Les Ivoiriens s’apprêtent à élire leur président le 31 octobre prochain. On compte déjà une dizaine de candidat pour des élections qui s’annoncent déjà tendues et ce, pour plusieurs raisons.
D’abord, dix ans après une crise post-électorale dans le pays, qui avait fait plus de 3.000 morts, les Ivoiriens n’ont toujours pas réussi à réellement panser leurs plaies.
C’est d’ailleurs là l’un des échecs du président sortant, Alassane Dramane Ouattara, resté au pouvoir durant une décennie.
Sa candidature, en tant que président sortant, pose d’ailleurs problème. Ayant déjà effectué deux mandats, il n’a, en théorie, pas le droit de briguer un troisième mandat, selon les dispositions de la constitution ivoirienne.
Toutefois, grâce à une modification du texte fondamental du pays, un jeu dans lequel les présidents africains sont passés maîtres, le président a remis les compteurs à zéro en se donnant la possibilité de se porter candidat pour, au moins, ce scrutin.
Mais naturellement, l’opposition lui conteste ce droit.
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Enfin, les précédentes élections municipales et législatives ont été émaillées par de nombreuses violences et fraudes électorales, une situation qui jette déjà un certain discrédit à la tenue du scrutin présidentiel à venir.
Comme c’est très souvent le cas en Afrique, l’opposition criera haut et fort à la fraude, surtout au cas où le président sortant serait vainqueur dès le premier tour, une situation qui n’est pas à écarter afin d’éviter les nécessaires alliances du second tour, qui ne portent pas souvent bonheur au président sortant.
En clair, tous les ingrédients sont réunis pour un scrutin tendu, et ce, d’autant que les candidats les plus en vue ne dissimulent pas la haine qu’ils entretiennent les uns envers les autres.
En tout, une douzaine de candidats ont annoncé leur intention de se présenter, ou ont déjà été adoubés par leurs partisans, pour porter les couleurs de leur parti politique.
Toutefois, deux d’entre eux sont considérés comme les véritables favoris de cette présidentielle: le président sortant, Alassane Ouattara, et Henry Konan Bédié, ancien président de la Côte d’Ivoire et dirigeant du parti historique, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI).
Derrière eux, Pascal Affi N’Guessam, du Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, peut jouer les trouble-fêtes, surtout s’il arrive à obtenir l’onction du chef du parti, Laurent Gbabgo.
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Du fait que Guillaume Soro, au même titre de Gbagbo, sera écarté par la cour constitutionnelle, tous les autres candidats ne pèseront pas lourd, mais pourront contribuer à faire pencher la balance au second tour du scrutin présidentiel, si celui-ci a lieu, ce qui est peu probable.
Enfin, il y a ceux qui souhaite se faire de la publicité, dont l’ancienne reine de beauté ivoirienne Marie Corine Bladi.
Le dépôts des candidatures sera clos le 31 août, et celles-ci devront ensuite être validées par le Conseil constitutionnel.
Toutefois, le système de parrainage de 1% des électeurs inscrits dans 17 des 33 régions que compte la Côte d’Ivoire, soit 75.000 signatures en 45 jours, risque d’éliminer plus de la moitié des candidats avant même qu’ils ne se présentent au scrutin.
Alassane Dramane Ouattara (ADO): un troisième mandat aux conséquences incalculables
ADO, comme l’appellent les Ivoiriens, est candidat malgré lui. Après avoir désigné son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, celui-ci est subitement décédé quelques semaines plus tard, poussant le président à se dédire de sa précédente promesse, à savoir qu’il ne se présenterait pas à un troisième mandat. Il s’est donc déclaré candidat, sous la pression de ses partisans, qui craignent certainement un échec face à un des opposants, notamment l’ancien président, Henri Konan Bédié.
«J’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens», a déclaré Ouattara, au pouvoir depuis 2011, et aujourd’hui âgé de 78 ans, pour annoncer sa candidature, le jeudi 6 août dernier. Lui qui avait annoncé sa volonté de passer le témoin à la «nouvelle génération» avait d’emblée souligné que ces acolytes devraient faire de même. Une allusion directe à Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Et quelques jours plus tard, l’ex-président ivoirien, 84 ans, avait à son tour annoncé sa candidature.
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Economiste, ancien directeur général adjoint du FMI et gouverneur de la BCEAO, il a réussi à relancer la dynamique économique ivoirienne et en a fait, une fois de plus, la locomotive de la sous-région avec un taux de croissance annuel moyen d’environ 8% depuis une décennie.
