Côte d’Ivoire: Aboudramane Sangaré, 40 ans de vie politique aux côtés de Laurent Gbagbo

Abou Drahamane Sangaré, co-fondateur du FPI et fidèle de Laurent Gbagbo. . DR

Le 05/11/2018 à 12h06, mis à jour le 05/11/2018 à 12h07

C’est un vieux lion de la politique ivoirienne qui s’en est allé brusquement, le samedi 3 novembre dernier. Membre fondateur du FPI avec Laurent Gbagbo, Aboudramane Sangaré est l’un de ses tous premiers compagnons d’une lutte politique qui a abouti à l’avènement du multipartisme en 1990.

«Mon seul regret, c’est de ne pas pouvoir être avec lui (Laurent Gbagbo, ndlr) à la CPI» avait déclaré Aboudramane Sangaré dans une vidéo publiée en mars 2015. Une phrase qui en dit long sur celui que l’ex-président ivoirien considérait comme son frère «jumeau», en témoignage d’une amitié de plus de quatre décennies.

Leur histoire commune avait débuté sur le campus de l’université d’Abidjan en 1970, comme il le raconte lui-même, à une époque où les premières contestations politiques couvaient contre le régime du parti unique de Félix Houphouët-Boigny. 

Nourris à la sève du socialisme par le professeur Zadi Zaourou, Aboudramane et Laurent avaient fait partie des premières «hordes» d’agitateurs dans le milieu universitaire, ce qui leur avait valu, à tous deux, une incarcération une année plus tard, en 1971, dans le camp militaire de Séguéla, dans le nord du pays.

Dans ce bagne réservé aux opposants politiques d’alors, ils avaient tissé des liens de fidélité autour d’une même conviction: prendre les rênes du pouvoir. En 1982, avec d’autres compagnons, ils créèrent un mouvement politique clandestin, qui prit plus tard le nom de Front populaire ivoirien (FPI). Ce parti tint son premier congrès constitutif en 1988 sous la présidence d’Aboudramane Sangaré, avant de faire son entrée officielle sur la scène politique au début des années 90, avec l’ouverture au multipartisme.

Membre influent du parti, cet enseignant de droit à l’Université d’Abidjan fut dans l’ombre et dans l’intimité du couple Gbagbo. Et son activisme politique le mena à nouveau derrière les barreaux en 1994 et en 1995 sous la présidence d’Henri Konan Bédié.

A l’arrivée du FPI au pouvoir, il avait intégré le gouvernement, où il avait été brièvement nommé ministre des Affaires étrangères avant son départ, suite à des arrangements politiques avec la rebellion.

On ne peut avoir raison et renoncer

Durant la crise post-électorale, il avait fait partir des personnes qui avaient choisi de rester avec Laurent Gbagbo dans son bunker présidentiel malgré les bombardements, jusqu’à son arrestation le 11 avril 2011. Arrêté et incarcéré, il n'avait eu de cesse de justifier l’attitude jusqu’au-boutiste de son mentor: «on ne peut avoir raison et renoncer» clamait-il à chaque occasion, convaincu de la victoire de Laurent Gbagbo, lors de la présidentielle de 2010.

Sorti de prison deux ans plus tard, Sangaré avait alors adopté une position radicale, refusant toute collaboration avec le pouvoir d’Abidjan, privilégiant avant tout la lutte politique pour libération de Laurent Gbagbo. Il avait alors milité pour que l’ex-chef d’Etat demeure à la tête du FPI, une posture qui fut à l’origine du différend avec Affi N’Guessan qui avait alors pris les rênes d’une aile du parti.

Gbagbo reviendra

Dans sa posture, ayant le soutien de Laurent Gbagbo, Aboudramane Sangaré avait opté pour un boycott de toutes les élections, y compris la présidentielle de 2015 et les dernières élections locales. Surnommé «le gardien du Temple», il se présentait comme le défenseur du «FPI originel» qui «ne peut se départir de l’image et de la personne de Laurent Gbagbo».

«Le procès de Laurent Gbagbo, c’est l’honneur perdu de la CPI» avait-il confié lors d’une interview à la chaîne française TV5 Monde, en mars 2017, ajoutant : «il nous reviendra parce que la Côte d’Ivoire a besoin de lui. Il est le chaînon manquant de la réconciliation en Côte d’Ivoire».

La libération de Simone Gbagbo en août dernier avait pu conforter l’homme dans ses convictions. Il avait alors appelé au rassemblement de l’opposition ivoirienne en vue de la présidentielle de 2020, avec l’espoir d’un retour du FPI au pouvoir avec, à sa tête, son «camarade» de toujours. Mais voilà, Aboudramane Sangaré est parti avant ce scrutin... 

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 05/11/2018 à 12h06, mis à jour le 05/11/2018 à 12h07