Centrafrique: l'épineux retour des réfugiés à Bambari

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Le 09/04/2019 à 08h37, mis à jour le 09/04/2019 à 08h39

A Bambari, au coeur de la Centrafrique, comme dans le reste du pays, un programme de retour volontaire lancé par les autorités et financé par l'ONU se heurte aux réticences des quelque 600.000 déplacés de quitter les sites où ils ont trouvé refuge.

Sur une colline en bordure de la ville, quelques bâtiments administratifs dominent un terrain vague quasi-désert: seules quelques pierres entassées et des déchets plastiques rappellent que plus de 8.000 déplacés habitaient encore en janvier un camp fermé depuis.

"On nous a chassés comme des lapins!", s'exclame Brice dans sa petite échoppe de bric et de broc, qu'il a dû reconstruire dans un lieu insalubre, sur les bords de la rivière Ouaka proche.

Comme lui, beaucoup de ces déplacés ont été forcés, dans le cadre du projet gouvernemental Paret (Programme d’appui au retour et à la réintégration), de quitter leur camp, appelé "Sangaris", du nom de la mission militaire française présente en Centrafrique de 2013 à 2016.

- 300.000 retours -

En 2018, plus de 300.000 réfugiés et déplacés centrafricains sont rentrés chez eux, avec ou sans l'aide de ce programme gouvernemental. "On a constaté un manque flagrant de planification pour soutenir ces populations ou surveiller les retours organisés par le gouvernement", soulignait en février un rapport de l'ONG Refugees International (RI). Ces retours ne se feraient pas toujours conformément à la convention de Kampala sur le droit des déplacés.

"A partir de la première quinzaine de décembre, le Paret a distribué des enveloppes de 50.000 FCFA (75 euros) aux déplacés du site Sangaris pour les inciter à en sortir", indique un rapport confidentiel d'une agence onusienne consulté par l'AFP.

Dans ce rapport, des témoignages pointent du doigt de présumées "pressions des autorités locales (militaires, gendarmes) pour pousser les déplacés à quitter le site". Enguerrand, autre déplacé de Sangaris, s'est aussi installé au bord de la Ouaka, dans un camp informel. Les ONG n'ont pas l’autorisation préfectorale d'y intervenir, officiellement pour ne pas inciter les gens à y rester.

"Il y a beaucoup de moustiques et pas de latrines, il y a des enfants qui sont morts du paludisme ici. Une ONG voulait installer un poste de santé mais ils n'ont pas eu le droit", explique-t-il. Enguerrand dit qu'il n'avait pas d'autre choix en quittant Sangaris, car il ne veut pas rentrer dans son quartier d'origine, encore occupé par un groupe armé.

Une quinzaine de ces groupes combattent entre eux et contre l'armée et l'ONU pour le contrôle des ressources de Centrafrique. Tous ont signé un accord de paix début février, dans lequel ils s'engagent à baisser les armes.

"Aucune solution à long terme"

Ce retour forcé est un "déplacement secondaire", estime auprès de l'AFP Hajer Naili, porte-parole de l'ONG Norwegian Refugees Council (NRC), spécialisée en Centrafrique dans les populations déplacées par le conflit. "Ce genre d'action est problématique d'un point de vue de la protection des populations civiles", ajoute-elle, s'inquiétant que ce retour se fasse "sans qu'il n'ait été offert aucune solution sur le long terme" aux déplacés.

"Le gouvernement met une pression de dingue pour les retours, ça pourrait être une opportunité, mais on a fait du chiffre au lieu de faire les choses proprement", soupire une autre source humanitaire. Cette source fustige l'absence de coordination du Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (ONU) avec les autres partenaires et rappelle que "la majorité écrasante des gens veulent rentrer chez eux mais que, pour ça, il leur faut un logement, des conditions de sécurité, et un développement économique".

Contactés par l'AFP, les représentants du programme Paret et le HCR affirment que tous les déplacés sont partis volontairement du site Sangaris et que rien ne leur est arrivé depuis. "L'incapacité de protéger les sites de déplacement dans le pays a été invoquée par le gouvernement pour justifier son empressement à fermer les camps", explique Alexandra Lamarche, auteur du rapport de RI.

Ce texte a été publié quelques mois après des attaques de sites de déplacés dans d'autres villes du pays, notamment Batangafo et Alindao, ayant fait des centaines de morts. Pour d'autres sources humanitaires, le gouvernement veut accélérer les retours de déplacés pour améliorer son bilan politique avant la prochaine élection présidentielle, prévue en 2021.

Plus du quart de la population centrafricaine est déplacée: 643.000 personnes ont dû fuir leur domicile, et 574.000 autres se sont réfugiées dans les pays voisins.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 09/04/2019 à 08h37, mis à jour le 09/04/2019 à 08h39