S’il a contribué à la reconstruction du pays et à le doter d’infrastructures, ADO a échoué à réconcilier les Ivoiriens, la pauvreté n’a pas réellement baissé, même s’il faut reconnaître que la décennie d’instabilité politique a beaucoup affecté la société et l’économie ivoiriennes.
Lors de la campagne présidentielle, Alassane Dramane Ouattara sera très certainement attaqué sur ces deux points, tout particulièrement sur le fait d’avoir renié sa parole de ne pas se porter candidat à un troisième mandat.
Elu en 2010, puis réélu en 2015, ADO part tout de même favori pour cette élection, et bénéficie, de plus, de l’appareil étatique pour mener à bien sa campagne, comme c’est d’ailleurs souvent le cas pour un président sortant en Afrique.
Henri Konan Bédié, 86 ans: l’âge de la retraite politique n’a pas encore sonné
A 86 ans, l’ancien président Henri Konan Bédié (HKB), a été désigné candidat du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), la principale formation politique de l’opposition ivoirienne.
Ayant présidé les destinées des Ivoiriens de 1993 à 1999, HKB avait été renversé suite à un coup d’Etat militaire, le premier de l’histoire du pays. Après avoir soutenu et porté au pouvoir le président Alassane Ouattara en 2010, et l’avoir soutenu en 2015, Bédié espérait prendre le relais après les deux mandats effectués par ADO, dans le cadre d’un accord non écrit entre les deux hommes.
Toutefois, à l’approche de la fin de son second mandat, Alassane Dramane Ouattara a annoncé sa volonté de passer le relai à une «nouvelle génération».
ADO ne voulait certainement pas que Henri Konan Bédié, à l’origine du concept d’«Ivoirité» dont lui-même a souffert, du fait des origines supposées de ses parents, accède à la magistrature suprême, craignant certainement le retour des vieux démons.
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L’échec d’unification de leur parti et du choix du candidat issu du PDCI ont fini par brouiller les relations entre les deux hommes.
Outre les souvenirs de sa présidentielle marquée par les référence à l’«Ivoirité» dans un pays qui compte 6 millions d’étrangers, essentiellement venus d’autres pays ouest-africains, ainsi que de nombreux Ivoiriens originaires des pays voisins, comme c’est partout le cas en Afrique, où les frontières ont été globalement été tracée à la fin des années 50, Henri Konan Bédié est handicapé par son âge très avancé.
A 86 ans, il dépassera les 90 ans au terme de son premier mandat, si jamais il est élu… Toutefois, pour lui, «l’âge est un atout».
Mais l’homme, grâce à l’appareil que lui confère le PDCI de l’ancien président Félix Houphouët-Boigny, reste le principal challenger d’ADO dans cette élection. Il espère amener le président sortant au second tour et fédérer l’ensemble de l’opposition pour le battre.
Chassé du pouvoir il y a 20 ans, celui qui est surnommé par le «Sphinx de Daoukro», arrivé 3e lors de la présidentielle de 2010 derrière Gbagbo et Ouattara, jouera sa dernière carte politique.
Pascal Affi N’Guessan: l’outsider à surveiller au cas ou Gbagbo lui donnerait les clés de la maison
En plus des deux candidats cités, qui disposent d’appareils politiques rôdés, et surtout de moyens considérables, Pascal Affi N’Guessan peut jouer un rôle d’outsider de ce scrutin, et surtout de véritable faiseur de roi en cas de second tour. Mieux encore, s’il obtient l’appui du fondateur du FPI, Laurent Gbagbo, il pourrait même créer la surprise et passer au second tour.
Tout dépendra de Laurent Gbagbo, qui reste très populaire en terre ivoirienne, en dépit de son long séjour à La Haye, et de son procès pour crimes contre l’humanité à la Cour pénale Internationale (CPI).
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Durant toute cette période, et malgré la scission du parti, l’électorat de base du FPI est resté fidèle à l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.
Il y a lieu de rappeler que Pascal Affi N’Guessan avait obtenu, lors du précédent scrutin présidentiel, en 2015, 9,29% des suffrages.
Agé de 67 ans, cet ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo (2000-2003) est sans conteste l’outsider de cette présidentielle. Son score dépendra beaucoup du soutien que lui apportera, ou non, l’ancien président Laurent Gbagbo, et donc du ralliement d’une autre frange du FPI, celle que l’on baptise les «GOR» («Gbagbo Ou Rien»).
Albert Mabri Toikeusse: l’allié devenu opposant de circonstance
Cet ex-ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, de 2017 à mai 2020, dont le nom complet est Abdallah Albert Mabri Toikeusse, âgé de 58 ans, a quitté le gouvernement le 13 mai dernier.
