Afrique-Turquie: le putsch manqué contre Erdogan continue de hanter le sommeil des écoliers africains

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Le 24/09/2017 à 16h53, mis à jour le 24/09/2017 à 18h58

L’année scolaire 2017-2018 démarre dans l’inquiétude pour des milliers écoliers et parents d’élèves des écoles turques en Afrique. Si beaucoup de pays ont fermé ou transféré le réseau des écoles affiliées au prédicateur Gülen à la Fondation Maarif, l'incertitude reste de mise.

200 élèves ivoiriens du groupe international Le Mérdidien, ex-groupe Safak International, affilié au prédicateur turc Fethullah Gülen, risquent de ne pas reprendre le chemin de l’école au titre de l’année scolaire 2017-2018, après l’annonce de la fermeture imminente de l’école. Quant aux parents des 3.000 élèves des écoles Yevuz Selim du Sénégal, ils ne savent pas jusqu’à présent où inscrire leurs enfants. Au début du mois, le ministre de l’Education Sérigne Mbaye Thiam avait demandé aux parents d’élèves des établissements Yevuz Selim de Gülen d’inscrire leurs enfants ailleurs «parce que ces écoles ne seront pas reconnues cette année».

Idem pour les parents d’élèves des écoles du groupe turc au Mali qui ont de très fortes appréhensions vis-à-vis de la solution qui leur est proposée avec la Fondation Maarif et qui menacent de manifester leur mécontentement.

Ainsi, ce sont plusieurs milliers d’élèves et de parents d’élèves qui s’inquiètent à quelques jours de l’ouverture des classes de l’année scolaire 2017-2018, sachant que le groupe compte une centaine d’écoles dans plus de 30 pays africains. Des écoles qui, partout au niveau du continent, figurent parmi les plus réputées et qui se posent comme des alternatives à la fois à l’école moderne et à l’école coranique. Destinées à former des élites, ces institutions privées sont reconnues depuis deux décennies, y compris par Ankara, pour la qualité de leur enseignement.

En clair, le dommage collatéral du putsch manqué de l’armée contre le président Recep Tayyip Erdogan du 5 juillet 2016 continue de faire des victimes en Afrique.

Pour rappel, après avoir accusé le prédicateur Fethulla Gülen d’être derrière ce coup d’état sanglant, et après des répressions menées contre tous ceux jugés proches de Gülen, le président turc avait élargi ses cibles aux pays africains en demandant la fermeture des écoles Yavuz Selim affiliées à la confrérie Gülen. «C’est un piège, elles forment des étudiants qui détiendront des positions clés dans la police, l’armée ou la magistrature et qui, un jour, commettront des coups d’Etat chez vous», expliquait Mehmet Ankara, directeur de l’information à la Primature turque, devant des journalistes africains venus couvrir le Forum d’affaires Turquie-Afrique en novembre 2016.

Certains pays comme le Maroc ont opté pour la fermeture pure et simple des établissements liés au prédicateur turc. D’autres pays ont opposé une fin de recevoir au gouvernement turc. C’est le cas notamment de l’Afrique du Sud et de la Tanzanie… L’Afrique du Sud avec 9 écoles et plus de 3.500 élèves refuse la fermeture du réseau considéré comme la crème de l’enseignement sud-africain. Le Lycée Horizon de Johannesburg étant une référence en matière d’enseignement en mathématiques.

D’autres pays comme le Sénégal, du Mali et le Nigeria ont commencé par faire de la résistance. Mais la pression turque s'est montrée si forte que les gouvernements ont fini par accepter la solution proposée par l’Etat turc avec le remplacement des écoles Gülen par la Fondation Maarif. Le Nigeria qui avec ses 17 écoles représente le plus important réseau des écoles Gülen en Afrique avait longtemps opposé un niet catégorique aux injonctions d’Ankara avant d’opter lui aussi pour la Fondation Maarif.

La Fondation Maarif a ainsi signé des protocoles d’accords avec une vingtaine de pays africains pour récupérer les écoles du réseau Gülen.

