Égypte: une nouvelle «dévaluation» de la livre aux effets inflationnistes inquiétants

DR

Le 22/03/2022 à 15h40, mis à jour le 22/03/2022 à 15h50

La livre égyptienne s’est fortement dépréciée suite à une opération qui ressemble plus à une nouvelle «dévaluation». Si le pays peut améliorer sa compétitivité et son attractivité, l’impact inflationniste sera très néfaste sur la population déjà durement affectée par la flambée des prix.

Comme en novembre 2016, lorsque la livre égyptienne avait perdu 40% de sa valeur subitement, dans le cadre d’une dévaluation, la monnaie égyptienne vient une fois encore de se déprécier, cette fois de 17%, ce lundi 21 mars 2022. Une nouvelle «dévaluation» qui a fait passer le cours d’un dollar à 18,2 livres égyptiennes.

Les autorités monétaires sont même «intervenues» en urgence pour freiner cette dépréciation en relevant les taux de ses indicateurs monétaires. Le Comité de politique monétaire de la Banque centrale d’Egypte a tenu une réunion d’urgence et a relevé le lundi 21 mars le taux directeur de 100 points de base. Le taux de prêt au jour le jour de la Banque centrale d’Egypte, le taux de prêt au jour le jour et le taux de l’opération principale ont été relevés à respectivement 9,25%, 10,25 et 9,75%. Idem pour le taux d’actualisation qui a été aussi relevé de 100 points de base à 0,75%.

Pour expliquer la mesure, le gouverneur de la Banque centrale, Tarek Amer, a souligné que les décisions de son institution visent à «préserver la liquidité en devises et la confiance des investisseurs étrangers, de sorte qu’un mouvement de correction du taux de change devrait refléter les développements internationaux».

Des décisions qui ne sont pas sans rappeler celles prises le 3 novembre 2016 lorsque la livre égyptienne avait enregistré une chute spectaculaire de 41% en une journée. Parallèlement à cette décision, la Banque centrale d’Egypte avait aussi augmenté son taux directeur de 300 points de base pour le fixer à 14,75%.

Cette dévaluation de 2016 avait eu certains effets escomptés grâce notamment à l’apport de liquidité du Fonds monétaire international (FMI) qui avait débloqué 12 milliards de dollars, en plusieurs tranches, contribuant à améliorer les réserves en devises du pays qui étaient tombées à 16 milliards de dollars. Ces nouvelles liquidités avaient permis au pays de trouver plus facilement d’autres financements auprès d’autres bailleurs de fonds et au niveau du marché international des capitaux.

Cela avait permis de redynamiser une machine économique égyptienne presque au point mort. Cette «dévaluation» et les réformes entreprises avaient permis de doper la croissance et l’économie égyptienne était même devenue la plus dynamique de la région Afrique du Nord et Moyen Orient (MENA) avant l’avènement de la crise sanitaire du Covid-19. Le pays affichait un taux de croissance de plus de 5% et s’était adjugé le rang de deuxième puissance économique africaine derrière le Nigéria en surclassant l’Afrique du Sud.

Seulement, depuis 2020, la crise sanitaire n’aidant pas, la croissance s’est essoufflée. Un début d’essoufflement de l’économie égyptienne s’expliquant par le fait que l’effet de la dévaluation s’estompe petit-à-petit si elle n’est pas accompagnée de réformes structurelles à même d’asseoir les base d’une économie solide. Seulement, les réformes n’ont pas toutes été menées à termes, notamment celles concernant l’élimination des subventions sur les produits de base et les réformes fiscales. De plus, le secteur du tourisme, un des plus stratégiques du pays, a été durement touché par la pandémie du Covid-19.

En conséquence, le pays avait besoin d’un nouveau booster pour stimuler une croissance plus rigoureuse à même de contribuer à la création de davantage de richesse et d’emplois. Ainsi, cette nouvelle dévaluation de la livre devrait doper davantage le secteur exportateur égyptien pour lequel les autorités affichent d’ambitieux objectifs. Ayant atteint un niveau record de 45,2 milliards de dollars en 2021, l’Egypte ambitionne d’atteindre les 100 milliards de dollars d’exportation d’ici 5 ans. La dévaluation de la livre pourrait donc stimuler davantage les exportations égyptiennes hors hydrocarbures: engrais, produits chimiques, matériaux de construction, produits agricoles, textile-habillement…

Cette dévaluation va aussi rendre la destination Egypte plus attractive dans le sillage de la reprise de l’économie mondiale post-Covid-19 que la crise en Ukraine pourrait toutefois ralentir. Dans ce contexte, cette décision va améliorer l’attractivité de la destination Egypte, vis-à-vis de ses concurrents méditerranéens et nord-africains en attirant davantage de touristes et d’investissement directs étrangers (IDE).

