Algérie: le scandale de l'acquisition de la raffinerie sicilienne fait sa première victime

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Le 03/07/2020 à 12h20, mis à jour le 03/07/2020 à 12h22

L'un des dirigeants de la Sonatrach qui avaient mené l'opération d'acquisition de la raffinerie d'Augusta, contre l'avis d'éminents experts, est sous les verrous. Retour sur un scandale qui n'en finit pas d'éclabousser les dirigeants algériens.

Tôt ou tard, les cadavres de la raffinerie d'Augusta en Sicile allaient surgir du placard. Selon la presse algérienne notamment le site d'information Algérie54, Ahmed Amazighi qui fut conseiller de l'ex-très puissant PDG de la Sonatrach, Abdelmoumen Oud Kaddour, a été placé hier jeudi 2 juillet en détention provisoire par le juge d’instruction près le tribunal de Bir Mourad Rais à Alger. 

Son incarcération est liée à l'acquisition de la raffinerie d'Augusta en Sicile. Selon la même source, Amazighi "est accusé de dilapidation de deniers publics, d'octroi d’indus-avantages, et d'abus d’autorité".

Amazighi a joué un rôle clé dans l'achat de ce qui est considéré comme une vieillerie par beaucoup d'experts qui avaient d'ailleurs tiré le signal d'alarme au moment de la négociation entre la Sonatrach et l'américain Exxon Mobil.

Car, si Ould Kaddour et son entourage voulaient présenter cette raffinerie construite à la fin des années 1940 comme une affaire en or, d'éminents spécialistes le dénonçaient très vigoureusement, estimant qu'elle allait être ni plus ni moins, un gouffre financier. 

Ce fut l'avis très tranché de deux éminents connaisseurs de l'industrie pétrolière, dont un ex-directeur de Schlumberger Nord Africa, mais aussi l'actuel ministre de l'Industrie Ferhat Aït Ali. C'était en mai 2018, date à laquelle, un rétropédalage était encore possible, mais l'équipe de dirigeants de la Sonatrach a foncé tête baissée. 

"Pour lancer un poulailler en Algérie, il faut un actif et un passif prévisionnels. Alors pour une raffinerie outremer, c’est un peu plus complexe et détaillé que les données qui ont été rendues publiques par Sonatrach", prévenait Aït Ali. Il ne s'était pas privé de mettre en pièces l'argument selon lequel, l'acquisition de cette raffinerie située outre-Méditerranée avait pour but de réduire les importations de produits raffinés.

Car, justement, l'équipe Ould Kaddour criait sur tous les toits qu'en achetant l'unité industrielle italienne, l'Algérie allait pouvoir réimporter sous forme d'essence et de gasoil le pétrole exporté, ce qui allait permettre d'assurer l'autosuffisance du pays. Car, effectivement, la Sonatrach importe jusqu'à 2,2 milliards de dollars de produits raffinés. 

Sauf qu'au-delà de la vétusté des installations, la valeur ajoutée issue d'une telle raffinerie sera entièrement italienne. Elle devra donc servir à payer des salaires italiens et des impôts et taxes italiens. De plus, la marge que pourrait se faire la Sonatrach, disait-il toujours, n'allait pas dépasser un malheureux dollar par baril. 

Par ailleurs, cette unité de raffinage, vu son âge, présente un risque écologique qui pourrait faire regretter à l'Algérie d'y avoir investi le moindre dinar. Les dirigeants de la Sonatrach avaient d'ailleurs choisi de passer sous silence ce volet de l'acquisition, alors qu'Augusta se trouve dans ce que les Italiens appellent, à juste titre, le croissant de la mort du fait du niveau élevé de cancer lié à l'activité pétrochimique. 

De sorte que le prix des 800 millions de dollars présenté comme une aubaine cachait en réalité à la fois des coûts d'entretien et de réparation et un passif écologique qui allaient tôt ou tard réveiller les Algériens de leur somnolence. En fait, il y avait beaucoup d'indices qui montraient qu'Exxon Mobil voulait simplement se débarrasser d'une bombe déjà dégoupillée et qui pouvait exploser à tout moment.

Car, rien d'autre ne pouvait justifier qu'elle brade alors la raffinerie d'Augusta à ce prix ridicule pour aller investir 12 milliards de dollars dans une unité à la capacité comparable en Arabie Saoudite. 

D'ailleurs pendant plusieurs années, de nombreux acquéreurs potentiels avaient été annoncés, sans qu'aucun n'aille jusqu'au rachat. Seule la Sonatrach finira par mordre à l'hameçon. 

Pour sa part, Hocine-Nasser Bouabsa, ex-PDG de Schlumberger Afrique du Nord, le spécialiste des plateformes et des raffineries de pétrole, estimait que cette décision était une grave erreur pour une infinité de raisons. Il y a d'abord, la surcapacité de production en Europe, alors que la demande stagne. D'autant que les autorités italiennes ne voient plus d'un bon oeil la forte concentration des industries pétrochimiques aux dégâts énormes. Elles ne cessent d'exercer des pressions de toutes sortes sur les raffineries, y compris fiscales et écologiques. 

"En prenant en considération tous ces paramètres, il est très probable qu’Exxon Mobil soit prête à offrir gratuitement le site à tout preneur sérieux qui prendrait aussi le passif lourd et incertain des conséquences de la pollution de l’environnement. Déclarer dans ce contexte que Sonatrach a réalisé l’affaire du siècle est plus qu’une aberration. C’est un mensonge", disait-il au printemps 2018.

Toutes ces craintes sont aujourd'hui avérées. D'une part, sur le plan financier, cet investissement est un gouffre tellement profond qu'il est en train d'engloutir des centaines de millions de dollars. En effet, début 2020, selon Le Monde du droit, journal spécialisé dans l'information juridique, la Sonatrach avait déjà contracté une dette de 250 millions de dollars auprès de The Arab petroleum investments corporation (APICORP), afin de redresser l'antiquité que constitue son premier investissement en Europe.

De même, en avril dernier, le scandale du carburant frelaté, qui a éclaté au Liban montre que la situation est en train de s'empirer. En effet, les autorités de Beyrouth se sont rendues compte que les Algériens leur fourguaient du carburant de très mauvaise qualité et qu'en plus, elles soudoyaient les équipes de la compagnie nationale d'électricité pour obtenir des tests trafiqués sur la qualité. La procureure générale du Liban a d'ailleurs fait arrêter les dirigeants locaux de la Sonatrach impliqués dans cette affaire. 

Pour le moment, c'est Ahmed Amazighi qui est la première personne à être tombée à cause de cette acquisition. Abdelmoumen Ould Kaddour, le principal concerné, qui défendait mordicus la pertinence de cet achat dans le vide-grenier d'Exxon, est encore libre. Pour combien de temps? 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 03/07/2020 à 12h20, mis à jour le 03/07/2020 à 12h22