Nigeria: les forces de l'ordre tirent à balles réelles sur des manifestants chiites à Abuja

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Le 30/10/2018 à 16h27

Les forces de l'ordre nigérianes ont tiré à balles réelles sur les manifestants d'un groupe radical chiite mardi à Abuja, alors qu'au moins six personnes ont été tuées dans une répression brutale en trois jours.

Selon le porte-parole du Mouvement islamique du Nigeria (IMN), Ibrahim Musa, la manifestation avait démarré "pacifiquement" dans la capitale fédérale.

"Alors que nous marchions vers le centre-ville des policiers armés et d'autres forces de sécurité ont tiré à balles réelles et des gaz lacrymogènes sur nous", a-t-il ajouté. "Un grand nombre de personnes ont été blessées, pour l'instant nous ne savons pas s'il y a des morts".

Un correspondant de l'AFP a vu les manifestants apparemment non armés avancer en chantant vers un barrage policier et jeter des pierres. La police a alors tiré avec des armes à feu et des gaz lacrymogènes pour stopper leur avancée. Six blessés ont été évacués d'urgence dans des véhicules par d'autres militants.

Depuis samedi, au moins six personnes ont déjà été tuées dans des circonstances similaires, lors de manifestations organisées par l'IMN en soutien à leur leader Ibrahim Zakzaky, emprisonné depuis près de trois ans.

L'armée a déclaré avoir tué trois manifestants samedi et trois autres lundi, pour se défendre contre une attaque menée par les membres de l'IMN, qui avaient selon elle usé d'armes à feu et de cocktails molotov.

L'IMN a vivement démenti cette version officielle, assurant que les soldats avaient tiré sur des manifestants pacifiques et tué 21 personnes durant la seule journée de lundi.

"Il vient d'être confirmé que nous avons récupéré 21 corps de ceux tués hier", a déclaré Musa. Les violences de lundi se sont elles aussi déroulées à un barrage policier, pour empêcher la marche d'aller plus loin en ville.

Des photos prises ce jour-là par l'AFP montrent plusieurs corps de civils allongés par terre derrière le check-point mais il est difficile de dire s'ils étaient morts ou blessés.

L'ONG Amnesty International a souligné que les informations selon lesquelles des soldats avaient tiré à balles réelles sur des manifestants non armés étaient "très inquiétantes".

Les partisans de Zakzaky ont organisé ces derniers mois de nombreuses manifestations dans Abuja pour réclamer sa libération qui ont débouché sur des heurts avec la police.

Il est emprisonné depuis les violentes manifestations qui avaient secoué Zaria, dans le nord du Nigeria, en décembre 2015.

Des groupes de défense des droits de l'homme avaient alors accusé les militaires d'avoir tué plus de 300 chiites durant ces manifestations et de les avoir ensuite enterrés dans des fosses communes, ce que l'armée a démenti.

Risques de radicalisation

Ibrahim Zakzaky conteste l'autorité d'Abuja depuis des années et souhaite établir un Etat islamique chiite à l'iranienne dans un pays où les musulmans sunnites sont très largement majoritaires.

Depuis son arrestation, le sexagénaire, qui a perdu un oeil dans les violences de 2015, n'a été vu en public que deux fois.

Fin 2016, un tribunal fédéral avait jugé la détention du leader chiite illégale et ordonné sa libération. Mais cette décision n'a jamais été exécutée par les autorités nigérianes.

En avril, au moins 115 personnes avaient été arrêtées durant des marches de protestation à Abuja. Les processions de l'IMN lors de la fête religieuse annuelle de l'Achoura ont également souvent été sources de tensions avec les autorités, comme en novembre 2016, lorsque 10 personnes avaient été tuées près de Kano (nord).

La répression musclée des membres de l'IMN fait craindre à certains observateurs une escalade de la violence, voire un scénario à la Boko Haram. Le groupe jihadiste, qui mène depuis neuf ans une sanglante insurrection dans le Nord-Est, contestait surtout au départ la mauvaise gouvernance et la corruption des autorités.

Mais Boko Haram s'est radicalisé après que 800 personnes, dont son fondateur Mohammed Yusuf, eurent été tués en juillet 2009 dans la capitale du Nord-Est, Maiduguri.

L'insurrection a depuis lors fait plus de 27.000 morts et 2,6 millions de déplacés.

"Il semble que nous n'apprenons pas de nos erreurs passées", a déclaré Amaechi Nwokolo, analyste en sécurité à l'Institut romain d'études internationales d'Abuja.

Les forces de sécurité n'ont "pas le droit d'utiliser cette force maximale" sur des manifestants non armés, a-t-il rappelé, avertissant que cela pourrait "inciter d'autres personnes à se radicaliser".

"Si nous remontons aux débuts de Boko Haram, ce sont les assassinats de personnes innocentes qui ont galvanisé le recrutement. C'est ainsi que le terrorisme fonctionne", a-t-il ajouté.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 30/10/2018 à 16h27