Biens mal acquis : Quand Transparency ouvre la boîte de Pandore

Teodorin Obiang Ngema Mangue, fils. Plusieurs de ses biens sont saisis en France et en Suisse, y compris des biens au nom de sociétés.

Teodorin Obiang Ngema Mangue, fils. Plusieurs de ses biens sont saisis en France et en Suisse, y compris des biens au nom de sociétés. . DR

Le 08/07/2017 à 08h13, mis à jour le 08/07/2017 à 08h33

Teodorin Obiang Nguema est accusé de s'être enrichi illicitement dans son pays et est poursuivi en France dans le cadre d'un procès qui fait office de précédent. Au-delà de l'argument de ses avocats qui parlent de procès sans preuves, beaucoup d'autres pourraient être rattrapés comme lui.

Teodoro Obiang Ngema Mbasogo Mangue, alias Teodorin, n'est pas un enfant de choeur. Il a acheté la collection d'objets d'arts d'Yves Saint-Laurent pour 18 millions d'euros en 2009, objets que lui saisira plus tard la justice française. Il est également propriétaire d'un extravagant parc de véhicules automobiles de luxe, comprenant des Lamborghini, Rolls Royce, Ferrari, Maserati, Bugatti, etc.

Onze de ces véhicules lui ont été confisqués en France en 2012 et onze autres lui ont été pris en Suisse où il est poursuivi pour "blanchiment d'argent" présumé en 2016. A cela s'ajoute un hôtel particulier dans le 16e arrondissement de Paris. Pendant ce temps, la Guinée équatoriale continue de figurer parmi les pays les moins dotés en infrastructures et en services publics de base. Malgré son revenu de plus de 38.700 dollars par habitant, soit le 45e mondial, son indice de développement humain n'est que le 138e. C'est parce que les revenus sont très inégalement répartis et ne sont surtout pas orientés vers l'amélioration du niveau de vie des Equato-guinéens.

Sauf que, tout ceci ne prouve que deux choses. D'une part, le fils Obiang Nguema, vice-président de la République de Guinée équatoriale, bénéficie de privilèges qui l'ont rendu aussi riche. D'autre part, le pays est très mal géré, au point que ses richesses ne servent pas réellement le peuple.

Cependant, en droit, cela n'a jamais suffi pour condamner quelqu'un au motif de biens mal-acquis. Et c'est là que la justice française risque d'avoir des blocages, à moins de vouloir créer un précédent qui rompt avec l'idée qu'on se fait d'une justice dans un Etat de droit.

L'argument que soutient Obiang Nguema, pour sa défense, est qu'il est actionnaire de plusieurs sociétés qui ont des affaires avec l'Etat et des groupes privés. A aucun moment, disent ses avocats, il n'a enfreint les lois de son pays, malgré l'extravagance de son train de vie et en dépit de l'importance des richesses accumulées par l'homme de 47 ans. En somme, ses avocats ont tenté de montrer qu'il s'agissait d'un procès "de la bien-pensance et de la morale". Mais au regard des faits et du droit équato-guinéen, il est impossible de démontrer la culpabilité de Teodorin pour "bien mal acquis", affirment toujours ses conseils. D'ailleurs, disent-ils, les avocats de la partie civile ne s'y connaissent pas en droit équato-guinéen pour dire que vol, corruption ou détournements ont été commis par le citoyen de ce pays africain. En somme, ce sont des Français qui se sont réunis pour décréter la culpabilité d'un fils de président qui s'est enrichi.

Pourtant, "François Mitterrand avait son fils comme conseiller, comme Jacques Chirac a eu sa fille. Gardons-nous de juger la Guinée équatoriale", a dit Me Sergio Tomo, l'un des conseillers qui est aux côtés de Me Emmanuel Marsigny. Il ajoutera que le "dossier est vide" et que dans ce procès, l'accusation manque cruellement de preuves.

Evidemment, les avocats de la partie civile ne l'entendent pas de cette oreille. Pour Me William Bourdon, avocat de Transparency international France, une nouvelle ère s'ouvre avec ce procès. "Après s'être attaquée aux crimes de sang, la justice internationale doit s'attaquer aux crimes d'argent".

Le jugement est prévu le 27 octobre prochain. Quel qu'en soit le verdict, ce procès est celui qui poussera beaucoup de dirigeants africains à s'interroger par rapport à leur propension à accumuler des biens matériels. Car, il est vrai que beaucoup profitent de leur position pour en accumuler plus que de raisons.

Néanmoins, c'est un procès qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Quelle légitimité un Etat peut-il avoir pour décréter que l'argent gagné dans un territoire autre que le sien par des citoyens qui n'en sont pas ressortissants sont mal-acquis. La liste des hommes et femmes qui risquent un procès semblable est bien longue. Il y a par exemple Isabel Dos Santos, fille du président Jose Eduardo Dos Santos, femme la plus riche d’Afrique qui contrôle les plus grandes banques au Portugal. Le jour où des politiciens portugais veulent s’en prendre à elle et sa fortune, il leur suffira d’adopter une loi similaire à celle de la France sur les biens mal-acquis. La similitude est frappante entre elle et Teodoro, l’extravagance en moins.

Même les chefs d’Etat de pays un peu plus transparents, et un peu plus démocratiques n’y échapperont pas. Par exemple, peu de personnes le savent, mais Léopold Sédar Senghor, le premier président de la République du Sénégal, est également l’auteur de l’hymne national du Sénégal. Et il a réussi à exiger que lui soient versés des droits d’auteur. Selon la responsable du Bureau sénégalais des droits d’auteur, en moyenne, plus d’un milliard de Fcfa, soit 1,4 million d’euros, sont encore versés annuellement à ses héritiers, sa femme et son fils, qui n’ont plus jamais remis les pieds au Sénégal depuis bien longtemps.

Il est clair qu’avec ce procès c’est une boîte de Pandore qui est ouverte. Elle sera bien difficile à refermer.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 08/07/2017 à 08h13, mis à jour le 08/07/2017 à 08h33