Libye: Pourquoi Haftar a refusé de signer l'accord de paix à Moscou

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Le 17/01/2020 à 15h40, mis à jour le 17/01/2020 à 15h46

A Moscou, le maréchal Khalifa Haftar a refusé de signer l'accord de cessez-le-feu, parce que, au moins, deux des conditions qu'il a posées n'ont pas été prises en compte. Depuis cet échec, et à deux jours du sommet de Berlin sur la Libye, la situation est devenue plus complexe.

Alors qu'un deuxième sommet sur la Libye devrait se tenir ce dimanche 19 janvier 2020, le voile commence à tomber sur les raisons qui ont conduit à l'échec de la rencontre tenue en début de semaine à Moscou. Contre toute attente, Khalifa Haftar était en effet parti sans avoir signé l'accord officialisant le cessez-le-feu, après la trêve convenue le dimanche 12 janvier à l'initiative de Vladimir Poutine et de Recep Tayyip Erdogan.

La principale raison de cette volte-face de l'homme fort de l'est libyen est, selon la feuille d'information Maghreb Confidentiel, la présence "à la table des négociations de Khaled al-Mishri, président du Haut Conseil d'Etat et poids lourd des Frères musulmans libyens". Or, justement, les Frères musulmans sont les ennemis jurés du président égyptien Abdelfattah Al Sissi, qui, quant à lui, est l'un des principaux soutiens du maréchal Haftar.

Toujours selon la même source, "al-Mishri a obtenu plusieurs concessions, dont la sauvegarde du Conseil d'Etat, alors que le texte initial prévoyait sa suppression pure et simple".

Il faut croire que Fayez El-Serraj ne veut ou ne peut rien faire sans l'accord de al-Mishri, avec qui il était d'ailleurs allé à Moscou.

"Le tandem al-Mishri-Sarraj a aussi poussé pour un retour de l'Armée nationale libyenne (ANL, de Khalifa Hatar, ndlr) à ses positions d'avant le 4 avril, date de son offensive sur Tripoli", écrit Maghreb Confidentiel. Or, dans l'état actuel où ce sont les troupes de Haftar qui enchaînent les victoires sur le terrain, "cette condition a été catégoriquement rejetée".

L'autre raison importante du refus de Haftar est l'absence d'"un calendrier et des modalités précises pour le démantèlement des milices tripolitaines, point qui avait été éludé lors des accords de Skhirat en 2015, et de Palerme l'an dernier". Or, le chef de l'ALN a été intraitable sur ce point. Sauf que pour Fayez El-Serraj démanteler ces milices le mettrait à la merci des troupes de Haftar et signerait l'arrêt de mort du Gouvernement d'entente nationale (GNA) qu'il dirige.

Par ailleurs, la liste des personnalités présentes lundi 13 janvier à Moscou montre toute la complexité de la situation libyenne. En effet, le camp Serraj-Mishri s'était renforcé de la présence de Mevlüt Çavuşoğlu, le ministre turc des Affaires étrangères. Il était venu notamment négocier avec Moscou le sort d'Idelb, "la dernière enclave syrienne tenue par les rebelles" que soutient Erdogan.

De même, "Ali Mamlouk, conseiller sécuritaire du président syrien Bachar al-Assad, se trouvait lui aussi à Moscou le 13 janvier". De sorte que dans la capitale russe, se jouait tout autant l'avenir de la Syrie que celui de la Libye.

Ce n'est que partie remise, car les protagonistes du conflit libyen sont à deux jours de l'ouverture de la conférence de Berlin organisée, cette fois, par Angela Merkel, la chancelière allemande. En plus de la Turquie et de la Russie, protagonistes elles-mêmes du conflit libyen, d'autres pays comme la France, les Etats-Unis, l'Italie et la Chine y seront représentés. Emmanuel Macron, le président français, a même prévu d'y être.

La Grèce, qui conteste l'accord entre la Turquie et le GNA libyen sur la frontière maritime, a regretté de n'avoir pas été invitée à Berlin.

Parallèlement, la Turquie, qui veut mettre tout le monde devant le fait accompli, a annoncé qu'elle commence l'exploitation du gaz dans la zone définie comme appartenant à la Turquie par l'accord signé en novembre dernier avec Fayez El-Serraj. Ce qui est inacceptable pour Khalifa Haftar, mais également pour beaucoup d'autres comme la France, l'Egypte, la Grèce et Chypre, lesquels avaient considéré dans une déclaration récente que "l'accord pour la frontière maritime convenue entre la Turquie le GNA libyen était nul et non avenu".

En tout cas, depuis l'échec de Moscou, les choses se sont détériorées, la Turquie devenant de plus en plus impliquée avec l'envoi de ses troupes régulières et l'annonce des forages dans la zone contestée. Khalifa Haftar a annoncé depuis le 14 janvier la reprise de l'offensive sur Tripoli pour ne pas perdre les zones déjà sous contrôle de l'Armée nationale libyenne. C'est donc une situation plus inextricable que tentera de démêler la conférence de Moscou. Il faudra beaucoup de pression sur les principales parties pour y parvenir.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 17/01/2020 à 15h40, mis à jour le 17/01/2020 à 15h46