Il s’était opposé à la désignation d’Amadou Gon Coulibaly comme candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir, pour briguer la succession du président Alassane Dramane Ouattara, avant de se déclarer candidat à la présidentielle au nom de son parti: l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI).
Son parti a officialisé, par la même occasion, son retrait pur et simple du RHDP pour se ranger dans l’opposition.
Albert Mabri Toikeusse était candidat de la présidentielle de 2010 et avait obtenu un sore de 2,57% avant de soutenir Ouattara et devenir son porte-parole au second tour de la présidentielle.
Guillaume Soro: l’ancien rebelle a grillé ses cartes
Ancien chef rebelle et principal allié du président Ouattara lors de la prise du pouvoir par ce dernier, Guillaume Soro, 47 ans, a été le premier à annoncer sa candidature aux présidentielles d’octobre, sous la bannière du Mouvement générations et peuples solidaires (GPS) et ce, dès le mois d’octobre 2019.
Cet ancien Premier ministre et ex-président de l’Assemblée nationale a donc, par cette précipitation, rapidement grillé ses cartes.
En voulant s’émanciper rapidement de Ouattara, il s’est fait brûler les ailes dans un jeu politique où tous les coups sont permis.
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Désormais, celui qui devrait donner une couche de jeunesse à cette présidentielle a peu de chance de participer au joutes électorales, à cause de ses démêlés avec la justice ivoirienne.
Condamné à 20 ans de prison pour «tentative d’insurrection», la candidature de l’ancien dirigeant du syndicat universitaire et dirigeant rebelle est aujourd’hui compromise.
Désormais, il vit en exil en France, et il est privé de ses droits civiques en Côte d’Ivoire. Du coup, sa candidature à la présidentielle ne sera certainement pas validée.
Marcel Amon Tanoh: un proche de Ouattara
Marcel Amon Tanoh, 68 ans, ex-ministre des Affaires étrangères de Alassane Dramane Ouattara, avait démissionné du gouvernement en mars 2020, juste après la désignation d’Amadou Gon Coulibaly comme candidat du RHDP pour succéder au président sortant.
Mécontent de ce choix, celui qui fut le directeur de cabinet de Alassane Dramane Ouattara, a décidé de démissionner quelques jours après cette désignation, avant de déclarer sa candidature à la présidentielle.
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Toutefois, Marcel Amon Tanoh, qui n’a pas de parti à sa disposition, s’engage en tant que candidat indépendant, et son score ne devrait pas peser sur cette élection, surtout après la volte-face de Alassane Dramane Ouattara suite au décès de Gon Coulibaly.
Le premier challenge auquel devra faire face Marcel Amon Tanoh sera celui de ses parrainages.
Marie Carine Bladi: la reine de beauté à l’assaut du Palais présidentiel
Cette mère de famille, aujourd’hui âgée de 35 ans, est entrée dans l’histoire en étant la première femme à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle ivoirienne d’octobre 2020, après avoir fait carrière, suite à son sacre, dans l’univers de la mode.
L’ex-étudiante en école de commerce fut la première dauphine du concours Miss Côte d’Ivoire en 2002, Miss Madame Côte d’Ivoire en 2009 et 7e reine de beauté mondiale lors du concours du concours de Miss Univers, organisé en Asie cette année-là.
Marie-Carine Bladi, à la tête d’un parti politique, Nouvel Ivoirien Côte d’Ivoire Nouvelle (NICIN), qui n’a toutefois jamais occupé de fonctions politiques, ni brigué un poste électif. Sa candidature ne devrait donc pas passer la phase des parrainages.
D’ailleurs, la benjamine des candidats à ce scrutin a fortement critiqué le parrainage citoyen.
«Il s’agit ni plus ni moins que d’une volonté d’écarter des candidats à cette élection», a-t-elle souligné.
Daniele Boni Claverie: la journaliste qui vise le fauteuil présidentiel
C’est la seconde femme candidate à ce scrutin présidentiel d’octobre prochain. Agée de de 78 ans, cette journaliste a été désignée candidate de l’Union républicaine pour la démocratie (URD), parti qu’elle a fondé en 2006.
Cette journaliste, qui a débuté sa carrière à la Radio ivoirienne avant de devenir la directrice de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI), est une ancienne du PDCI de Henri Konan Bédié.
Danièle Boni-Claverie a occupé plusieurs hauts postes administratifs, dont celle de ministre de la Communication en 1994, alors que Henri Konan Bédié était à la tête de l’Etat. Elle a aussi été ministre de la Femme, de la famille et de l’enfant, dans le dernier gouvernement de Laurent Gbagbo, de décembre 2010 à avril 2011.
Elle devra se battre pour passer le cap du parrainage, ce qui est loin d’être un pari gagné.