A Bukavu, dans une des provinces de l'est de la République démocratique du Congo affectées depuis plus de 25 ans par les violences de groupes armés, la crainte d'une crise sociale dévastatrice s'ajoute aux problèmes d'insécurité.
Janvier Mizo Kabare, président de la Ligue des consommateurs des services au Congo-Kinshasa (Licoski), assure avoir alerté «les autorités de la flambée vertigineuse des prix des denrées sur les marchés de Bukavu», source de «grand malaise social».
Les prix augmentent «tous les jours». «Que les autorités voient ce qu'elles peuvent faire, sinon nous allons mourir de faim!», lance Pascaline Buhume, vendeuse de produits alimentaires.
Sur les marchés Feu rouge et Nyawera du chef-lieu du Sud-Kivu, un sac de sucre de 50 kg qui coûtait 43 dollars se négocie à 60 dollars aujourd’hui, se désole-t-elle.
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Un bidon d’huile de 20 litres est passé de 30 à 45 dollars, un sac de riz de 25 kg de 18 à 25 dollars. «Un pain qui coûtait 1.000 francs congolais (0,5 dollar) revient à 1.200 FC (1,6 dollar)», s'alarme aussi Madame Aimée, la trentaine, mère de cinq enfants.
Et une bouteille de bière Primus qui valait 2.500 francs (1,25 dollar) peut monter à 3.000 (1,5 dollar).
"Nous importons trop"
Janvier Mizo explique ces augmentations par la hausse du prix du carburant, qui a «des répercussions sur les transports et sur le prix des produits de première nécessité».
Le «prix moyen frontière commercial» (payé à l'entrée du pays) est passé de 762,5 à 900,7 dollars pour un camion-citerne, explique Urbain Kange, secrétaire du club des pétroliers de Bukavu. «Nous faisons des efforts, mais nos fournisseurs, en Tanzanie, au Rwanda, au Kenya, nous disent qu’il y a pénurie à leur niveau», ajoute-t-il. Plusieurs stations sont à sec à Bukavu.
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«Trouver du carburant devient un casse-tête», confirme Jérémie Cito, conducteur de taxi-moto, qui fait payer pour un petit trajet 1.000 FC contre 500 auparavant (0,5 contre 0,25 dollar).
Le problème vient aussi du fait que la province «dépend totalement des importations», complète Paulin Bishakabalya, opérateur économique et membre de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Pourtant, juge-t-il, «le riz, le blé, le maïs, l’huile...» pourraient être produits localement.
"Agir de toute urgence"
A cause de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, deux grands pays exportateurs de céréales, «des commandes passées par les commerçants ne sont pas honorées», souligne Paulin Bishakabalya, tandis que «certains opérateurs font de la rétention de stocks, en attendant de voir comment le marché mondial va évoluer». «Cela aussi fait monter les prix», constate-t-il.
Selon lui, «le gouvernement devrait agir de toute urgence», en favorisant la production intérieure et en réhabilitant des routes pour permettre l'écoulement des produits vers les villes.
«Le gouverneur de province a réuni les opérateurs économiques pour qu’ils n'exagèrent pas la hausse des prix», indique Eninga Abwe, chef de bureau à la division du commerce extérieur à Bukavu, ajoutant que des visites de contrôle étaient prévues sur les marchés.
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Des hausses de prix sont signalées sur d'autres marchés congolais, à l'intérieur du pays et dans la capitale Kinshasa.
Lors du dernier conseil des ministres, les membres du gouvernement ont été invités à prendre les mesures nécessaires pour atténuer l'impact de la guerre en Ukraine sur l'économie nationale.
La RDC a de gigantesques ressources minières et des millions d'hectares de terres arables mais, selon la Banque mondiale, plus de 70% de ses quelque 90 millions d'habitants vivent avec moins de 1,90 dollar par jour, niveau fixé comme seuil de pauvreté international.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a mis en garde lundi contre «un ouragan de famines». Au total, a-t-il affirmé, 18 pays africains et pays les moins avancés importent au moins 50% de leur blé d'Ukraine ou de Russie. La RDC est parmi eux.