Côte d’Ivoire. Général Philippe Mangou: «J’étais à la tête d’une armée sans armes et sans munitions»

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Le 26/09/2017 à 17h37, mis à jour le 26/09/2017 à 17h44

Et si Gbagbo s’était engagé dans une voie sans issue? A la barre de la CPI, le général Mangou a expliqué avoir été «sans armes ni munitions» et demandé à Gbagbo de démissionner au regard des rapports de force.

Voilà ce qu’il faut faire pour qu’une armée échoue à remplir ses missions et comment l’entêtement de Gbagbo a pu conduire au pire, pourrait-t-on dire au deuxième jour de l’interrogatoire du général Philippe Mangou, ex chef d’état-major de l’armée ivoirienne. Nommé Colonel-major, pour devenir plus tard général de corps d’armée, Philippe Mangou, a insisté pour s’étendre sur l’état de ses troupes qui n’offraient pas le rapport de force nécessaire pour faire front contre la coalition internationale engagée à faire partir l’ex chef d’Etat.

«Nous nous sommes battus pour la République pratiquement sans armes», a clamé le général Mangou, comme pour expliquer l’échec de ses forces face à la guérilla urbaine du «Commando invisible», particulièrement actif dans le nord d’Abidjan durant la crise postélectorale, qui a fragilisé le régime de Laurent Gbagbo

«A la suite de la rébellion en septembre 2002, nous sommes allés au front pratiquement sans armes.

C’est en 2003 que les armements sont arrivés sans pouvoir être utilisés. Imaginez que les armes ont été achetées par des civils. Il y avait des armes sans munitions et des munitions sans les armes correspondantes», fustigea-t-il.

Illustrant ses propos, il a expliqué que l’armée ivoirienne avait acquis un char «gros comme pas possible» qui avait des chenilles. Et pour l’envoyer sur la ligne de front, dans le centre du pays, il fallait disposer d’un porte-char, ce dont l’armée ne disposait pas. Il en est de même pour des avions MIG, sur lesquels il y avait des instructions en russe indéchiffrables pour les militaires qui n’avaient, en outre, pas obtenu de formation pour manier ce type d’engin, d’où le recours aux pilotes étrangers. Des situations qui rendaient difficiles les opérations des forces sur le terrain, s’est-il désolé.

Revenant à la crise postélectorale déclenchée en décembre 2010, Philippe Mangou a indiqué que les munitions acquises depuis 2003, utilisées pour faire face à la rébellion, n’ayant pu être remplacées du fait de l’embargo sur les armes décrété par les Nations Unies, l’armée s’était retrouvée sans grands moyens. «La plupart des engins de combats qui étaient d’occasion étaient hors d’usage et il n’y avait pas de munitions pour les troupes», explique le général.

Certes des armes avaient été commandées, mais l’armée n’y a pas eu accès. «Le président Gbagbo s’est mis en colère parce qu’il disait avoir pourtant dégagé 5,2 milliards FCFA pour acheter des équipements», relève Philippe Mangou. «J’ai dû faire replier mes troupes d’Abobo parce que nous n’avions pas les hommes et les munitions pour tenir dans la durée nos positions et déloger les insurgés du commando invisible de cette commune», explique-t-il.

«J’ai demandé à Gbagbo de démissionner»

Evoquant le chapitre de ses rapports qui se sont tendus avec Laurent Gbagbo, il a indiqué qu’en pleine crise, ce dernier l’avait convié à donner son avis sur les conseils des présidents sud-africain et angolais qui lui suggéraient de démissionner. « Je lui ai dit qu’il devait démissionner pour honorer ces chefs d’Etat», a-t-il indiqué. Un avis qui va entamer leurs relations. Quatre jours après, son domicile était violemment attaqué à l’arme lourde, une attaque qu’il attribue à des militaires proches du président qui l’accusaient de «traitre».

Et ayant revu le couple présidentiel quelques jours plus tard, il s’est offusqué de n’avoir obtenu aucune compassion de leur part. Dès lors, avec le manque de munitions pour ses hommes, la situation ne fera qu’empirer.

Le cessez-le feu de la dernière chance

Quelque temps après, Philippe Mangou quitte le champ de bataille et se retranche dans un ses domiciles abidjanais, affirmant n’avoir plus eu de contact avec l’ex-chef d’Etat et ses proches. Et le 9 avril 2011, il reçoit l’appel d’un officier qui insiste pour qu’il demande un cessez-le-feu à la force française, Laurent Gbagbo et les militaires restés avec lui étant acculés de toutes parts dans la résidence présidentielle par des bombardements où Gbagbo risquait d’y laisser la vie.

Les contacts pris, et alors que les forces françaises - la France avait pris la tête d’une coalition internationale chargée de déloger de force Laurent Gbagbo - avaient donné leur accord, il y a eu une brève accalmie de quelques heures. Avant que le cessez-le-feu ne soit violé par des «militaires proches de Gbagbo». La suite est connue, trois jours après, le 11 avril, Gbagbo était capturé dans son «bunker».

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 26/09/2017 à 17h37, mis à jour le 26/09/2017 à 17h44