaie unique, dont la Nigeria qui pèse environ 75% du PIB de la région, et les pays de la zones CFA qui veulent surtout satisfaire rapidement un mouvement contestataire opposé au franc CFA, mais aussi et surtout à la Françafrique.

Ainsi, avec cette réforme du franc CFA, le lancement de la monnaie unique de la CEDEAO, annoncé pour 2020, est renvoyé aux calendes grecques, surtout quand on voit les réactions du géant nigérian, mais aussi d’autres celles des pays membres de la zone franc CFA, comme le Togo.

Ainsi, plusieurs zones d’ombres persistent et beaucoup se demandent si le lancement des coupures et pièces «Eco Uemoa» en 2020 est du domaine du possible où simplement un leurre pour calmer les opposants du franc CFA.

Par Moussa Diop
Le 30/12/2019 à 08h08, mis à jour le 30/12/2019 à 08h13