Tournées africaines de Macron et de Lavrov ou l'escalade du différend France-Russie en Afrique

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Le 29/07/2022 à 10h38, mis à jour le 29/07/2022 à 10h41

Le président français Emmanuel Macron et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, viennent de boucler leurs périples africains. Des tournées aux allures de duel à distance où tous les coups sont permis dans la guerre d'influence que se livrent les deux puissances en Afrique.

Emmanuel Macron et Sergueï Lavrov ont bouclé leurs périples africains. En tout, ils ont visité 7 pays du continent. Des tournées durant lesquelles les deux responsables n’ont pas manqué de se titiller à distance, sollicitant les soutiens de leurs hôtes et n’hésitant pas à les égratigner en cas de désaccord. Le chef de l'Etat français et le chef de la diplomatie russe se sont livrés à une guerre d’influence sur le continent, accentuant la rivalité entre leurs pays sur le sol africain, déjà très marquée par l’implantation des paramilitaires russes de Wagner en Centrafrique et au Mali, au détriment des forces françaises.

Avec la percée russe en Afrique, particulièrement dans des pays qui figuraient dans le pré carré français -Centrafrique et Mali- et où les paramilitaires russes de Wagner ont remplacé les forces françaises, Macron était sur la défensive, d'autant que le sentiment anti-français grandissant dans les anciennes colonies françaises est palpable. Le président français n’a donc pas été tendre envers la Russie auprès de ses interlocuteurs africains qui ont, jusqu’à présent et en dépit des pressions américaines, préféré jouer la carte de la neutralité dans le conflit Russie-Ukraine.

Durant son périple qui l'a amené du 25 au 28 juillet dans trois pays -Cameroun, Bénin et Guinée-Bissau-, Macron n’a cessé de multiplier les critiques envers la Russie. Au Bénin, le président français n’a pas hésité à qualifier la Russie de «l’une des dernières puissances impériales coloniales» et à l’accuser de mener une nouvelle forme de «guerre hybride» dans le monde, faisant allusion aux crises alimentaire et énergétique liées à la guerre que mène la Russie en Ukraine. «Ce ne sont pas les sanctions qui ont créé la situation, mais bien la guerre décidée par la Russie. C’est quand même la responsabilité de la Russie, la situation dans laquelle nous sommes», a souligné le président français, lors d’une rencontre consacrée à la sécurité alimentaire à la résidence de l’ambassade de France au Cameroun.

De son côté, Sergueï Lavrov a débuté sa tournée africaine par l'Egypte, premier importateur mondial de blé avec 13 millions de tonnes importés annuellement. Ceci, après qu'un accord majeur a été signé entre la Russie et l’Ukraine, sous l’égide des Nations unies et de la Turquie, relatif aux levées des sanctions contre les exportations de céréales et d’engrais russes et à la levée des obstacles aux exportations de 20 à 25 millions de tonnes de céréales bloquées en Ukraine. Le chef de la diplomatie russe a notamment répondu à la critique du président français en soulignant, lors de l'étape ougandaise, que la Russie n’était pas responsable des «crises de l’énergie et des denrées alimentaires», expliquant qu’«il y a une campagne très bruyante autour de cela, mais nos amis africains en comprennent la cause profonde». Et à Addis-Abeba, capitale de l'Ethiopie, il a souligné que «oui, la situation en Ukraine a un effet additionnel négatif sur les marchés alimentaires, mais pas à cause de l’opération spéciale russe en Ukraine, plutôt à cause de la réaction absolument inadéquate de l’Occident, qui a annoncé des sanctions et a déstabilisé la disponibilité de la nourriture sur les marchés».

Et durant son périple qui l’a mené du 23 au 27 juillet dans quatre pays -Egypte, Congo, Ouganda et Ethiopie-, Lavrov a rassuré ces hôtes, lourdement dépendants des céréales russes et ukrainiennes, et a sollicité leur soutien dans le conflit avec l’Ukraine en déconstruisant les thèses du président français et des Occidentaux. Et la réponse de son homologue congolais, Jean-Claude Gakosso, saluant la levée du blocus sur l’approvisionnement des céréales et des engrais, et ajoutant que «nous n’avons pas voulu hurler avec les loups ou jeter de l’huile sur le feu. Avec amitié et respect, nous demandons à nos amis (de part et d’autre) d’avoir une solution négociée dans cette crise», confirme que le message de Lavrov est bien passé lors de l’étape congolaise.

Et dans ce lot de critiques envers Moscou qui ne s’expliquent pas uniquement par la guerre en Ukraine, le différend entre la France et la Russie ayant atteint son paroxysme à cause des crises en Centrafrique et au Mali où les paramilitaires russes de Wagner ont supplanté les forces françaises, Emmanuel Macron n’a pas épargné les pays africains qui ont refusé de s’aligner derrière les thèses occidentales et de condamner en conséquence la Russie.

«Le choix qui a été fait par les Européens, premièrement, n’est en aucun cas de participer à cette guerre, mais de la reconnaître et de la nommer, là où je vois trop souvent de l’hypocrisie, en particulier sur le continent africain (…) à ne pas savoir qualifier une guerre» lancée par la Russie, «parce qu’il y a des pressions diplomatiques, je ne suis pas dupe», a souligné Macron en conférence de presse commune avec le président camerounais Paul Biya, lors de l’étape camerounaise de son périple africain. Le Cameroun, à l’instar de nombreux pays du continent, avait refusé de condamner la Russie après l’invasion de l’Ukraine. Toutefois, le fait de qualifier la position de ces pays d'«hypocrite» montre une fois de plus le côté paternaliste de Paris qui n’est pas satisfait du non-suivisme des pays africains, parmi lesquels de nombreuses anciennes colonies françaises qui figurent encore dans ce qu’on appelle le pré carré français en Afrique.

Enfin, en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, en dépit du revers au Mali, la France persiste et signe. Elle veut poursuivre sa politique de lutte contre le terrorisme en Afrique. Et à ce titre, lors de la dernière étape de sa tournée, le président français a souligné que «la France continuera de bâtir son action dans la région au service d’Etats souverains légitimes et de [la CEDEAO]», lors d’un point de presse avec le président bissau-guinéen, Umaro Sissoko Embalo, qui est également président de l’organisation régionale.

Et parallèlement, durant chaque étape de son périple, Lavrov n’a pas hésité à répondre au président français en soulignant à l’adresse de celui-ci que la Russie allait «significativement accroître» son rôle sur le continent. Une manière claire de signifier à Paris qu’après la Centrafrique et le Mali, la France devait s’attendre à affronter les Russes dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. 

Par Moussa Diop
Le 29/07/2022 à 10h38, mis à jour le 29/07/2022 à 10h41