En plus, cette dévaluation pourrait être le précurseur de l’obtention d’un nouveau programme de financement du FMI, que Le Caire chercherait à obtenir, qui contribuerait à rassurer les investisseurs sur l’engagement de l’Egypte à mener une politique macroéconomique orthodoxe.

Reste que le pays est aujourd’hui plus endetté qu’en 2016 avec un taux dépassant les 90%. Et le service de la dette extérieure coûtera beaucoup plus cher au pays.

Mais, l’impact le plus inquiétant aujourd’hui est celui de l’effet de cette nouvelle «dévaluation» sur l’inflation. En effet, à la hausse des cours des produits importés, notamment des produits agricoles, l’Egypte n’étant pas touché par ceux des carburants, s’ajoute désormais l’impact de la dépréciation de la livre qui rend les importations beaucoup plus chères rapportées en monnaie locale. Une situation qui va pousser les importateurs à répercuter cette hausse sur le consommateur final et entretenir la flambée des cours des produits importés et/ou ceux fabriqués localement, mais contenant des intrants importés. Or, avant même cette dévaluation, l’inflation était galopante en Egypte et avait atteint les 10% en glissement annuel.

Pire, l’inflation alimentaire dépassait les 20,1%, selon les sources officielles. Il faut dire que l’Egypte est le premier importateur mondial de blé dont le cours a explosé ces dernières semaines en lien avec la crise en Ukraine. L’Egypte important 85% de son blé et 73% de son huile de tournesol de la Russie et d’Ukraine. 

Ainsi, comme l’a prédit la Banque mondiale, cette nouvelle dévaluation, dans un contexte de flambée des cours des produits alimentaires, va sensiblement augmenter le nombre de pauvres en Egypte. Une situation qui inquiète également les autorités égyptiennes qui souhaitent éviter des tensions sociales. 

Ainsi, afin d’atténuer l’impact, le ministère des Finances a annoncé 7 milliards de dollars de mesures de soutien aux plus pauvres. En plus, les autorités égyptiennes ont décidé, pour la première fois, d’encadrer le prix du pain non subventionné. Le Premier ministre a indiqué que le prix de celui-ci a été fixé à 11,5 livres égyptiennes le kilo (0,56 euro/kg). En outre, pour faire face à cette situation, le président égyptien a approuvé rapidement une augmentation de 13% des pensions et ce, dès avril prochain, plutôt qu'en juillet comme prévu auparavant.

C’est vrai qu’on était loin du pic de l’inflation à hauteur de 20% lors de la dévaluation de 2016. Toutefois, la situation risque de s’enflammer davantage si les autorités décident de revoir certaines subventions, comme celles touchant la farine et le pain, comme elles l’ont annoncé il y a quelques semaines. Un scénario inimaginable dans le contexte actuel de flambée des cours du blé du fait du risque de l’implosion sociale qu’une telle décision pourrait entraîner. De plus, les autorités ont du mal à intégrer le secteur informel qui représente pourtant plus du tiers de l’économie égyptienne.

Déjà en 2016, l’inflation avait connu une hausse importante après la dévaluation pour atteindre 32% en juillet 2017, avant d’entamer sa décrue et tomber sous la barre des 6% en 2021.

Contrairement à la précédente dévaluation, la nouvelle intervient dans un contexte plus favorable en ce qui concerne la solidité des fondamentaux économiques du pays avec notamment une économie plus diversifiée, moins dépendante des importations en énergie grâce aux importantes découvertes de gaz, des réserves en devises solides qui dépassent actuellement les 41 milliards de dollars (contre 16 milliards de dollars en 2016), une inflation forte, mais très largement en déçà de ce qu’elle était en 2016,… 

Par Moussa Diop
Le 22/03/2022 à 15h40, mis à jour le 22/03/2022 à 15h50