Union africaine: désavoués, deux pays tournent le dos à la Cour africaine des droits de l'Homme

Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples d'Arusha. . DR

Le 30/04/2020 à 13h49, mis à jour le 01/05/2020 à 12h05

Au cours du mois d'avril 2020, deux pays francophones ont retiré leur déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples (CADHP). Un coup dur pour cette institution appelée à devenir un pilier de l'Union africaine.

Les relations entre la Cour africaine de justice et certains pays ouest-africains sont loin d'être au beau fixe. Comme il fallait s'y attendre, la Côte d'Ivoire et le Bénin ont préféré claquer la porte après que certaines décisions de justice dans ces deux pays ont été désavouées par l'instance supranationale africaine. 

L'ancien président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, a été condamné le 28 avril courant par la justice de son pays à une peine de prison ferme de 20 ans. Et dès le lendemain, Abidjan annonçait son retrait de "la déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples".

Cinq jours auparavant, le 24 avril, le Bénin avait pris exactement la même décision. 

Dans les faits, ces actes posés par les deux Etats ouest-africains sont de lourd de conséquences pour les justiciables, notamment pour les nombreux citoyens qui estiment faire l'objet de persécution en raison de leurs positions politiques.

Car, même si les deux gouvernements ont précisé que leurs pays respectifs continuaient à faire partie de la CADHP, les individus et les organisations de la société civile ne pourront plus, désormais, déposer de recours devant la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples, basée à Arusha en Tanzanie. 

Si Porto-Novo et Abidjan ont décidé de prendre leur distance avec la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples, c'est peut-être parce qu'elles n'ont pas apprécié les jugements rendus à Arusha et qui constituent de sérieux revers pour leurs justices respectives. 

Fin mars, l’État béninois a été condamné par la Cour africaine dans le procès contre Sébastien Ajavon, opposant à Patrice Talon, le président béninois, qu'il avait pourtant supporté lors de la présidentielle de 2016. La Chambre d'Arusha estime que les droits du riche homme d'affaires n'ont pas été respectés dans l'affaire des 18 kilos de drogue trouvés en octobre 2016 dans une cargaison de poulets surgelés venant du Brésil et qui lui était destinée. 

Car, faut-il le rappeler, le Bénin est allé jusqu'à créer une juridiction taillée sur mesure pour châtier l'ancien soutien de Patrice Talon tombé en disgrâce quelques mois seulement après la présidentielle. Il s'agit de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) calquée sur la CREI sénégalaise qui avait servi à juger l'opposant Karim Wade. 

La CRIET a été mise en place en août 2018 et avait condamné Ajavon à une peine d'emprisonnement ferme de 20 années, alors qu'une cour de première instance à Cotonou l'avait relaxé un an plus tôt. Un dangereux précédent, selon la CADHP, qui a condamné la violation du principe de "non bis idem", qui veut qu'une personne ne puisse être poursuivie à deux reprises pour les mêmes faits. 

Pour le cas de Guillaume Soro, ancien Premier ministre, ancien président de l'Assemblée nationale, ayant permis à Alassane Ouattara d'accéder au pouvoir, en étant un acteur de premier plan de la rébellion, on est face à la même situation. En effet, la Cour africaine de justice avait demandé, mercredi 22 avril dernier, la suspension du mandat d'arrêt contre Soro et la remise en liberté 19 de ses proches, emprisonnés depuis quatre mois. Parmi les proches de Soro figurent 5 députés et des membres de son parti arrêtés dans des conditions troubles. 

Arusha avait alors estimé que le mandat d'arrêt et les mandats de dépôt risquaient de "compromettre gravement l’exercice des libertés et des droits politiques des requérants", sans compter la forte probabilité de "dommages irréparables" et la violation de la "présomption d’innocence". 

Evidemment, ce n'est pas la première fois que des Etats sont désavoués par cette Cour, créée par l'Union africaine et censée faire respecter les droits de l'Homme. Son principe fondateur l'amène forcément à rendre des jugements défavorables aux gouvernements.

Le Sénégal en avait fait l'expérience dans l'affaire Karim Wade. Le Rwanda et même la Tanzanie qui lui sert de siège avaient également été courroucés par des décisions remettant en cause leurs décisions de justice, au point d'annoncer leurs retraits respectifs. Visiblement, il reste encore du chemin à faire pour les droits des citoyens africains. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 30/04/2020 à 13h49, mis à jour le 01/05/2020 à 12h05