Alors que la Côte d'Ivoire et le Ghana rêvent de prendre leur destin en mains, concernant le cacao, les marchés n'ont pas réellement suivi. Le 11 juin dernier, les deux autorités de gestion de la filière dans les deux pays d'Afrique de l'Ouest avaient décidé de suspendre leurs ventes à partir de la saison 2020-2021, ventes qui devaient démarrer dans un peu plus d'une année, en octobre 2020. Ils exigent que les cours du cacao dépassent 2.600 dollars la tonne avant d'écouler leurs stocks respectifs. A défaut ils préféreraient garder leurs fèves.
A Londres, le marché est resté stoïque. Le cours de cette matière première indispensable à la confection du chocolat n'a pratiquement pas changé depuis cette décision historique. Dans l'absolu, il s'est replié après avoir poursuivi une phase de hausse qui a débuté quelques semaines plus tôt, après l'annonce de la baisse des récoltes au Ghana du fait du Swollen Shoot, un virus mortel pour les cacaoyers.
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En effet, le lundi 10 juin, la veille de la fameuse décision ivoiro-ghanéenne, la tonne à Londres cotait 2.498 dollars à la clôture. Une semaine plus tard, le 17 juin, la séance se terminait à 2485 dollars, marquant un léger repli par rapport au cours cinq séances plus tôt. C'est dire que les marchés n'ont pas été sensibles à la menace, quoique venant des deux plus gros producteurs mondiaux.
Certes, les négociants sont à 17 mois de la mise en exécution de cette fameuse décision, mais tout porte à croire que le pari n'est pas gagné d'avance, pour plusieurs raisons. La plus déterminante étant que les deux producteurs n'ont aucune maîtrise sur les stocks de cacao. Mais, l'absence d'une industrie chocolatière en Côte d'Ivoire et au Ghana affaiblit aussi les deux Etats.
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Ainsi, la capacité de stockage de toute la filière est située quasi exclusivement en Europe et aux Etats-Unis. Il suffit que les négociants hésitent à acheter la fève auprès des agriculteurs pour voir le port de San Pedro, en Côte d'Ivoire, submergé et les graines pourrir en bord de champs. C'est également le cas au Ghana voisin, car les deux pays n'ont jamais réellement investi dans le stockage, ce qui les met à la merci de leurs clients. D'ailleurs, la politique agricole n'a jamais réellement été orientée dans ce sens, les deux producteurs n'ayant fait qu'accroître les superficies des plantations, sans jamais avoir pensé influencer les marchés.
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Dans le même sens, toute l'industrie chocolatière est entre les mains de multinationales qui préfèrent installer les usines dans les lieux de consommation. Résultat: sur un chiffre d'affaires annuel de 100 milliards de dollars, les pays où sont basés les agriculteurs n'amassent que 6 milliards de dollars. Six maigres milliards de dollars que la Côte d'Ivoire et le Ghana se partagent avec les autres pays producteurs comme le Cameroun, Madagascar, le Brésil, etc.
Avant de mettre leur menace à exécution, ces deux pays qui veulent créer "l'OPEP du cacao" pour contrôler les prix de la fève, comme le font les pays pétroliers avec les hydrocarbures, doivent surtout avoir les capacités de stockage. Or, cela suppose non seulement la construction d'entrepôts adaptés, mais aussi que les deux régulateurs aient la capacité financière adéquate. Car, au final, les agriculteurs, eux, ne pourront jamais attendre que les fèves soient transformées en barrettes de chocolats avant de percevoir le fruit de leur dur labeur.