Afrique: une recrudescence inquiétante des crimes rituels

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Le 10/03/2018 à 10h39

Les crimes rituels se sont multipliés ces derniers jours. Le dernier cas, concernant un enfant de 4 ans en Côte d’Ivoire, a plongé ce pays dans l’émoi. Malheureusement, le phénomène, aussi vieux que le temps, connaît une certaine recrudescence pour diverses raisons.

En Côte d’Ivoire, un enfant de 4 ans a été tué puis vidé de son sang avant d’être enterré dans le quartier de Cocody. Au Cameroun, trois Gabonais ont été arrêtés après que 3 enfants, âgés de 2 à 4 ans, aient été trouvés tués dans une auberge. Les auteurs de cet odieux crime comptaient recueillir le sang frais et certaines parties des corps de leurs victimes... La liste de ces crimes barbares est longue et touche malheureusement les couches les plus vulnérables (enfants, albinos, etc.) de la population.

Dans ces deux cas, il s’est trouvé qu’il s’agit de crimes rituels. Un phénomène qui connaît une certaine recrudescence au niveau du continent, à l’ère de la démocratisation des régimes, hélas!

Pourquoi autant de crimes? Les réponses sont nombreuses mais globalement 4 à 5 motivations principales sont avancées. D’abord, il y a la croyance dans les rituels de sorcellerie. Ce phénomène s’accompagne de la démultiplication du nombre de charlatans, marabouts et autres gourous adeptes de sectes pour lesquels les sacrifices et les crimes rituels constituent des solutions à tout: accès à de hautes fonctions, réussite sociale, augmentation de la force vitale et autres pouvoirs surnaturels.

Ensuite, il y a le facteur lié à la fortune. Ainsi, pour le dernier crime rituel qui a mis la Côte d’Ivoire en émoi, il s’agirait d’un crime rituel exécuté par un bijoutier, bien connu de par son statut familial et apprécié du voisinage, dans le but de devenir riche. «Un marabout du quartier m’a dit de le tuer pour pouvoir avoir de l’argent», a avoué le suspect âgé de 27 ans, après son arrestation par la police.

Ainsi, selon le père Donald Zagoré, prêtre de la Société des missions africaines (SMA), «nous constatons avec désarroi que de plus en plus, dans bon nombre de pays africains, par exemple la Côte d’Ivoire et le Sénégal, les enfants sont enlevés et assassinés pour des rituels sataniques par des individuels en quête de richesse matérielle».

En outre l’autre facteur important est lié à l’appétit du pouvoir, et connaît son apogée au moment des échéances électorales dans de nombreux pays africains. Ainsi, on note une recrudescence des crimes rituels durant les périodes électorales dans de nombreux pays africains.

«A l’approche des élections, ces pratiques se multiplient. C’est un business lucratif. En période pré-électorale, les marchands de la sous-région se rendent sur place, parfois en classe affaires, pour vendre leur service de consultants de l’irrationnel», soulignait Francis Akindes, professeur de sociologie à l’Université de Bouaké, en Côte d’Ivoire, dans les colonnes de l’hebdomadaire Jeune Afrique.

Chose que confirme Mouhamadou Bamba Diop, président de l’association sénégalaise qui défend les albinos, ces enfants nés entièrement blancs, suite à une dépigmentation de la peau, des cheveux et des yeux. Il exprime son indignation face aux enlèvements et assassinats d’albinos qui ont eu lieu en marge de l’élection présidentielle de 2012, en expliquant: «On n’a jamais vu ça au Sénégal! C’est une pratique connue dans d’autres pays d’Afrique, mais chez nous, avant l’élection de 2012, ça n’existait pas».

Par ailleurs, la recrudescence des sacrifices (cadavres mutilés) et des crimes dits rituels s’explique aussi par le fait que leurs auteurs jouissent souvent de l’impunité quand ils échappent à la vindicte populaire comme ce fut le cas au Cameroun où les populations ont mis le feu à l’auberge où logeaient les 14 personnes incriminées dans ce crime et à leur véhicule. Dans ces deux cas, la révolte et l’indignation des populations ont poussé les autorités à accorder de l’importance à ces crimes.

Cette situation s’explique aussi par l’incompétence des forces de l’ordre à s’attaquer à ce genre de crimes très ancrés dans les mœurs et les systèmes politiques, la complicité dont jouissent certains auteurs et commanditaires et bien sûr la passivité des populations.

Enfin, il y a l'appât macabre du gain qui pousse de nombreux chasseurs de primes à la recherche de proies faciles pour les sacrifices recommandés par les vendeurs de rêves à des hommes fortunés et puissants et qui souhaitent consolider leur puissance. Selon l’ONU, un membre d’un albinos se négocie autour de 600 dollars et un corps entier peut coûter jusqu’à 75.000 dollars. Une fortune qui contribue à la multiplication des crimes odieux contre cette minorité. Du coup, même morts, les albinos ne reposent pas en paix dans de nombreux pays: Malawi, Tanzanie, Kenya, Mali, etc. Leurs tombes sont souvent profanées.

Mais pourquoi alors cible-t-on les enfants et surtout les albinos? Si le choix des enfants s’explique par leur innocence qui en fait des proies faciles, pour les albinos, cette situation s’explique par le fait que de nombreuses croyances et superstitions attribuent à leurs organes des pouvoirs magiques. 

Face à cette situation, et surtout grâce à l’implication de l’ONU, quelques pays africains ont commencé à prendre des mesures face à ce fléau. En Tanzanie, les autorités ont interdit et pénalisé, depuis 2015, la pratique de la sorcellerie. Pour illustrer cette détermination à combattre ce fléau, un tribunal tanzanien a condamné 4 personnes reconnues coupables du meurtre d’un albinos à la peine de mort.

Idem pour le Malawi où le gouvernement, pour protéger les albinos, a interdit l’exercice des «fonctions» de sorciers et guérisseurs.

Reste que ces pratiques sont très ancrées dans le subconscient des populations africaines. Il faut aller au-delà des interdictions et sanctions pour lutter contre ce phénomène. A côté de la répression, il faut beaucoup de campagnes d’éducation et de sensibilisation pour diminuer un phénomène d’un autre âge.

Par Moussa Diop
Le 10/03/2018 à 10h39