Inflation: les banques centrales africaines augmentent les taux directeurs, un remède à double tranchant

Les Banques centrales des 5 premières puissances économiques africaines.

Les Banques centrales des 5 premières puissances économiques africaines.. DR

Le 07/06/2022 à 11h14, mis à jour le 07/06/2022 à 11h54

Face à l’inflation galopante, les banques centrales africaines multiplient les relèvements de leurs taux directeurs. Toutefois, ce remède ne semble pas, pour le moment, produire les effets escomptés, et des impacts négatifs sur la croissance ne sont pas à écarter. Décryptage.

Dans un contexte mondial marqué par une inflation galopante, les banques centrales à travers le monde se sont globalement orientées vers des resserrements de leurs politiques monétaires. Même la Réserve fédérale (banque centrale des Etats-Unis) a relevé son taux directeur de 50 point de base (pbs), soit la première hausse d’une telle ampleur depuis 2000, pour faire face à une inflation qui a atteint 8,5% en mars, son plus haut niveau depuis 1981.

C’est également le cas dans de nombreux pays africains qui ont durement subi les effets collatéraux de la crise russo-ukrainienne, avec l’envolée quasi généralisée des prix internationaux des produits de base et énergétiques et la persistance des tensions au niveau des chaînes d’approvisionnement internationales, attisant les pressions inflationnistes au niveau de toute la chaîne des prix. En plus des pénuries de produits dans certains pays (blé, carburants…), c’est surtout l’inflation, qui mine les pouvoirs d’achat des populations, qui inquiète les dirigeants africains, poussant de nombreux gouverneurs de banque centrale du continent à opter pour le resserrement de leurs politiques monétaires.

De nombreuses banques centrales africaines ont fortement révisé à la hausse leurs taux directeurs. L'Afrique du Sud a ainsi relevé fin mars dernier ce taux de 50 pbs à 4,25% pour faire face à l’inflation.

Le 17 mai, c’est la Banque centrale de Tunisie (BCT) qui a annoncé le relèvement de son taux directeur de 75 pbs à 7%, ce qui se traduit par un relèvement des taux de facilité de dépôt et de prêt marginal à respectivement 6% et 8%. L'institution a notamment souligné que les dernières informations disponibles indiquent une accélération rapide et à caractère généralisé de l’inflation dans le monde, qui contraste avec une reprise molle de la croissance mondiale, impactée par les effets de la crise russo-ukrainienne.

Selon le Conseil d’administration de la BCT, l’inflation s’est accélérée pour atteindre 7,5% en avril 2022, en glissement annuel, après 7,2% en mars, contre 5% en avril 2021, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis fin 2018. La BCT a jugé que la diffusion des pressions inflationnistes en provenance de l’étranger vers les prix domestiques, d’une part, et les répercussions des ajustements attendus des prix administrés dans le cadre de la réforme du système des subventions, d’autre part, seraient de nature à maintenir l’inflation sur des paliers élevés aussi bien en 2022 qu’en 2023. D’où sa décision de relever le taux directeur.

Et dans la même optique de réduire l’argent en circulation, la BCT a aussi relevé le taux minimum de rémunération de l’épargne de 100 pbs à 6%.

Dans le même sillage, la Bank of Ghana (BoG) a relevé, le 23 mai dernier, son principal taux directeur de 200 pbs, après l’avoir relevé de 250 pbs en mars. Celui-ci ressort désormais à 19%, soit l’un des plus élevés du continent. L’inflation est passée de 15% en mars à 23,6% en avril dans le pays, un niveau qui est proche du triple du taux cible de 8% fixé par la banque centrale. Cette situation a poussé le comité de politique monétaire de la BoG à agir pour freiner la hausse inquiétante des prix. «Le comité de politique monétaire a estimé qu’il devait s’attaquer de manière décisive aux pressions inflationnistes actuelles, afin de rétablir les attentes et de favoriser la stabilité macroéconomique», souligne un communique de l’institution.

L’Egypte aussi a suivi le tempo en relevant fortement, le 20 mai dernier, son taux directeur de 200 pbs à 11,25% afin de contrer l’inflation à deux chiffres résultant de la conjonction de la dévaluation de la livre égyptienne de 17% en mars dernier et des effets de la guerre Russie-Ukraine, région d'où l’Egypte importe 85% de son blé et 75% de son huile de tournesol. De plus, la hausse des prix des engrais a impacté les prix des denrées alimentaires produites en Egypte. En conséquence, l’inflation s’est établie à 14,9% en avril dernier, contre 4,4% à la même période de l’année dernière, à cause notamment de la flambée des prix alimentaires dont l’indice a augmenté de 20,1%, selon les données officielles. Pour rappel, en mars, la Banque centrale d'Egypte avait déjà relevé son taux directeur de 100 pbs. Ces mesures visent à atténuer la pression inflationniste en limitant les recours aux emprunts et en diminuant la demande de biens et de services dans le but d’apaiser la tension sur les prix.

Le 24 mai, le Nigéria, première puissance économique du continent, a lui aussi relevé son taux directeur de 50 points de base à 13%, une première depuis 20 mois. L’inflation dans le pays s’est établie à 16,82% en avril, contre 15,92% en mars.

Inefficace face à une «inflation importée»

A travers ces relèvements des taux directeurs, les banques centrales africaines cherchent à réduire davantage les liquidités au sein des économies africaines, la réduction des masses d’argent en circulation pouvant impacter la consommation et donc l’inflation. Seulement, les relations qui lient le taux directeur d’une banque centrale au taux d’inflation d’un pays sont complexes. Et l’effet de mimétisme risque d’impacter négativement la reprise des économies africaines.

Par Moussa Diop
Le 07/06/2022 à 11h14, mis à jour le 07/06/2022 à 11h54