Seulement, sur ce point, la solution préconisée ne fait pas l’unanimité au niveau du continent. D’abord, du point de vue juridique, remplacer des écoles privées par une fondation publique pose problème. Au Sénégal, les parents d’élèves et plusieurs associations ont décidé de saisir la Cour suprême de la CEDEAO pour contrer une telle décision jugée sans cadre légal. Ensuite, et c’est l’élément fondamental, la Fondation Maarif est loin de faire l’unanimité du fait qu’elle n’a aucune expérience en matière d’enseignement et n’a pas bonne réputation.

Enfin, il y a aussi le fait que cette Fondation est très proche du pouvoir turc puisque 7 des 12 membres de son Conseil d’administration sont nommés directement par Erdogan et le Conseil du gouvernement turc. En plus, son financement est en grande partie assuré par des hommes d’affaires proches de Recep Tayyip Erdogan.

Ainsi, pour nombre d’observateurs, la Fondation Maarif serait une machine de guerre contre le réseau Gülen sans aucune appétence pour l’éducation. D'ailleurs, la première école de la Fondation ouverte en Géorgie a été un fiasco total. Idem pour les 2 écoles somaliennes qui ont perdu leurs effectifs. En Guinée, l’un des premiers pays à accepter la fermeture des écoles Gülen au niveau du continent, la reprise a aussi été un échec avec la fermeture des 5 établissements.

En clair, il ressort que si la Fondation Maarif dispose des ressources, ce qui est encore à vérifier, la gestion des écoles nécessite des compétences dont elle ne semble pas disposer actuellement. Et le problème est que dans toutes les écoles reprises par la Fondation, les équipes dirigeantes jugées proches de Gülen ont été renvoyées.

De ce fait, dans de nombreux pays, les parents d’élèves n'acceptent pas la solution de la Fondation Maarif. Au Sénégal, les parents des 3.000 élèves des 9 écoles du réseau Yévuz Sélim continuent à se battre pour que le groupe garde son autonomie vis-à-vis de la Fondation Maarif. Ils viennent d’obtenir des soutiens de taille. En effet, les deux plus grandes familles religieuses du pays, Mourides et Tijanis, certaines organisations islamiques, les imams et prédicateurs du Sénégal, la Fédération nationale des écoles coraniques et l’Eglise catholique ont demandé à l’Etat du Sénégal de revoir sa position et de «ne pas nuire aux intérêts de son pays». Toutefois, le gouvernement sénégalais persiste dans sa volonté de passer sous le giron de la Fondation Maarif.

Alors, pourquoi les pays africains se plient-ils aux injections d’Ankara?

D’une part, l’idée de former de futurs putschistes qui contrôleront l’armée et la police et toute l’administration fait peur aux dirigeants africains. D'autre part, il y a les pressions économiques exercées par Ankara. Le cas du Sénégal est édifiant. Après avoir résisté à la pression d’Erdogan, le président Macky Sall a fini par lâcher du lest en retirant la gestion des écoles à l’association Becken Egitim en soulignant que la décision avait été prise «de façon souveraine, en tenant compte d’une situation qui fait appel à des questions qu’on ne peut pas exposer en public».

Il faut dire que la pression de la présidence turque était forte et que la Turquie est devenue depuis quelques années un géant économique au niveau du continent.

A titre d’exemple, au Sénégal, les entreprises et les investisseurs turcs sont derrière de nombreux projets structurants. Après avoir livré dans les délais le Centre de conférence Abdou Diouf de Diamniadio dans les délais, ils sont en train de finaliser l’aéroport international Blaise Diagne et doivent livrer le marché international de gros et une gare de gros porteurs à Diamniadio, deux infrastructures d’un coup de 105 millions de dollars et figurant parmi les chantiers phares du Plan Sénégal Emergent (PSE).

Et pour ces deux derniers projets, 85% du financement sont apportés par Exim Bank Turquie. A cela s’ajoute aussi l’accompagnement prévu par Turkish Airlines d’Air Sénégal SA avant que cette crise des écoles Gülen ne vienne plomber ce partenariat.

Bref, le sort des dizaines milliers d’élèves du continent ne pèse pas lourd face aux enjeux économiques... Et au diktat d’Erdogan.

Par Moussa Diop
Le 24/09/2017 à 16h53, mis à jour le 24/09/2017 à 18h58