Côte d’Ivoire: à Abidjan, les bus de transport urbain transformés en pharmacies ambulantes

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Le 26/01/2017 à 19h39, mis à jour le 27/01/2017 à 09h37

Prendre le car en Côte d’Ivoire, c’est souvent voyager en compagnie d’un pseudo pharmacien ou de tradipraticiens qui vendent des remèdes de toutes sortes grâce à un discours bien rodé. A les croire, mieux vaut faire appel à leurs services que de se rendre dans un centre de santé.

Après avoir connu le printemps des tradipraticiens, la Côte d’Ivoire vit au rythme des «naturothérapeutes» ambulants. Ils sont omniprésents dans les cars de transport, dans lequels ils vantent les qualités de leurs médicaments et les écoulent auprès des voyageurs.

«Chers parents voyageurs, je vous salue»; c’est le refrain qui annonce la présence dans le véhicule d’un de ces marchands qui préfèrent généralement le titre d’agent commercial ou pour certains de naturothérapeute. En accord avec le chauffeur, ces jeunes tiennent compagnie aux passagers des gkaka (mini car) sur les trajets entre Adjame-Yopougon, à Abidjan, où dans les cars menant les voyageurs à l’intérieur du pays.

Prenant soin de prime abord de faire une remarque ou de raconter une histoire comique, ils ont l’art de déclencher l’hilarité générale, ce qui a l’avantage de détendre les passagers et de préparer le terrain aux échanges.

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Alain, l’allure frêle, a sa propre technique d’approche. Il évoque d’emblée des produits naturels liés à la sexualité, ce qui attise toute de suite les regards. «J’ai un produit très efficace pour vous contre les problèmes d’érection. Mesdames, je sais que ça va vous faire du bien à la maison. Écraser du cola mélangé à du gingembre. Prenez-en une partie pour son lavement et une autre pour en faire une boisson à prendre 30 minutes avant «les affaires». Il va vous faire décoller toute la nuit». Aussitôt le sourire s'affiche sur toutes les lèvres, certaines personnes dans le véhicule allant même jusqu'à confirmer les effets magiques de la potion.

Cette recette, Alain précise qu’il l’offre gratuitement «pour aider les papas et les mamans», mais il prétend en avoir d’autres toutes aussi efficaces. «J’ai ce médicament-ci. C’est le thé Drobo fait à base de tankas et de plantes secrètes du Drobo. Il est scientifiquement prouvé que ce thé est le plus complet au monde», tente-t-il de convaincre. «Ce thé est un anti-vieillissement, il a un effet régénérateur sur le système immunitaire, prévient et traite l’hypertension, le diabète, le cancer, la prostate… Je n’en ai pas assez, il faut se dépêcher pour l’avoir, c’est important pour votre santé», soutient-il, avant d’en présenter la posologie.

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Le produit de couleur noirâtre se présente dans une bouteille en plastique d’un demi-litre, avec une étiquette imprimée. «Il vient du Ghana et il est très connu là-bas. En magasin, il est vendu à 3.500 FCFA, mais ici je vous le fait à 1.000 FCFA».

Alain sort ensuite de sa valise le fameux «Atote», un autre produit traditionnel réputé comme un excellent aphrodisiaque. De couleur marron, ce produit provient lui du nord du pays. «Est-ce que c’est le vrai?», interroge un homme qui n’ose se faire remarquer. «C’est le vrai vrai. Ceux qui me connaissent savent que je vend l’original venu de Korhogo (ville du nord du pays, ndlr)», s'entend-il rétorquer. Après quelques minutes d’hésitation, une dame passe une commande, une brèche dans laquelle s’engouffrent les passagers. Le stock d’une dizaine d’«Atote» part en quelques minutes à 1.000 francs l’unité.

Alain propose aussi des plantes séchées empaquetées contre les hémorroïdes ainsi que d’autres décoctions, mais également d’autres potions originaires de Chine et d’Inde à base de ginseng ou de «Goji», en sirop et en bonbons, particulièrement bien emballées. Ou encore des baumes mentholées pour les douleurs musculaires et contre la grippe, des savons aux vertus relaxantes et contre les problèmes de peaux.

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«Certains pensent que nous vendons n’importe quoi, mais ce n’est pas vrai. Cela fait près d’une décennie que je vends dans les cars et je n’ai jamais eu de plainte», assure notre marchand.

«Ça dépend. Il y en a qui proposent des produits traditionnels très efficaces, surtout quand c’est le vrai. Mais parfois certains vendent du faux et même des produits pharmaceutiques périmés à nos parents illettrés», témoigne un vieil homme.

Officiellement, la vente de produit thérapeutiques est interdite en dehors des pharmacies, mais notre homme a son justificatif. «Certains vendent des médicaments à base de paracétamol, même des antibiotiques fabriqués en Chine ou au Nigeria, moi c’est des produits traditionnels, c’est différent».

Selon lui, des comptoirs chinois et indiens ont ouvert à Abidjan pour proposer ces produits. Il existe également des circuits pour s’approvisionner à partir du Ghana voisin, un pays qui a toujours eu bonne réputation en la matière.

Après un peu plus de trente minutes de trajet, à l’entrée de Yopougon, Alain descend pour emprunter un autre gbaka pour faire le trajet inverse vers Adjame. «Je change régulièrement de trajets pour changer de cible», souligne-t-il en prenant soin de souhaiter, tout sourire, une santé de fer à ses «patients» du jour.

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 26/01/2017 à 19h39, mis à jour le 27/01/2017 à 09h37